Le fabuleux destin du rosé de Provence
Désormais sur toutes les tables et à toutes les périodes de l’année, les rosés de Provence ont réussi la segmentation de leur marché
Tous les restaurants, étoilés ou non, proposent tout au long de l’année (et plus seulement en été) plusieurs cuvées de rosés à leur carte
Forts de ce savoir-faire ancestral, les Provençaux se sont emparés des nouvelles technologies pour modeler un produit qui correspondait aux attentes des consommateurs
Désormais consommés partout dans l’Hexagone et non plus seulement dans leur région de production, les rosés de Provence ont réussi à être présents sur les tables des Français tout au long de l’année. Ils mettent maintenant le cap sur l’export, avec comme idée directrice la reproduction du succès du champagne. Avec des vins d’entrée et de milieu de gamme souvent standardisés mais d’une qualité constante, et des vins haut de gamme ciselés, ils plaisent au plus grand nombre. Certains, en Provence ou dans d’autres régions viticoles, continuent de produire des vins de gastronomie. La segmentation du marché du rosé est lancée.
Le rosé est clairement en train de s’imposer comme le vin des années 2010. En 2014, la production mondiale de vins rosés a atteint le niveau record de 24,2 millions d’hectolitres (Mhl), soit une hausse de 10 % par rapport à 2013 et de 16 % par rapport à 2012 (source OIV). Et dans ce marché en pleine expansion, la France se taille la part du lion, puisque l’Hexagone est le premier pays producteur de rosé au monde avec des volumes qui culminaient à 7,6 Mhl en 2014, et une progression de 50 % en 12 ans.
“En 2016, la situation reste très bonne, explique Alain Baccino, le président du Conseil interprofessionnel des vins de Provence. Si le marché intérieur a stagné, sans doute en raison des évènements terroristes, l’export a largement compensé et est plus fort que jamais.” Avec 35 % des volumes produits en France, la Provence constitue le fer de lance de ce succès. Une performance ahurissante pour un vin… qui n’était pas véritablement considéré comme un vin il y a seulement 15 ans. “Lorsque mon oncle a acquis la propriété en 2001, le rosé en France était cantonné à une consommation largement locale et estivale, se souvient Alban Cacaret, qui dirige le domaine de la Commanderie de Peyrassol. Et on n’en voyait pas sur les tables des restaurants étoilés.” La situation a bien changé, puisque désormais, tous les restaurants, étoilés ou non, proposent tout au long de l’année (et plus seulement en été) plusieurs cuvées de rosés à leur carte. On peut avancer plusieurs explications à cette Reconquista du rosé. Longtemps considéré comme un vin accessoire, le rosé est d’abord devenu un vin à part entière. Dans de nombreux domaines viticoles, il était élaboré avec les vignes les moins qualitatives, ou était un simple sous-produit des vins rouges obtenu par soutirage. Mais une AOC, la Provence, produisait déjà le rosé comme un vin à part entière avec ses propres cépages, ses propres méthodes d’élaboration, ses propres dates de vendanges… En Provence, le rosé est la couleur reine, alors que dans la plupart des autres appellations, le rouge ou le blanc règnent en maîtres. Forts de ce savoir-faire ancestral, les Provençaux se sont emparés des nouvelles technologies pour modeler un produit qui correspondait aux attentes des consommateurs, et ce grâce à un centre de recherche spécialement créé à Vidauban, dans le Var, en 1999. L’apport de techniques comme la macération à froid ou la thermorégulation a permis l’émergence d’un rosé standard, très pâle de teint, doté d’arômes d’agrumes, de fleurs blanches, facile à apprécier et à déguster. Un vin de fête, un vin de moments qui est particulièrement plébiscité par les femmes et les jeunes. Ce qui fait dire à François Matton, ppropriétairep avec son frère Jean-Étienne du domaine Minuty à Saint-Tropez, que “le rosé est un peu le champagne des jeunes”.
Rosé contre champagne La Provence a attiré des investisseurs, qui ont compris avant tout le monde que le rosé serait la vedette des années 2000 et 2010. On pense bien sûr à Philippe Austruy à la Commanderie de Peyrassol en 2001, à Frédéric Rouzaud, dirigeant du champagne Roederer au domaine d’Ott en 2004, ou à Sacha Lichine au domaine d’Esclans en 2006. Ces pionniers sont venus renforcer la dynamique lancée par des propriétaires déjà installés, comme les frères Matton au château Minuty (qui fête les 80 ans de la présence de leur famille cette année) ou la famille Teillaud au château Sainte-Roseline. Et cet engouement pour le rosé de la part des grands noms du vin, du show-biz ou de la finance serait en train de se renforcer. Brad Pitt et Angelina Jolie ont par exemple investi dans le domaine de Miraval aux côtés de la famille Perrin. Quant à Bernard Arnault, il ferait les yeux doux aux frères Matton à Minuty pour ajouter ce joyau provençal à sa couronne déjà bien garnie… Jusqu’ici sans succès. La réussite est aussi au rendez-vous pour ceux qui ont su s’installer en amont et construire leur marque. Par exemple, alors qu’il produisait 140 000 bouteilles en 2006, Sacha Lichine a vendu 2 millions de bouteilles de sa seule cuvée Whispering g Angel en 2014 ! À son image, cerp tains rosés de Provence ont ainsi su créer des marques fortes et capitaliser dessus, un peu à la façon des grandes maisons de champagne. D’ailleurs, comme ces dernières, nombre de grandes marques provençales sont à la fois propriétaires de vignes et négociantes, c’est-à-dire qu’elles produisent du vin à partir de raisins qu’elles achètent. Même si Sacha Lichine préfère parler de “wineries à l’américaine, plutôt que de maisons de négoce”. De même, comme pour le champagne, ces marques de rosés de