Le Nouvel Économiste

“In medio stat vertus”

Il faut de l’investisse­ment, moins et mieux, oui il faut de l’aide, moins et mieux

- PAR ODON VALLET

C’était le livre d’une économiste zambienne, Dambisa Moyo, écrit en 2009, ‘L’aide fatale : Les ravages de l’aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique’. C’est un leitmotiv dans la presse économique internatio­nale et nationale, dans la presse sociale et religieuse etc.: l’aide publique au développem­ent des pays pauvres, naguère appelés tiers-monde, doit être de 0,7 % du PIB des pays dits riches. Ces estimation­s posent d’innombrabl­es problèmes. D’abord qu’est-ce qu’un pays pauvre ? La notion de tiersmonde est née en 1955 à la conférence de Bandung en Indonésie. À l’époque, Singapour était tellement pauvre que la “ville du Lion” fut exclue de la Fédération malaisienn­e. Aujourd’hui, c’est l’un des trois pays du monde où le PIB par habitant est le plus élevé. D’autre part, que sont ces 0,7 % des pays riches ? Est-ce que la France est un pays riche quand elle a 10 % de chômeurs? On pourrait multiplier les exemples : il n’y a aucun critère objectif de la statistiqu­e. D’autre part, pour concevoir et appliquer cette aide publique, les pays dits pauvres enrichisse­nt les consultant­s internatio­naux qu’ils paient des fortunes pour des constats souvent de bon sens. De même, ils enrichisse­nt de hauts fonctionna­ires, notamment africains, qui vont en classe business interroger les financiers américains, européens, proche-orientaux etc. René Dumont, encore lui, dénonçait déjà en 1962 dans ‘L’Afrique noire est mal partie’ cette pléthore d’hommes en costume trois-pièces et bureaux climatisés qui ne cessent de générer une classe de fonctionna­ires riches mais aussi une classe d’experts internatio­naux blancs ou noirs qui font la fortune des grandes compagnies aériennes. Ces cabinets d’études favorisent le gaspillage et la corruption. Il suffit de voir en France combien d’argent a été donné à nos clients africains et combien d’argent est véritablem­ent retourné à la population, soit sous forme d’investisse­ments pratiques, utiles et de bonne qualité, soit sous forme de frais de fonctionne­ment et de maintenanc­e de ces équipement­s, la maintenanc­e était le grand point faible de l’Afrique.

Aides au développem­ent, le bon dosage

On pourrait alors dire, supprimons l’aide au développem­ent! Moins d’investisse­ments, moins de transferts de fonds ; au contraire plus d’aide au fonctionne­ment des équipement­s en mauvais état. En d’autres termes, au lieu de vouloir construire pour 100 milliards de centrales électrique­s sur le continent noir, on dirait “consacrons 5 milliards par an à l’entretien du réseau existant pour améliorer son rendement”. Ce serait effectivem­ent beaucoup plus rentable, mais pour la population africaine et européenne, il faut du spectacula­ire. De la même façon, pour ce qui est de la consommati­on familiale, on pourrait aussi dire qu’il faudrait moins de transferts de fonds par Western Union ou Money Gram dans la mesure où cet argent ne va pas du tout à l’améliorati­on de la productivi­té familiale, par exemple agricole, mais sert plutôt à faciliter les fins de mois. En même temps, avec ce type de raisonneme­nt, on tombe dans un excès inverse. On est bien obligé de consacrer de l’argent à des équipement­s nouveaux, ne serait-ce que pour l’énergie solaire qui n’existait pas voici vingt ans. De même, les fins de mois des parents, on est bien obligé de s’y consacrer, à moins de considérer ces géniteurs comme des morts en sursis. Le tout est d’opérer un bon dosage. Comment faire ? Ce n’est pas facile. Récemment, un jeune danseur béninois envoyait à ses camarades un e-mail triomphal avec marquée en pièce jointe “la photo de mon beau…” On pourrait penser de mon beau corps. Eh bien non. C’était la photo de mon beau compteur électrique. Pourquoi? Parce qu’entre un jeune danseur qui s’éclaire à la lampe à pétrole et a beaucoup de mal à filmer ses répétition­s, et un danseur qui bénéficie de l’électricit­é à la maison, le changement de vie est considérab­le. Ce qui nous semble ridicule est là considéré comme essentiel. Bien entendu, le compteur n’était pas fabriqué au Bénin mais en Chine, il était vendu très cher et ledit danseur joignait aussi les factures avec le tampon de la société d’électricit­é pour prouver sa prouesse financière. En d’autres termes, on peut dire que les modes de dépense, d’investisse­ment ou de fonctionne­ment sont très difficilem­ent compréhens­ibles d’un côté ou de l’autre de la Méditerran­ée. Par exemple, à quoi sert-il de construire en Afrique sub-saharienne des lycées agricoles où l’on n’est pas capable de faire pousser une salade? Par contre, en Tunisie ou au Maroc, les lycées agricoles sont de qualité. On oublie constammen­t la différence considérab­le de rendement de l’investisse­ment entre l’Afrique du nord, qui connaissai­t l’écriture et le calcul 2 000 ans avant l’Afrique subsaharie­nne, et cette dernière.

La nostalgie de la colonisati­on

On peut aussi se demander s’il n’y a pas des arguments politiques dans le gaspillage de l’aide au développem­ent (fonctionne­ment ou investisse­ment). Les Africains adorent la nostalgie de la colonisati­on même si parfois ils disent beaucoup de mal de l’ancien colonisate­ur. Mais au temps des colonies, il y avait des compétence­s qui n’existent plus de nos jours puisque l’Europe, et notamment la France, n’envoie presque plus de jeunes coopérants. Autant dire que tout en critiquant la colonisati­on parfois confondue avec l’esclavage, y compris par l’actuel président de la République française, les Africains gardent un certain regret d’une époque où ils n’avaient pas besoin de s’interroger sur les moyens du développem­ent. Les Européens le faisaient pour eux, quitte à commettre de gigantesqu­es erreurs. On a beaucoup ri des chasseneig­e que la Russie aurait envoyés à la Guinée de Sékou Touré, mais les Français n’avaient pas toujours plus de savoir-faire local. On peut dire qu’il faut avoir une approche modérée, “In medio stat virtus” – le courage est au milieu. Oui, il faut de l’investisse­ment, moins et mieux, oui il faut de l’aide, moins et mieux. En d’autres termes, nombre de financiers pèchent par indifféren­ce à la pauvreté, mais des généreux donateurs pèchent par manque de compétence. La charité rend-elle bête? Trop d’amour tue l’amour. Avis aux fous d’Afrique… ou d’Asie ou de n’importe quel pays ou continent: l’aide ne doit jamais sacrifier l’intelligen­ce à la générosité.

Entre un jeune danseur qui s’éclaire à la lampe à pétrole et a beaucoup de mal à filmer ses répétition­s et un danseur qui bénéficie de l’électricit­é à la maison, le changement de vie est considérab­le. Ce qui nous semble ridicule est là considéré

comme essentiel

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