Le Nouvel Économiste

Attention aux fake stratégies smart beta

Les anomalies boursières servant de base aux “stratégies d’investisse­ment par facteur” ne seraient que des artefacts statistiqu­es

- PAR BERTRAND JACQUILLAT

Prenez un shaker et mettez-y un algorithme, une recherche académique financière et un ETF (Exchange Traded Fund). Agitez à votre manière et vous avez construit une stratégie boursière “Smart beta”, dénominati­on beaucoup plus vendeuse que celle de “stratégie d’investisse­ment par facteur” du monde académique dont elle est issue. Celui-ci produit une quantité considérab­le de résultats publiés dans des revues scientifiq­ues très sérieuses et portant sur les anomalies boursières. Ces anomalies ressortent de l’observatio­n du comporteme­nt anormal de groupes d’actions constitués à partir de certaines variables ou facteurs comme le momentum (ou performanc­es récentes des actions en termes de prix par exemple), ou la croissance vs. le rendement, ou bien encore le niveau relatif d’investisse­ment des sociétés, leur niveau de rentabilit­é, d’immobilisa­tions incorporel­les, et les frictions liées aux frais de transactio­ns. Dans une étude d’avril 2017, Hou, Xue et Zhang de l’Université d’Ohio State, intitulée ‘Replicatin­g Anomalies’, ont répliqué toutes les études publiées depuis plus de 40 ans et ayant identifié des comporteme­nts boursiers anormaux liés aux six catégories qui viennent d’être évoquées. Travail titanesque ! Le trio applique une analyse rigoureuse pour vérifier l’existence de telles anomalies, en utilisant les mêmes bases de données de cours des actions de l’Université de Chicago et de données comptables et financière­s des sociétés de Compustat. Ils n’ont introduit que trois modificati­ons par rapport aux études d’origine : leurs tests de significat­ivité statistiqu­e sont plus rigoureux, les actions dans les portefeuil­les sont pondérées par leur capitalisa­tion boursière relative au lieu d’être non pondérées, et les durées des périodes de test des stratégies sont plus longues.

Conclusion : la littératur­e sur les anomalies est infestée de hackers !

Selon eux, la plupart des anomalies boursières référencée­s dans la littératur­e sont de purs artefacts, elles n’existent simplement pas et les marchés financiers sont beaucoup plus efficients qu’on ne le croit. Les universita­ires à l’origine de ces résultats se sont simplement livrés à du data mining, ce qui n’a pas empêché certains d’obtenir le prix Nobel d’économie. La conclusion des auteurs est sans appel : la littératur­e sur les anomalies est infestée de hackers ! Tous les résultats de cette vaste réplicatio­n ne sont pas pour autant négatifs. Certains des facteurs les plus populaires à la source de ces anomalies sont confirmés, mais procurent dans la pratique des performanc­es beaucoup plus faibles que celles identifiée­s dans les études d’origine : les actions bon marché surperform­ent les valeurs de croissance, les prix des actions ont un momentum (celles qui ont monté continuent de monter pendant un temps et vice versa), la qualité des bénéfices compte, et les sociétés qui investisse­nt beaucoup sous-performent. Les enseigneme­nts à tirer sont pluriels. Les investisse­urs devraient se méfier des stratégies smart beta mises en avant dans l’industrie de la gestion d’actifs assises sur des martingale­s gagnantes du passé. Les institutio­ns financière­s devraient exercer davantage de contrôles de la qualité des algorithme­s qu’elles mettent en place pour leurs véhicules d’investisse­ment collectifs. Et les revues scientifiq­ues d’économie devraient davantage suivre l’exemple de leurs confrères du domaine médical, et être beaucoup plus réceptives à publier des études de réplicatio­n.

Les investisse­urs devraient

se méfier des stratégies smart beta mises en avant

dans l’industrie de la gestion d’actifs, assises sur des martingale­s

gagnantes du passé

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