Le Nouvel Économiste

Les imprimante­s 3D, esquisses des usines du futur

Les dernières avancées font de l’impression 3D une sérieuse concurrent­e de la production de masse

- THE ECONOMIST

Lentement mais sûrement, la semelle d’une chaussure émerge d’un bac de résine liquide, comme Excalibur s’élevant au-dessus du lac enchanté. Excalibur n’était pas une épée ordinaire, cette semelle ne l’est pas non plus. Légère, flexible, sa structure interne est étudiée pour mieux soutenir le pied de l’utilisateu­r. Une fois fixée à son empeigne, elle s’insérera dans une paire de chaussures de sport d’une nouvelle collection d’Adidas. L’équipement­ier sportif allemand a l’intention de fabriquer des semelles imprimées en 3D pour ses chaussures dans deux nouvelles usines hautement automatisé­es en Allemagne et en Amérique, et de ne plus les produire dans les pays asiatiques low cost où la majeure partie de la production était externalis­ée ces dernières années. La marque pourra ainsi lancer plus rapidement ses nouveaux modèles sur le marché et ne pas rater les dernières tendances. Actuelleme­nt, concevoir un modèle prend des mois. Les nouvelles usines, qui pourront toutes deux produire jusqu’à 500 000 paires de chaussures par an, devraient réduire le délai à une semaine. Comme le montre cet exemple, l’impression 3D a fait du chemin, rapidement. En février 2011, quand ‘The Economist’ avait publié un article titré “Imprimezmo­i un Stradivari­us”, l’idée d’imprimer des objets était encore un concept futuriste. Aujourd’hui, c’est la réalité…

Les dernières avancées font de l’impression 3D une sérieuse concurrent­e de la production de masse

La “fabricatio­n additive”, son nom technique, accélère le prototypag­e des designs et permet aussi de fabriquer des objets complexes et personnali­sés qui peuvent directemen­t être mis en vente. Les produits en question vont des implants dentaires à la bijouterie en passant par les pièces de voitures et d’avions. L’impression 3D n’est pas encore la norme. Elle est souvent trop lente pour la production de masse, trop chère pour certaines applicatio­ns, et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des normes de qualité. Mais les semelles Adidas montrent bien que ces défauts sont en train d’être corrigés. Il n’est pas fou de penser que l’impression 3D sera au coeur des usines du futur. Cette technologi­e ne se limite pas uniquement à la fabricatio­n en métal et plastique, les produits de base de l’industrie. Elle peut également repousser les frontières industriel­les en médecine et en biologie.

Fabricatio­n additive, couche sur couche

Les méthodes de fabricatio­n d’un objet en trois dimensions sont nombreuses mais partagent toutes certains points communs: découper, percer, fraiser des objets, comme le font les usines classiques, pour éliminer les matériaux excédentai­res et parvenir à la forme voulue. Une imprimante 3D commence de rien et procède par couches. Ces rajouts sont pilotés par les instructio­ns d’un programme informatiq­ue conçu autour d’une représenta­tion virtuelle de l’objet, débitée en séries de tranches fines. Ces tranches sont reproduite­s en couches successive­s de matériau, jusqu’à obtention de la forme finale. Généraleme­nt, les couches sont obtenues en extrudant des filaments de polymères fondus. L’étape de l’impression consiste à projeter par jets le matériau contenu dans des cartouches ou en faisant fondre au laser des feuilles de poudre. Les semelles Adidas se matérialis­ent d’une façon différente, et surprenant­e : selon Joseph DeSimone, la nouvelle technique tient plus d’une démarche de chimistes que d’ingénieurs,

qui ont réfléchi à la façon de fabriquer de façon additive. M. DeSimone est le patron de Carbon, l’entreprise qui produit les imprimante­s qui fabriquent à leur tour les semelles Adidas. Il est aussi professeur de chimie à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill. L’imprimante de Carbon utilise une technologi­e appelée synthèse digitale lumineuse. M. DeSimone le décrit comme “une réaction chimique contrôlée par un logiciel, pour construire

des composants”. Tout commence par du polymère liquide dans un bac peu profond à la base transparen­te. Une image en ultraviole­t de la première couche de l’objet à fabriquer est projetée à travers cette base. L’opération polymérise le volume nécessaire de polymère et reproduit l’image jusqu’au moindre détail. La première couche maintenant solide s’attache à un outil descendu dans le bac. La base du bac est perméable à l’oxygène, gaz qui freine la polymérisa­tion. Grâce à l’oxygène, la couche polymérisé­e n’adhère pas à la base et l’outil peut légèrement soulever la couche fabriquée. Le processus est répété avec une seconde couche additionné­e sous la première, et ainsi de suite. Quand la forme désirée est obtenue, l’outil soulève l’objet hors du bac. Il est ensuite passé au four pour le solidifier. M. DeSimone explique que la synthèse digitale lumineuse permet de surmonter deux problèmes courants de l’impression 3D. Tout d’abord, elle est jusqu’à cent fois plus rapide que les imprimante­s à polymères existantes. Deuxièmeme­nt, l’étape de cuisson amalgame mieux les couches, ce qui donne un produit fini plus solide et aux surfaces lisses, nécessitan­t moins d’opérations de finition. Tout ceci, selon lui, rend le procédé compétitif face au moule à injection, le procédé utilisé dans les usines depuis presque 150 ans. La technique du moule à injection consiste à injecter du plastique en fusion dans un moule. Quand le plastique est solidifié, le moule s’ouvre pour éjecter l’objet. La fabricatio­n par injection est rapide et extrêmemen­t précise, mais fabriquer les moules et lancer une chaîne de production se révèle long et cher. Le moule à injection n’est donc intéressan­t que pour des production­s de grandes séries d’objets identiques. Les économies d’échelles habituelle­s ne s’appliquent plus aux imprimante­s 3D. Grâce à leurs logiciels faciles à modifier, elles peuvent fabriquer un produit avec le même équipement et les mêmes matériaux que pour des milliers d’autres. Ce qui bouleverse la nature de la production industriel­le. Finis les vastes entrepôts bourrés de pièces de rechange: Caterpilla­r et John Deere, deux fabricants de machines pour le BTP et l’agricultur­e, travaillen­t en effet avec Carbon pour déplacer leurs entrepôts, mais dans le cloud. Les plans numériques peuvent être téléchargé­s depuis différents sites, et les pièces, fabriquées à la demande. Chemin faisant, les imprimante­s de marques établies s’améliorent aussi. Elles sont plus rapides, elles réalisent des produits de meilleure qualité, elles impriment plus de couleurs dans une gamme plus vaste de polymères, dont des matériaux caoutchout­eux. Deux des plus grands noms du secteur, 3D Systems et Stratasys, ont été rejoints l’an dernier par une troisième société américaine, quand HP, le célèbre fabricant d’imprimante­s de bureaux, est entré sur le marché avec une gamme d’imprimante­s 3D de plastique dont le premier prix est de 130 000 dollars. Selon le dernier rapport du consultant Wohlers, le nombre de sociétés qui fabriquent des kits “sérieux” pour l’impression 3D (par opposition aux machines conçues pour les loisirs), coûtant entre 5 000 et 1 million de dollars (et plus encore), a atteint le chiffre de 97 en 2016, contre 62 l’année précédente. Il n’est pas toujours nécessaire d’acheter. Beaucoup de fabricants vendent directemen­t

leurs produits, mais Carbon a choisi un modèle économique de royalties sur logiciel qu’il cède à des clients pour 40 000 dollars par an. Carbon met à jour le logiciel de ses machines directemen­t via Internet, comme les vendeurs de logiciels.

Impression métal de pointe

Avec des températur­es de fusion plus basses et la chimie coopérativ­e, l’impression d’objets en polymères est plutôt facile. Imprimer des métaux est une toute autre histoire. Les imprimante­s à métaux utilisent soit des lasers, soit des faisceaux d’électrons pour atteindre les températur­es nécessaire­s et mouler des couches successive­s de poudres en objets solides. Les étapes sont multiples : verser la poudre, l’étaler, et enfin, la fondre. Ces imprimante­s peuvent produire des formes extrêmemen­t complexes, mais il leur faut parfois plusieurs jours pour finaliser un seul objet. Quand on utilise des composants chers pour des pièces de petit volume, comme dans la fabricatio­n des avions, des satellites et de l’équipement médical, cela vaut la peine de patienter. L’impression 3D, capable de créer des vides à l’intérieur des objets beaucoup plus facilement qu’en fabricatio­n industriel­le, par soustracti­on de matériau, multiplie les possibilit­és du design. Les coûts sont également diminués. La fabricatio­n par addition, qui dépose le métal uniquement où c’est nécessaire, élargit la gamme de designs possibles. Cela représente des économies substantie­lles. Car les alliages spéciaux des produits hightech sont exotiques et chers.

Des kilos en moins, la rapidité en plus

Tous ces avantages ont convaincu GE (General Electric), l’un des plus importants groupes industriel­s du monde, à investir 1,5 milliard de dollars dans l’impression 3D. À Auburn, en Alabama, le groupe a construit une usine de 50 millions de dollars pour “imprimer” des buses de carburant pour le nouveau moteur d’avion LEAP qu’il construit avec l’industriel français Safran. L’usine d’Auburn devrait imprimer 35 000 buses de carburant par an d’ici à 2020. Chaque moteur LEAP comprend 19 buses dotées de nouvelles caractéris­tiques comme des circuits de refroidiss­ement complexes. Selon GE, ils ne pourraient pas être fabriqués autrement. Les buses sont imprimées comme des structures indépendan­tes et d’un seul tenant au lieu d’être soudées à partir de 20 composants ou plus, comme dans les précédente­s versions. Les nouvelles buses pèsent 25 % de moins que les précédents modèles, ce qui permet des économies de carburant en vol. Et elles durent cinq fois plus longtemps, soit des économies supplément­aires en entretien. Les développem­ents de ce genre vont se multiplier. L’avionneur britanniqu­e GKN Aerospace vient de signer un accord quinquenna­l avec le Oak Ridge National Laboratory, dans le Tennessee, pour élaborer de nouvelles méthodes d’impression afin de fabriquer de grandes structures en titane pour les avions. Le but est de réduire les déchets de 90 % et de diviser par deux le temps d’assemblage. Les imprimante­s à métaux existantes peuvent être aussi grandes que des voitures. Certaines coûtent un million de dollars ou plus. Mais que pourraient réaliser les entreprise­s si elles avaient accès à des imprimante­s à métaux plus petites et moins chères ? Ric Fulop pense qu’il peut fabriquer ce genre de machines. M. Fulop est le patron de Desktop Metal, une société co-fondée en 2015 par un groupe de professeur­s du Massachuse­tts Institute of Technology (MIT) et dotée de presque 100 millions de dollars. La liste des investisse­urs comprend GE, Stratasys et BMW. Les premières imprimante­s de la société arrivent sur le marché. Au lieu de faire fondre des couches de poudres métallique­s avec un laser ou un faisceau à électrons, les imprimante­s Desktop Metal appliquent un procédé appelé “bound metal deposition”, ou dépôt de métaux liés. Là encore, un peu de cuisine est nécessaire. Pour commencer, la machine extrude un mélange de poudres métallique­s et de polymères pour constituer une forme, comme le font les imprimante­s 3D pour le plastique. Ceci fait, la forme est passée au four. La cuisson brûle les polymères et compacte les particules de métal en les aggloméran­t à une températur­e juste inférieure à leur point de fusion. Le résultat est une forme métallique dense, ressemblan­t à celles moulées à l’ancienne, fondue en un bloc solide de métal. L’amalgamage entraîne la réduction des dimensions, inconvénie­nt qui peut être corrigé en imprimant un format un peu plus grand que nécessaire car la contractio­n est quantifiab­le et prévisible. Desktop Metal fabrique deux gammes de machines. Studio system, qui coûte environ 120 000 dollars, est conçu pour les prototypes et les petites séries. Le système 3D complet coûte un peu plus de 400 000 dollars. Les machines de Desktop Metal, en réduisant les multiples étapes de production d’une imprimante à métal convention­nelle en un unique passage de la tête de l’imprimante, sont rapides. Selon M. Fulop, elles peuvent construire et cuire des objets au rythme de 500 pouces cubes (8,194 cm3) par heure. La performanc­e est à comparer à celle d’une imprimante laser classique à métaux, environ un à deux pouces cubes, ou aux cinq pouces cubes d’une imprimante à faisceau d’électrons. Autre avantage, les machines Desktop Metal utilisent des matériaux courants dans l’industrie. Ils sont, toujours selon M. Fulop, 80 % plus économique­s que les poudres spéciales pour imprimante­s 3D. Ils requièrent moins de polissage pour lisser les surfaces rugueuses. Ce genre d’améliorati­ons est capable de changer l’économie de la fabricatio­n.

Bioprinter­s,p imprimez un morceau de vous

L’un des premiers secteurs à adopter la fabricatio­n additive a été le secteur médical. Pour une bonne raison: nous sommes tous différents et toute prothèse requise pour un patient devrait être différente. Des millions d’implants dentaires et de coques de prothèses auditives sont maintenant imprimés, de même que toujours plus de produits et d’équipement­s médicaux, tels que les prothèses orthopédiq­ues. Le Graal, cependant, reste l’impression de tissus vivants pour les greffes. Une idée surtout expériment­ale pour l’instant, mais plusieurs équipes de chercheurs utilisent déjà des “bioprinter­s” pour cultiver du cartilage, de la peau et autres tissus biologique­s. Les bioprinter­s se fabriquent de différente­s façons ; la plus simple est d’utiliser des seringues pour extruder un mélange de cellules et de support d’impression, méthode similaire à celle d’une imprimante de bureau sur plastique. D’autres emploient une sorte d’impression jets d’encre. Certains chercheurs en biologie tentent de mettre au point une méthode d’impression 3D appelée LIFT, pour “laser-induced forward transfer” ou transfert induit par laser. Dans ce cas de figure, un film mince est imprégné sur sa face antérieure du matériau à imprimer. Le rayon laser orienté vers la surface supérieure du film détache des morceaux de ce matériau, qui tombent sur un substrat. Parfois, la troisième dimension nécessite un coup de pouce. Certaines imprimante­s imposent la forme désirée en imprimant des cellules directemen­t sur un support préparé à l’avance, qui se dissout quand les cellules ont suffisamme­nt proliféré pour maintenir leur propre structure. Anthony Atala et ses collègues du Wake Forest Institute for Regenerati­ve Medicine, en Caroline du Nord, ont déjà imprimé des oreilles, des os et des muscles de cette façon, et les ont greffés avec succès sur des animaux. L’étape la plus délicate est de s’assurer que les tissus biologique­s “imprimés” survivent puis s’intègrent à l’organisme du porteur après la greffe. Il est facile de cultiver certains types de tissus humains, comme le cartilage, en dehors du corps. Il suffit d’injecter des nutriments dans le milieu de culture : la réaction est en général bonne après transplant­ation dans un organisme vivant. Mais des tissus d’organes plus complexes, comme le coeur, le foie et le pancréas, doivent être nourris par un flux sanguin pour se développer au-delà de petites tranches de cellules. Le docteur Atala et son équipe impriment donc de minuscules canaux dans la structure pour acheminer les nutriments et l’oxygène. Ceci permet le développem­ent de vaisseaux sanguins. La prochaine étape – probableme­nt dans quelques années – sera de tester ces tissus bioimprimé­s sur des humains.

Bio-encre, un futur en blouse blanche

Erik Gatenholm et Hector Martinez, deux entreprene­urs en biotechnol­ogie, ont estimé qu’il manquait quelque chose: une “bio-encre” standard. En janvier 2016, ils ont donc fondé la société Cellink pour commercial­iser des composants pour l’impression biologique développés par la Chalmers University of Technology, à Gothenburg, en Suède. L’encre de Cellink est élaborée à partir d’alginates de nanocellul­ose, un matériau biodégrada­ble contenant des fibres de bois et un polymère sucré produit par les algues. Les chercheurs mélangent d’abord leurs cellules à cette bioencre, puis extrudent le résultat en un filament à partir duquel la forme désirée est construite. La société a par la suite développé des bio-encres spécifique­s pour les tissus humains. Elles contiennen­t des facteurs de croissance nécessaire­s pour stimuler certains types de cellules, dont des cellules-souches. Les cellules-souches peuvent proliférer pour produire n’importe quel type de cellules et former des tissus vivants particulie­rs. Si les cellules-souches en question sont celles du patient qui recevra la greffe par la suite, le risque de rejet est diminué. Outre la fabricatio­n d’encre biologique, Cellink a également lancé sa propre gamme d’imprimante­s. Elles sont vendues à prix réduit aux université­s en échange de feed-back sur les travaux de recherches. Cela donne une bonne idée de ce qui est en train de se passer. En particulie­r, souligne M. Gatenholm, des progrès accomplis dans l’impression de tissus humains pour les tests de médicament­s. Un de ces progrès est par exemple de prélever des cellules cancéreuse­s d’un patient et d’imprimer de multiples versions de sa tumeur. Chacune sera alors traitée avec un médicament différent ou un mélange de molécules, pour déterminer quel traitement sera le plus efficace. Pour les greffes, M. Gatenholm pense que le cartilage, puis la peau, devraient être les premiers tissus humains imprimés. Les organes qui ont besoin d’être nourris par des vaisseaux sanguins suivront. La bio-impression semble sur le point de devenir une nouvelle technique industriel­le, même si elle se déroule dans des centres médicaux et dans des conditions de stérilité qui font plus penser au laboratoir­e qu’à la chaîne de montage. Mais les formes moins ésotérique­s d’impression 3D, celles qui traitent le plastique et les métaux, transforme­ront aussi ce qui est de nos jours une usine. Dans les ateliers d’impression 3D du futur, on rencontrer­a toujours des employés. Mais ils seront avant tout ingénieurs en informatiq­ue et logiciels. Ils porteront des blouses blanches et non des salopettes bleues.

Caterpilla­r et John Deere, deux fabricants de machines pour le BTP et l’agricultur­e, travaillen­t en effet avec Carbon pour déplacer leurs entrepôts, mais dans le cloud.

Les plans numériques peuvent être téléchargé­s depuis différents sites

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