Le rendez-vous manqué
Fiscalité, marché du travail, foncier, les grandes réformes devront attendre
Une taxe qui contraint les commerçants à envoyer un millier de déclarations à l’administration fiscale chaque année n’est considérée comme une amélioration que dans de rares pays. L’Inde pourrait en faire partie. Une taxe sur les biens et les services (GST) devrait être appliquée dès le 1er juillet en Inde. Elle remplacera un millefeuille de taxes et d’impôts locaux et nationaux, de sorte que même le fait de devoir remplirp 37 déclarations ppar an pour chacun des 29 États indiens dans lequel les commerçants opèrent ressemblera par comparaison à un soulagement. En remplaçant les droits de douane intérieurs, la nouvelle taxe devrait débarrasser l’Inde des points de passage et des frontières internes où les poids lourds qui transportent de la marchandise attendent systématiquement durant des heures. Cependant, réduire les procédures administratives peut en fait engendrer plus de complications. La plupart des pays appliquant une TVA se décident à appliquer un taux unique pour beaucoup de biens et de services. L’Inde a choisi d’en avoir six, allant de 0 % à 28 %. Par exemple, les décrets officiels ont décidé que le shampoing, le papier peint et l’eau pétillante sont des articles de luxe qui doivent être taxés à 28 %. Le mascara, la sauce au curry et l’eau plate seront taxés à 18 %. Les restaurants devront payer 12 %, sauf s’ils sont petits (5 %) ou climatisés (18 %). L’espoir que des réformes pourraient donner un nouveau souffle à l’économie indienne imprégnait l’air depuis l’arrivée de Narenda Modi au poste de Premier ministre en mai 2014.
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(...) Mais la GST est peut-être l’exemple le plus éloquent d’une occasion manquée. Les économistes pensent qu’une GST (TVA) simplifiée, qui aurait laissé aux entreprises le loisir de se concentrer sur les biens et les services que leurs clients veulent plutôt que sur ceux avantagés par le droit fiscal, aurait pu ajouter deux points de croissance au PIB. La version compliquée n’engendrera probablement pas plus que la moitié de cela, et encore, après une période de transition douloureuse. Lorsque M. Modi a été élu, de nombreux hommes d’affaires ont grimacé face aux positions clivantes et sectaires de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP). Cependant, ils y ont également vu en lui un réformateur qui promettait “un minimum de gouvernement et un maximum
de gouvernance”. Trois années se sont écoulées et ces espoirs s’évaporent. Ses soutiens avaient espéré qu’il allait réformer l’économie. Ils pensaient voir en lui le leader capable de redonner vie à l’enthousiasme de courte durée pour la libéralisation, en 1991, lorsque l’Inde avait failli se déclarer en faillite. Ils espéraient que l’appareil d’État seraitdisp suadé de tenter de tout faire (et souvent mal), et aurait été encouragé à fournir les services de base comme l’éducation, les services de santé, un marché efficace pour le foncier et la maind’oeuvre, un système judiciaire qui fonctionne et un système de régulation stable dans lequel le secteur privé pourrait créer des emplois. M. Modi a montré qu’il savait gérer astucieusement la machine économique dont il a hérité. La corruption semble avoir diminué, au moins dans les hautes sphères du gouvernement. Mais il a montré peu d’intérêt pour les vraies réformes, celles qui pourraient ramener une croissance soutenue et durable et transformer la vie du 1,3 milliard de citoyens indiens. Le peu qu’il a entrepris doit être mesuré au regard de ce qu’il a saboté, les pans de l’économie qui n’ont connu aucune réforme, et le mauvais plâtre qui dissimule les effets d’une mauvaise politique au lieu de s’attaquer aux causes. M. Modi peut être crédité d’avoir surtout ramené de la stabilité sur le plan macroéconomique. Les sempiternels fléaux comme l’inflation à deux chiffres et le déficit obèse des comptes courants ont disparu. Jusqu’à récemment, l’Inde avait une croissance du PIB supérieure à toutes les autres économies émergentes, même s’il demeure beaucoup de doutes sur la véracité des chiffres fournis sur la croissance du PIB. La libéralisation sporadique des règles sur les investissements a permis d’atteindre des records d’investissements étrangers, même si le point de départ était désespérément bas. La bourse a connu une très forte croissance. Les géants des nouvelles technologies comme Apple et Amazon considèrent l’Inde comme le prochain Far West.
Chance et bon sens
Tout cela est dû à un mélange de chance et de bon sens. La chance, c’est le pétrole. L’Inde est un très grand importateur et les prix ont dégringolé d’un peu plus de 100 dollars le baril en mai 2014 à moins de la moitié maintenant. Les analystes estiment que rien que cela a stimulé la croissance du PIB de 1 à 2 %. M. Modi a également bénéficié du mandat de Raghuram Rajan, le respecté directeur de la Banque centrale nommé par le précédent Premier ministre, dont la politique anti-inflationniste a permis de juguler la hausse des prix. (En fait, M. Rajan a été démis de ses fonctions par M. Modi en 2016). On doit également créditer M. Modi d’avoir su profiter de la baisse du cours du pétrole pour tailler dans les subventions énergétiques et maintenir le déficit budgétaire sous contrôle. Un taux de croissance d’environ 7 % n’est pas négligeable ni risible. Mais les ministres du gouvernement Modi parlent d’une croissance économique de 8 à 10 %, voire plus. C’est le genre de taux de croissance qu’il faudrait pour absorber le million d’Indiens qui entrent sur le marché du travail chaque mois. Réussir cela nécessiterait des réformes profondes et étendues. Quelques initiatives se sont révélées ambitieuses. Une nouvelle loi sur la banqueroute, introduite en mai 2016, pourrait imposer l’exécution des contrats de prêts. Le système judiciaire indien est en déroute: plus de 24 millions de procès sont en attente, plus de 10 % attendent depuis plus de dix ans. La conséquence en est que même la procédure légale la plus simple, comme la saisie par une banque des actifs d’une société en défaut de paiement, s’avère quasi impossible à appliquer. Beaucoup de créanciers attendent de voir comment la nouvelle loi s’applique concrètement avant de parler de succès. M. Modi a également soutenu un projet national d’identification biométriqueq appelépp Aadhaar, qui a permis à l’État indien d’identifier de nouveaux et très nombreux citoyens indiens. Lier les identités numériques via les téléphones mobiles et les comptes en banque a permis de transférer les subventions directement à ceux qui en ont besoin, en court-circuitant les intermédiaires vénaux qui volaient les trois quarts de