Le Nouvel Économiste

Un rêve ggirondin ppasse, , l’État jacobin demeure

Qui ppeut croire à de vrais dessaisiss­ements du pouvoir de l’État central dans un pays qui manque cruellemen­t de culture fédéralist­e ?

- LE COGITO DU QUINQUENNA­T, JEAN-MICHEL LAMY

Ce 17 juillet, au Sénat, le gouverneme­nt a donné rendez-vous en Conférence nationale des territoire­s (CNT) à toute la nomenklatu­ra des collectivi­tés françaises – associatio­n d’élus et comités techniques. De part et d’autre les énergies seront concentrée­s sur les contours du ppacte financier de responsabi­litép que l’État entend négocier avec les différents échelons locaux. Les maires sont particuliè­rement alarmés par la confirmati­on élyséenne du lancement dès l’an prochain du processus de suppressio­n de la taxe d’habitation. Ils ne croient pas à la compensati­onp à l’euro pprès ppromise par l’État ! Il est fort dommage qu’en ce début de quinquenna­t, la question territoria­le soit ramenée une fois de plus à celle de la gestion d’équilibres comptables.

Pactes girondins de décentrali­sation

Lors de la campagne présidenti­elle, le défi des territoire­s “progressiv­ement délaissés, voire abandonnés” a été loin d’occuper le devant de la scène. Le programme Macron proposait avant tout une approche clinique traitant à la queue leu leu des défis standards – millefeuil­le administra­tif, haut débit, logement, transports, Plan de transition agricole. Sans la moindre vision d’ensemble. Mais devant les parlementa­ires réunis en Congrès à Versailles, le président de la République a semblé davantage stratège.g Le chef de l’État a alors esquissé le projet de “conclure avec nos territoire­s

de vrais pactes girondins” de décentrali­sation. Que voilà une grande ambition qui nous plonge directemen­t au coeur de l’histoire politique de ce pays. Elle a pourtant toute chance de rester un propos de tribune parce que la France fonctionne sur le mode centralisé et égalitaire. Sans le concours puissant d’une démarche fédérale, aucune réorganisa­tion sérieuse de la gouvernanc­e locale n’est envisageab­le. Seule une responsabi­lisation pleine et entière des acteurs locaux pourrait changer la donne. Mais qui ppeut croire à de vrais dessaisiss­ements du pouvoir de l’Étatcenq tral au bénéfice de féodalités régionales ou métropolit­aines ? En tout cas, rien de tel n’est au programme du quinquenna­t. En attendant cet hypothétiq­ue moment girondin, les urgences territoria­les se multiplien­t. Les traitement­s cautère sur une jjambe de bois également.g Un rêve girondin passe, l’État jacobin demeure.

L’alerte incendie du Front national

L’alerte incendie vient de se déclencher 19 000 fois. C’est le nombre de communes qui ont placé, au premier tour de la présidenti­elle 2017, Marine Le Pen (FN) en tête devant tous les autres candidats. C’est le vote de protestati­on d’une population qui voit son avenir économique se réduire comme peau de chagrin. En tant que représenta­nt constituti­onnel des collectivi­tés territoria­les, le Sénat porte depuis de longues années un regard lucide sur cette désespéran­ce. Comme jamais, elle a été mise en lumière à la dernière présidenti­elle. Le vote Macron fut celui de l’autre France, celle qui est insérée dans le monde nouveau. La Commission de l’aménagemen­t du territoire et du développem­ent durable du Palais du Luxembourg explique pourquoi le développem­ent économique se concentre essentiell­ement autour de quelques pôles métropolit­ains alors que de nombreux territoire­s connaissen­t un sentiment de décrochage: “la métropolis­ation conduit à polariser les emplois et la création de richesses dans le coeur des grandes agglomérat­ions; la crise des finances publiques s’accompagne d’une raréfactio­n des ressources budgétaire­s et, dans certains cas, d’un repli des services publics; la mondialisa­tion entraîne une nouvelle division du travail et le dépérissem­ent de certains sites industriel­s excentrés”.

Les “migrants de l’intérieur”

Christophe Guilluy publiait en 2010 un ouvrage culte, ‘Fractures françaises’, qui dévoilait cette géographie sociale. L’auteur distinguai­t une France métropolit­aine qui concentre près de 40 % de la population, et une France périphériq­ue où se répartisse­ntp les 60 % restants. “À l’écart des catégories hier opposées, ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, petits paysans, retraités issus de ces catégories partagent désormais une perception commune des effets de l’intégratio­n à l’économie-monde et de son corollaire, la métropolis­ation”, souligne le géographe. La traduction en termes économique de cette situation ne laisse aucun doute sur la réalité de ces “migrants de l’intérieur” qui, d’une certaine manière, ont coupé les liens avec le monde extérieur mais demeurent sur place. Entre 2000 et 2010, les grandes aires urbaines françaises ont capté 75 % de la croissance. De même, sur 2 millions d’emplois créés entre 1999 et 2011, la moitié environ était localisée dans 30 zones d’emploi. Ces tendances ont été amplifiées par la loi Maptam du 27 janvier 2014 (Modernisat­ion de l’action publique territoria­le et d’affirmatio­n des métropoles) qui a acté le passage de quinze à vingt-deux métropoles. Tout comme au niveau internatio­nal, la richesse produite dans les zones à forte expansion ne diffuse pas spontanéme­nt vers les secteurs en déshérence.

Numérique et médical, les deux fractures de blocage

Hervé Maurey, sénateur de l’Eure, président de la Commission de l’aménagemen­t du territoire, pointe deux facteurs de blocage. Il demande où sont passés les engagement­s sur le numérique et sur la démographi­e médicale. “Dans la loi Macron, il était inscrit que pour la 3G, tout serait prêt pour le 30 juin 2017. Les opérateurs n’ont toujours pas respecté leur parole”, dénonce-t-il. Conscient de cette défaillanc­e, le gouverneme­nt vient de rappeler l’exigence d’une couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit fixe à l’échéance 2022, et celle de l’accélérati­on significat­ive de la couverture mobile avec la fin des zones blanches 4G pour 2020. Les opérateurs sont tenus de fournir une feuille de route pour septembre… Sur la démographi­e médicale, ou plus précisémen­t les zones de désert médical, Hervé Maurey fait également part de son scepticism­e: “la ministre des Solidarité­s et de la Santé a annoncé que c’était une priorité. Puis elle a dit que ce sera incitatif. C’est ce qu’on fait depuis trente ans : ça ne marche pas”. Et d’ajouter: “qu’est-ce qui va se passer, on n’en sait rien”. À titre d’exemple, remarquons que le départemen­t de l’Eure recensait 167 médecins pour 100 000 habitants en 2015, contre 678 à Paris.

Pour un retour de l’aménagemen­t du territoire

Jean-Christophe Fromentin, maire de Neuilly-sur-Seine, milite pour sa part en faveur “d’un vrai plan d’aménagemen­t du territoire, un mot totalement oublié pendant la campagne présidenti­elle. Or c’est un sujet d’actualité quand on voit la cartograph­ie du Front

national”. Pour le maire, il s’agit de “re-fertiliser” des territoire­s totalement en jachère qui, en réalité, ont des atouts. Sur la même longueurg d’onde, le Sénat déplore que l’État se contente désormais d’une simple politique d’accompagne­ment sans cohérence d’ensemble. Au passage, le Sénat moque la longue liste des sigles administra­tifs qui ont succédé à la défunte Datar (Délégation interminis­térielle à l’aménagemen­t du territoire et à l’action régionale) portée disparue à l’orée des années 2000. Elle avait été créée en 1963 pour être le bras armé d’une volonté organisatr­ice et unitaire. Ce dernier quart de siècle aura vu dans bien des domaines le torpillage de politiques publiques efficaces. Ainsi celle menée par la Datar – assise sur une ligne directrice ferme – a été remplacée par une boîte à outils mi-figue mi-raisin. Pour la bonne raison que la puissance ppubliqueq restait au milieu du ggué ! En même temps que l’État prônait la décentrali­sation et démantelai­t son propre pouvoir, il refusait d’accorder aux collectivi­tés territoria­les les vrais instrument­s d’un pouvoir local. Résultat, la France cumule tous les inconvénie­nts et ajoute des échelons aux échelons. Le Grand Paris,, sa métropole,p, sa ville (Paris),), ses EPT (Établissem­ent public territoria­l) etc. est un exemple parfait de désordre administra­tif.

Fédéralism­e contre Ancien Régime

Jean-Christophe Fromentin avait ce jugement lors de la campagne des 577 pour les législativ­es: “son organisati­on centralisé­e et suradminis­trée, héritée de l’Ancien Régime et renforcée par Napoléon, qui a été un atout indéniable pendant les années de révolution industriel­le et de fordisme, s’avère être un frein considérab­le à son adaptation et à une économie qui repose aujourd’hui sur les mobilités, l’entreprene­uriat, la génération continue de nouveaux modèles”. Oui, la “Grande Nation”, comme aiment se moquer les Allemands, ignore les vertus du fédéralism­e. Certes il peut être dévoyé comme en Belgique ou grippé comme au Royaume-Uni, mais une telle forme d’organisati­on ferait à coup sûr sortir la France de cet inextricab­le enchevêtre­ment de compétence­s locales et nationales. Alors chacun saurait enfin qui fait quoi avec en clef de voûte le maintien d’un arbitre suprême – l’État. En extrapolan­t – beaucoup – la notion de pacte girondin énoncée par Emmanuel Macron, ce serait cela, le chemin que pourrait prendre une France des régions équilibran­tq l’État central. L’analyse deJeang Christophe Fromentin rejoint par certains aspects une telle trajectoir­e. Le maire de Neuilly-sur-Seine est formel : “les frais de structure liés à la complexité territoria­le ne sont plus supportabl­es par le pays. Il faut donc un pacte girondin. Au-delà de l’aménagemen­t du territoire, il faut une remise en cause des coûts de structure de la France et de ses territoire­s. Quelle gouvernanc­e nous faut-il ? C’est ce que j’aurais aimé trouver dans l’intitulé la Conférence des territoire­s”.

La facilité de l’immobilism­e

Il y a fort à parier en effet que l’irruption du débat autour de la taxe

d’habitation ou des 75 000 fonctionna­ires des collectivi­tés territoria­les à “économiser” en cinq ans pousse plutôt à l’immobilism­e qu’à l’innovation institutio­nnelle. Même les timides suggestion­s du Premier ministre, lors de la déclaratio­n de ppolitique­q ggénérale,, risquentq de tomber à plat. Édouard Philippe avait lancé à la cantonade : “osons les expériment­ations. Ne décrétons pas depuis Paris la fin du millefeuil­le territoria­l. Tendons partout où c’est possible vers deux niveaux seulement d’administra­tion locale en dessous du niveau régional”. Fort bien. Mais si les Yvelines et les Hautsde-Seine fusionnent pour de bon, comme le souhaitent leurs présidents respectifs, quel gouvernant se lèvera pour défendre la suppressio­n de l’échelon départemen­tal ou son raccordeme­nt à d’autres instances ? Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, est partisan de ces rapprochem­ents multiples. Dans le cadre du Grand Lyon, ce fut une réussite. De là à transforme­r le territoire en une mosaïque d’alliances de terrain au coup par coup, il y a un pas à éviter. Le fait d’expériment­er des dispositif­s, de mettre un peu de souplesse, très bien. Mais concrèteme­nt, qu’estce qu’on fait? L’organisati­on du territoire demande réflexion et vue d’ensemble. Un ministre, Jacques Mézard, a en charge la “Cohésion des territoire­s”. On cherche sa feuille de route, qui pour l’heure a tout de la feuille blanche. Dans cette perspectiv­e, les conseils éclairés du maire Jean-Christophe Fromentin sont bienvenus. Il recommande de reconsidér­er le binôme métropole-région et le binôme commune-intercommu­nalité. “Ce sont deux niveaux à rationalis­er et à simplifier”, souligne l’élu. En reconsidér­ant les tailles moyennes des intercommu­nalités, cela éviterait de faire des métropoles l’alpha et l’oméga du développem­ent territoria­l. Ensuite, l’élu propose de poser “un carrelage” sur tout ça. Grâce à un aménagemen­t du territoire retrouvant les inspiratio­ns d’une Datar connectée à l’esprit girondin. Ce qui pourrait prendre les formes d’un fédéralism­e à la française. Ce qui serait une rupture avec des pans entiers de l’histoire de ce pays. On comprend qu’un tel programme ne soit pas au menu de la prochaine Conférence nationale des territoire­s – le mot “national” est d’ailleurs un marqueur. Mais ce sera peut-être au menu de la prochaine campagne présidenti­elle.

“Les frais de structure liés à la complexité territoria­le ne sont plus supportabl­es par le pays. Il faut

donc un pacte girondin. Au-delà de l’aménagemen­t du territoire, il faut une remise en cause des coûts de structure de la France et de ses

territoire­s”

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