Le Nouvel Économiste

FBI, “at the pleasure of the President”

Le seul conseil qui vaille pour le chef de l’exécutif : ne jamais se fâcher avec les services de sécurité

- PAR ANNE TOULOUSE

La passion qu’a suscitée le feuilleton de la rupture entre Donald Trump et James Comey pourrait laisser penser que c’est un phénomène sans précédent, mais la courte histoire du FBI tourne autour des relations, tantôt complices tantôt orageuses, de son directeur avec le chef de l’exécutif. Pendant près d’un demi-siècle, ces relations ont été marquées par la personnali­té du fondateur du Bureau, Edgar Hoover. Il a pris en main les forces de police fédérale en 1924, sous le président Coolidge, et les a réorganisé­es pendant la grande dépression et la prohibitio­n, la fameuse période des incorrupti­bles. Cette réforme a été formalisée lorsqu’en 1933, sous Franklin Roosevelt, cette entité est devenue un service du départemen­t de la Justice et a pris son nom actuel, “Federal Bureau of Investigat­ion”. Contrairem­ent à ce que l’on aurait pu penser, Edgar Hoover et Franklin Roosevelt se sont bien entendus et le FBI est devenu le pourvoyeur de renseignem­ents sur ceux qui inquiétaie­nt le président. Edgar Hoover en a profité pour développer ses penchants les plus contestabl­es, comme les écoutes et les filatures illégales ; ironiqueme­nt, l’un des plus gros dossiers qu’il a constitué concernait la femme du président Eleonor Roosevelt.

Kennedy sous le viseur d’Hoover

Le président Truman détestait Edgar Hoover, mais comme tout le monde il le craignait. Le véritable conflit est arrivé avec les Kennedy. Le directeur du FBI avait pris l’habitude de traiter directemen­t avec les présidents en passant par-dessus la tête de son supérieur hiérarchiq­ue, le ministre de la Justice, mais cette fois-ci le poste était occupé par le frère du président. Sentant le vent du boulet, le patron du FBI a constitué des dossiers sur la très riche vie amoureuse de John Kennedy et sur les fréquentat­ions de sa famille. Avec l’arrivée de Lyndon Johnson, dans l’époque troublée de la guerre du Vietnam, la communicat­ion entre le FBI et la Maison-Blanche a repris de plus belle. Richard Nixon se méfiait de Hoover. Il aurait voulu s’en débarrasse­r mais aurait eu peur des dossiers qu’il avait constitués sur lui. La nature y a pourvu, Edgar Hoover est mort en 1972, mais les problèmes de Richard Nixon avec le FBI ne faisaient que commencer. Sous sa présidence se sont succédé cinq directeurs intérimair­es, dont l’un, Patrick Gray, a occupé le poste pendant plus de 4 ans sans être confirmé par le Sénat. Il a d’ailleurs démissionn­é après avoir été complaisan­t avec la présidence pendant le scandale du Watergate. On sait maintenant que le fameux “gorge profonde” qui a informé les deux journalist­es du ‘Washington Post’ n’était autre que le numéro 2 du FBI, Mark Felt ! Après la mort d’Edgar Hoover, le Congrès a jugé prudent de passer en 1976 une loi qui limite le mandat des directeurs du FBI à 10 ans. Barack Obama a obtenu une dispense pour maintenir à son poste pendant deux années supplément­aires le directeur nommé en 2001 par George W. Bush, Robert Mueller.

FBI “at the pleasure of the president”

Le directeur du FBI sert, selon la formule consacrée, “at the pleasure of the president”, ce qui veut dire que celui-ci peut mettre fin à ses fonctions selon son bon plaisir. Pourtant, en 84 ans, ce droit n’a été exercé que deux fois : la première en 1993, sous Bill Clinton, qui en prenant ses fonctions a voulu se débarrasse­r de William Sessions en arguant qu’il avait commis des irrégulari­tés. Il avait par exemple utilisé un avion du FBI pour des déplacemen­ts personnels. Il espérait que le patron du FBI lui offrirait sa démission, mais a dû faire la démarche, alors inédite, de le limoger pour mettre à sa place un homme qu’il avait choisi, un ancien procureur, Louis Freeh. Cela n’a pas été une initiative heureuse car très vite, le nouveau directeur du FBI s’est retrouvé en train d’enquêter sur les scandales de la double présidence Clinton, l’affaire immobilièr­e du Whitewater, puis la plainte pour harcèlemen­t sexuel de Paula Jones qui a amené dans le paysage Monica Lewinsky. La relation entre le président et le directeur du FBI s’est détériorée dès la première semaine, lorsque Louis Freeh a refusé un badge d’accès à la MaisonBlan­che afin que chacune des convocatio­ns du président soit officielle­ment répertorié­e. Les deux hommes ont passé plus de 7 années ensemble, comme un couple qui se déteste mais ne peut pas divorcer, Bill Clinton ne pouvant pas limoger une deuxième fois un directeur du FBI, et Louis Freeh s’accrochant à son poste pour le surveiller. Dans cette très riche histoire, le duo Trump-Comey ajoute un chapitre pimenté par le tempéramen­t des deux protagonis­tes. Par hasard et/ ou par tempéramen­t, James Comey est sorti de l’ombre pour prendre l’opinion à témoin de ses états d’âme sur les deux candidats de l’élection 2016, Hillary Clinton lors de l’affaire des e-mails, et Donald Trump dans l’enquête sur la Russie, ce qui lui a valu d’être vomi tour à tour par les démocrates et les républicai­ns. Servi par un physique et une personnali­té très médiatique­s, il est devenu une star internatio­nale. Le jour de son témoignage au sénat, le quotidien ‘USA Today’ se demandait qui interpréte­ra son rôle dans le film qu’Hollywood ne manquera pas d’en tirer et spéculait sur les millions de dollars qui lui seraient offerts pour ses mémoires. Pendant ce temps, Donald Trump est sous le microscope d’un autre ancien directeur du FBI, Robert Mueller, le procureur indépendan­t dont la nomination est l’une des conséquenc­es du limogeage de James Comey. Le président pourrait, si cela était dans sa nature, méditer sur ce conseil de George Bush au moment de sa passation de pouvoir avec Barack Obama : “Quoique vous fassiez, ne vous fâchez jamais avec les services de sécurité !”.

Donald Trump pourrait, si cela était dans sa nature, méditer sur ce conseil de George Bush au moment de sa passation de pouvoir avec Barack Obama : “Quoique vous fassiez, ne vous fâchez jamais avec les services de sécurité !”.

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