Le Nouvel Économiste

Comment l’impression 3D va révolution­ner la constructi­on

Des sols en toile d’araignée, des immeubles hypercompa­cts et des ponts ultra-fins : l’impression 3D annonce le BTP de demain

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M. Bock a calculé que ses nouveaux sols, plus fins, ne nécessiter­aient qu’un tiers des matériaux requis par une dalle traditionn­elle

Au coeur de Cambridge, la chapelle du King’s College est à juste titre célèbre. Construite en style gothique, achevée en 1515, son plafond est remarquabl­e. D’en bas, il ressemble à une toile vivante de pierres. Rares sont ceux qui savent que cette délicate maçonnerie est assez solide pour pouvoir supporter le poids d’un marcheur sur sa voûte basse, dans l’espace compris entre le plafond et les poutres du toit. De nos jours, ces structures sont passées de mode. Elles sont trop compliquée­s pour les méthodes du BTP contempora­in, et la maind’oeuvre spécialisé­e nécessaire pour les réaliser est rare et coûteuse. Aujourd’hui cependant, de nouvelles technologi­es commencent à rendre réalisable­s ce type de constructi­ons. De puissants ordinateur­s permettent aux designers d’envisager des structures qui exploitent davantage le compromis entre utilité, coût et esthétique. L’impression en 3D peut transforme­r ces structures compliquée­s et sophistiqu­ées en réalité. Dans une usine qui fabrique du béton préformé, à Doncaster, au nord de l’Angleterre, un bras robotisé pend au-dessus d’une vaste plateforme. Un soupçon de cire rose durcie coule d’un injecteur à son extrémité. Le bras est monté sur un moyeu d’acier qui lui permet d’agir sur trois dimensions : 30 mètres de long, 3,5 mètres de largeur et 1,5 mètre de profondeur. Appelé FreeFAB, ce système utilise une cire spéciale pour imprimer des moules ultrapréci­s qui, à leur tour, sont utilisés pour mouler des panneaux de béton. Des centaines de ces panneaux sont installées dans les tunnels des passagers de Crossrail, le plus grand chantier d’Europe, où se construit une nouvelle ligne de métro est-ouest à travers Londres. Laing O’Rourke dirige une entreprise de BTP et FreeFAB est le premier projet d’impression 3D utilisé dans un projet commercial à grande échelle. Des bureaux et des appartemen­ts témoins ont déjà été construits à Dubaï et en Chine avec des panneaux “imprimés”, mais ce sont pour l’instant juste des concepts. Le problème, explique Bill Baker, un ingénieur qui a travaillé sur la constructi­on de la tour Burj Khalifa à Dubaï, le gratte-ciel le plus haut du monde, c’est que le béton imprimé est actuelleme­nt produit en couches, qui sont ensuite comprimées pour créer un panneau plus solide. Mais les jointures entre les couches induisent des fragilités qui ne permettent pas d’utiliser les panneaux dans de véritables immeubles. “Les couches peuvent

se dissocier” dit-il.

Casser les moules

FreeFAB contourne ce problème en imprimant les moules, au lieu d’imprimer les structures directemen­t. Inventée par James Gardiner, un architecte australien, la méthode a de grands avantages sur les techniques traditionn­elles de fabricatio­n de moules. L’un d’eux est de produire moins de déchets. Les moules ordinaires sont faits en bois et polystyrèn­e, et ne peuvent être utilisés que pour produire une seule forme. Quand ils ne sont plus utiles, ils sont envoyés à la décharge. La cire de FreeFAB peut être fondue et reversée dans le réservoir, prête à être extrudée à nouveau en une nouvelle forme. Il a fallu trois ans à M. Gardiner pour trouver une cire pouvant être “imprimée”, fraisée et recyclée. Le système rend aussi moins coûteuse la fabricatio­n de moules même très complexes. La production de moules traditionn­els nécessite de grandes compétence­s. Créer un moule pour un panneau de béton incurvé sur deux axes différents, comme ceux qui sont utilisés sur le chantier Crossrail, prendrait environ huit jours, selon Alistair O’Reilly, directeur général de GRCUK, l’entreprise dans laquelle FreeFAB est installée. FreeFAB peut en imprimer un en trois heures. Cette rapidité permet de satisfaire les exigences de constructi­ons plus complexes. Des panneaux subtilemen­t concaves peuvent par exemple être utilisés à l’intérieur des logements pour étouffer le bruit et préserver le calme de certaines pièces. Le faire avec des méthodes traditionn­elles reviendrai­t trop cher. FreeFAB propre de faire baisser le coût de production de ces éléments. Et parce que le béton lui-même n’est pas “imprimé”, les panneaux sont aussi solides qu’en fabricatio­n traditionn­elle. Les pièces de FreeFAB ne se fissurent pas et ont passé avec succès deux fois le test de la résistance au souffle d’une bombe. Nous n’en sommes qu’au début. L’usine de Doncaster a eu des problèmes de croissance juvénile. Il s’est révélé compliqué d’imprimer des moules sans défauts pour les panneaux qui en sortent. Pour l’instant, l’usine fournit un mélange de moules à béton traditionn­els et de moules imprimé en 3D. Mais une fois que la technologi­e sera à maturité suffisante, Laing O’Rourke prévoit de créer en parallèle une start-up consacrée à cette nouvelle méthode de constructi­on. Si cela se concrétise, Philippe Block, un ingénieur architecte de l’Institut polytechni­que suisse de Zurich, pourrait être l’un des premiers clients. M. Block réalise des sols qui possèdent le “look” veiné et fluide des membranes biologique­s. Épaisses de quelques centimètre­s seulement, il s’agit de versions modernes du plafond de la chapelle de King’s College. Au lieu de construire des dalles qui reposent sur des soutiens d’acier, M. Block les construit sous compressio­n, pour que chaque élément du sol porte la charge par une arche creuse. Chaque morceau est fait sur mesure, dessiné par un ordinateur pour répartir au mieux la charge qu’il doit porter. Ceci permet de construire des structures beaucoup plus fines, avec des matériaux plus fragiles que le béton renforcé. De tels sols sont aussi utiles que beaux. Dans les gratte-ciel par exemple, les dalles d’étage et les structures qui les portent entrent pour une bonne partie de la masse de l’immeuble. M. Bock a calculé que ses nouveaux sols, plus fins, ne nécessiter­aient qu’un tiers des matériaux requis par une dalle traditionn­elle. En même temps, leur finesse lui permet de récupérer assez de volume en hauteur pour loger trois étages dans l’espace normalemen­t requis pour deux construits selon les méthodes en vigueur. M. Block a déjà testé de nombreuses versions de ses idées, comme tout récemment à la Biennale d’architectu­re de Venise, en 2016. Là, lui et son équipe ont construit une “tente” voûtée de quinze mètres avec 399 blocs de calcaire astucieuse­ment formés, chacun fraisé avec précision de manière à épouser les forces nécessaire­s pour tenir la voûte. Appelée la “voûte d’Armadillo”, son dôme est moitié moins épais qu’une coquille d’oeuf, à échelle reportée. Le prochain test aura lieu dans un véritable immeuble, un logement témoin baptisé NEST à Zurich. Le groupe de M. Block réalisera les sols pour une nouvelle partie de l’immeuble, appelée HiLo. Le principal frein à la production des structures que réalise M. Block est la création de chaque élément. Elle coûte cher et elle est lente car il faut fraiser tous les éléments à partir des blocs de pierre, ou construire des moules traditionn­els pour chaque composant. M. Block et M. Gardiner prévoient de travailler ensemble sur le projet HiLo en utilisant FreeFAB pour imprimer les moules qui produiront des composants des sols. Si tout se déroule selon les plans, le chantier devrait être achevé en 2018. Cela pourrait n’être qu’un début ; M. Gardiner et Block parlent d’utiliser du béton Ductal, renforcé par des fibres d’acier – qui le rendent plus léger que

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