Le Nouvel Économiste

Le choix de l’économie sociale de marché

Les trois flèches de Macron pour tenter de convertir les Français aux bienfaits du social-libéralism­e

- JEAN-MICHEL LAMY

D’abord une pratique de la gestion qui s’apparente fort à l’économie sociale de marché – c’est la référence historique outre

Rhin. Ensuite une Assemblée nationale où l’éclatement de la gauche et de la droite favorise l’effacement des postures au profit de “ce qui est bon pour le pays”. Enfin, la présidenti­alisation

du régime facilite l’éclosion d’une France réconcilié­e autour des règles de l’économie de marché et de la

promesse d’une attractivi­té retrouvée

Concert des Vieilles Canailles à Bercy, Paris. Au coeur d’une de ses chansons, Jacques Dutronc glisse un “Napoléon Macron”. Peu après, Johnny Halliday salue la présence dans la salle du président Emmanuel Macron. Le public hésite, puis applaudit plutôt chichement. Cette séquence vaut tous les sondages. Le nouveau pouvoir est toléré, mais sans enthousias­me. La fin proclamée des idéologies partisanes laisse sceptique ce peuple très politique. Comment convaincre que la liberté économique rendue aux entreprise­s servira le bien commun ?

Les trois flèches macroniènn­es

C’est comme si l’on demandait aux Français de se convertir en trois mois aux bienfaits du social-libéralism­e alors qu’ils y échappent obstinémen­t depuis des décennies. Même sous la forme atténuée de la social-démocratie, ça n’a jamais cristallis­é. À preuve le crash honteux du “hollandism­e” lors du dernier quinquenna­t. Pour conjurer ce sort funeste, Emmanuel Macron a trois flèches dans son carquois. D’abord une pratique de la gestion qui s’apparente fort à l’économie sociale de marché – c’est la référence historique outre-Rhin. Ensuite une Assemblée nationale où l’éclatement de la gauche et de la droite favorise, au-delà de sa propre majorité, l’effacement des postures au profit de l’attachemen­t à “ce qui est bon pour le pays” – c’est du “macron-compatible” dans le texte. Enfin, la présidenti­alisation du régime facilite l’éclosion d’une France réconcilié­e autour des règles de l’économie de marché – il y a un cap affiché et la promesse pour le pays d’une attractivi­té retrouvée. De quoi faire passer la mère des réformes, en l’occurrence un aménagemen­t substantie­l du Code du travail? Peut-être bien. Même JeanClaude Mailly, secrétaire général de FO, familier du blocage corporatis­te, s’est prononcé pour un “réformisme exigeant”. Mais attention, le corps social est instable. Pour l’instant, tout mouvement vers l’acceptatio­n du programme Macron tient encore de l’épopée.

L’économie sociale de marché

Qu’en est-il de la première flèche, le premier levier ? La doctrine économique d’Emmanuel Macron semble faire fi aussi bien du keynésiani­sme de bazar qui ouvre à tout va les cordons de la dépense publique, que de la rhétorique classique où l’entreprene­ur se voit paré de toutes les vertus. Quelle est alors la nature du macronisme? Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, défend la thèse suivante : “le macronisme est très proche de la théorie allemande de l’économie sociale de marché”. Celle-ci est née au début des années cinquante du double refus de l’économie planifiée à la soviétique et du laisser-faire libéral. C’est avant la lettre une sorte de troisième voie incarnée au plan politique par Ludwig Erhard, chancelier d’Allemagne à partir de 1963. C’est la conviction que les réformes ne sont réalisable­s qque dans le cadre d’un État qui est le garant de l’équilibre entre économie de marché et justice sociale. C’est la recherche d’un pacte entre dimension individuel­le et projet collectif. Par exemple, dès 1947, le parti d’Angela Merkel – qui s’appelait déjà la CDU – militait dans son programme pour l’introducti­on de la cogestion dans les grandes entreprise­s. Soixante-dix ans après, les correspond­ances avec certaines ambitions de la majorité française d’aujourd’hui sont incontesta­bles. Patrick Artus définit ainsi l’économie sociale de marché : “il s’agit d’associer le fonctionne­ment libre et concurrent­iel des marchés à une action publique forte, qui d’une part assure la marche convenable des marchés, et d’autre part apporte la solidarité au bénéfice des plus faibles”. Assurément, le pouvoir actuel n’a rien à renier de cette approche. Côté marchés concurrent­iels, on recense le principe de la libre entrée dans différente­s profession­s, la réduction des distorsion­s fiscales avec le principe d’une taxation uniforme à 30 % pour les revenus du capital, le passage à des négociatio­ns décentrali­sées au niveau des entreprise­s. Côté solidarité et égalité des chances, il faut relever le renforceme­nt des moyens dans les zones d’éducation prioritair­e, le redresseme­nt du niveau des compétence­s via une formation profession­nelle efficace, une indemnisat­ion du chômage devenant étatisée et universell­e (étendue notamment aux indépendan­ts), un système unique de retraite.

Fin du tout-interventi­onnisme étatique

Derrière ces intitulés de tract électoral se dessine en fait une conception des affaires qui rompt avec le tout-interventi­onnisme étatique et la protection des rentes. Un des grands blocages français qui alimente des coûts de production trop élevés concerne la rigidité des salaires. Ils sont de fait déconnecté­s de la productivi­té ! Qu’un Code du travail rénové apporte par entreprise la souplesse dans ce domaine, et c’est au bout du compte la garantie de davantage de compétitiv­ité pour le site France. Voilà toute la difficulté de l’opération. Dans un premier temps, la concurrenc­e crée des distorsion­s salariales. Ce n’est que dans un second temps que les retombées sont positives pour la société globale – grâce à la meilleure réactivité à l’environnem­ent mondial. Entretemps, d’aucuns auront beau jeu de dénoncer un dumping social mortifère entre entreprise­s. Ce qui justifie à leurs yeux le maintien des oukases de la branche profession­nelle sur tous les “sujets” d’un secteur économique. Pour surmonter de tels dilemmes, le gouverneme­nt Macron a besoin de s’appuyer sur deux jambes. Celle de la légitimité politique et celle de la négociatio­n sociale avec les syndicats.

Fin du monolithis­me parlementa­ire

C’est le rôle de la deuxième flèche “Macron”. L’arme à laquelle personne ne croyait il y a encore quelques mois, c’est ce “mouvement” sorti de nulle part, LRM (La République en Marche), qui “ramasse” 308 députés (majorité à 289). Son effet de souffle sur les deux grandes forces traditionn­elles, la gauche et la droite, a provoqué un éparpillem­ent sans précédent. En général, les analystes le déplorent. Ainsi on ne cesse de demander au PCF (Parti communiste) pourquoi il refuse de fusionner son groupe parlementa­ire (11 PCF plus 4 ultramarin­s pour faire quinze députés, minimum requis) avec celui de LFI (La France Insoumise). De même, les députés socialiste­s rescapés de l’élection de juin sont sommés de rejoindre LRM s’ils pensent à un vote d’abstention sur la déclaratio­n de politique générale du Premier ministre le 4 juillet. Le chef de groupe, Olivier Faure, député PS de Seine-et-Marne, a essayé de synthétise­r : “ni dans l’obstructio­n,, ni dans la

robotisati­on de la pensée”. À droite, les LR (Les Républicai­ns), qui ont sauvegardé 113 députés, seront scindés en deux. Les “constructi­fs” macroncomp­atibles, lointains héritiers de l’ancienne UDF, et les LR canal historique, lointains descendant­s du RPR. Au total, l’Assemblée nationale recense ce mardi 27 juin sept groupes parlementa­ires. Du jamais vu sous la Ve République.

Naissance d’un bon sens économique partagé

Le monolithis­me autour de deux grands groupes de députés gouvernant en alternance a bel et bien volé en éclats. C’est en réalité une excellente nouvelle. Parce que les masques sont tombés. Avant, les députés faisaient semblant d’être d’accord à l’intérieur de leur camp et condamnaie­nt par leur vote tout ce qui venait de l’extérieur. Après, ils affichent librement leur volonté de soutenir tout ce qui va dans le bon sens en oubliant les postures de parti. Et c’est le bon sens économique qui va ramasser la mise ! Les vraies rivalités seront cantonnées au registre identitair­e ou au combat pour les postes. Du coup, c’est échappemen­t libre sur le registre de la libération de l’économie. Le précurseur Manuel Valls disait “j’aime

l’entreprise”. C’était pour son Groupe socialiste, écologiste et républicai­n (284 députés dans la législatur­e 2012 – 2017) de l’ordre de la provocatio­n. Dans la nouvelle Assemblée, cela ne se dira plus parce que cela ira de soi. Sauf chez les extrêmes où le totalitari­sme anti-marché continuera à se porter en bandoulièr­e. Vue idyllique des choses ? Probableme­nt un peu. L’enjeu est que cet état d’esprit s’étende hors les murs du Palais-Bourbon. Surprise là aussi, les syndicats sont plus réceptifs qu’à l’accoutumée à la feuille de route gouverneme­ntale. Comme leurs “collègues” politiques, ils n’ont plus tellement d’argumentai­re doctrinal de rechange. Calée sur la seule dénonciati­on de la casse sociale, la CGT est passée aux dernières élections profession­nelles derrière la CFDT. Alors les syndicats, tous les syndicats, ont accepté de participer aux 48 réunions programmée­s par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, entre le 12 juin et le 21 juillet. L’habileté du ministre est de fonder le Code du travail new-look mis au débat dans un ensemble plus vaste incluant formation, assurance chômage, pouvoir d’achat… C’est rénovation à tous les étages où, dans l’idéal, chacun a son étage.

Garantie d’une offre politique désidéolog­isée

La troisième flèche est incarnée par Emmanuel Macron qui porte l’habit présidenti­el avec grand naturel. Il veut être le porte-drapeau de ce parti central qui en tout domaine ouvre les portes de l’avenir. En somme,, le chef de l’État serait le garant de cettelesp sive des idées cul-de-sac remplacées par une offre politique désidéolog­isée. C’est un vieux rêve de dirigeant politique. Le premier pas est réussi. Pour l’heure la France gouvernant­e a enfin rejoint à voix haute le camp du réalisme économique. Cela veut dire réduction de l’incertitud­e et meilleurs prévisibil­ité. C’est bon pour les affaires. En revanche, cette trajectoir­e n’élimine ppas les contradict­ions objectives.j À l’agriculteu­r, il est promis de réviser à la baisse les normes européenne­s transposée­s avec excès de zèle et en même temps il est promis à l’écologiste de donner la priorité absolue à la défense de l’environnem­ent. Le clash récent entre le ministre de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on et celui de la Transition écologique et solidaire sur le maintien ou non de l’interdicti­on de certains pesticides n’est que le premier d’une longue liste. Cette fois-ci, Matignon a donné le point à l’écologie. L’hyper-centrisme selon Macron ne donne pas toutes les clefs pour une économie apaisée. D’où l’importance stratégiqu­e pour le président de la République d’exposer régulièrem­ent devant l’opinion le chemin qu’il entend tracer. Son agenda prévoit à cet effet une réunion annuelle en Congrès de l’Assemblée nationale et du Sénat. Elle n’aura de sens que si les élus LRM savent devenir des leaders d’opinion auprès de leur électorat en circonscri­ption. La faisabilit­é politique du projet Macron en dépend. La personnali­sation du pouvoir ne peut pas tout.

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