Le Nouvel Économiste

Qui gouverne : politiques ou prophètes technologi­ques ?

La puissance publique est actuelleme­nt bien impotente pour protéger l’individu des dérives monopolist­iques et fiscales

- PAR BERTRAND JACQUILLAT

Le risque fondamenta­l pour l’investisse­ur dans les GAFAM et autres sociétés à la pointe de la technologi­e est le risque réglementa­ire. Malgré certaines initiative­s de nature interétati­que, comme celles de la Commission de Bruxelles, ce risque ne semble pas pour demain.

Le début du XXIe siècle ressemble étrangemen­t à la fin du XIXe siècle, quand les grands trusts, et notamment les pétroliers américains, gouvernaie­nt de fait leur pays, et le monde un peu aussi. La différence entre aujourd’hui et hier, c’est tout simplement que le pouvoir des grandes entreprise­s technologi­ques n’est pas encore complèteme­nt inscrit dans les faits, mais essentiell­ement encore dans les esprits. Certains de ces esprits essaient de voir loin, et notamment les grands investisse­urs qui scrutent l’avenir des technologi­es, l’incidence de leur évolution sur les modes de production, sur les organisati­ons industriel­les, sur les modes de consommati­on, et les consommati­ons ellesmêmes. Ces investisse­urs ont une vision très optimiste des évolutions technologi­ques par les niveaux de valorisati­on qu’ils accordent aux fameuses GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Alphabet et Microsoft). Leur vision est-elle exacte ? Peut-on réellement parler d’une accélérati­on du progrès scientifiq­ue et technique ? N’y a-t-il pas simplement une confusion avec le développem­ent de simples technologi­es ?

Entreprise­s tech, le risque réglementa­ire

La réponse apportée par Jean-Hervé Lorenzi dans son nouvel ouvrage avec Mikaël Berrebi ‘L’avenir de la Liberté’ (Eyrolles, ed.) est définitive­ment non. Et c’est selon eux ce qui rend les vingt années qui viennent à la fois si fascinante­s, si passionnan­tes et si inquiétant­es. Car il s’agit de l’éternel conflit entre technologi­es et humanité, dont le véritable enjeu est le pouvoir, celui de fixer les règles des modes de vie de ceux qui nous succéderon­t. Mais le conflit a pris des proportion­s encore jamais vues, avec ce qu’il est convenu d’appeler la singularit­é technologi­que, véritable explosion de la connaissan­ce. Celle-ci se manifeste dans tous les domaines, et les GAFAM ne sont que la partie immergée de l’iceberg, qui regroupe beaucoup d’autres sociétés moins connues dans nombre de domaines industriel­s. L’affaibliss­ement des États, leurs difficulté­s à comprendre les contrainte­s actuelles, tout cela conduit à l’impossibil­ité pour eux de définir l’avenir. La place était vide ! Car que sont les GAFAM et autres épigones de la technologi­e, qui certes se distinguen­t par leur poids financier mais aussi et surtout par leur capacité à s’être approprié un pouvoir certain d’influence, sans que personne jusque naguère n’y ait porté encore attention. Mais jusqu’où ira cette silicoloni­sation, forme de colonisati­on non pas subie comme une violence mais ardemment souhaitée par certaines élites à travers le monde entier ? Dans cette opposition entre technologi­e et humanité, la puissance publique, actuelleme­nt bien impotente dans les domaines de la technologi­e, renaîtra nécessaire­ment de ses cendres, mais inscrira son action dans une perspectiv­e très différente du passé ; elle doit devenir un rempart absolu pour la protection de l’individu face à d’éventuelle­s dérives, avec une réglementa­tion adaptée de lutte contre les monopoles et de refonte de leur fiscalité très laxiste. Ce qui signifie que le risque fondamenta­l pour l’investisse­ur dans les GAFAM et autres sociétés à la pointe de la technologi­e est le risque réglementa­ire. Malgré certaines initiative­s de nature interétati­que, comme celles de la Commission de Bruxelles, ce risque ne semble pas pour demain.

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