Un rêve ggirondin ppasse, , l’État jacobin demeure
Qui ppeut croire à de vrais dessaisissements du pouvoir de l’État central dans un pays qui manque cruellement de culture fédéraliste ?
Ce 17 juillet, au Sénat, le gouvernement a donné rendez-vous en Conférence nationale des territoires (CNT) à toute la nomenklatura des collectivités françaises – association d’élus et comités techniques. De part et d’autre les énergies seront concentrées sur les contours du ppacte financier de responsabilitép que l’État entend négocier avec les différents échelons locaux. Les maires sont particulièrement alarmés par la confirmation élyséenne du lancement dès l’an prochain du processus de suppression de la taxe d’habitation. Ils ne croient pas à la compensationp à l’euro pprès ppromise par l’État ! Il est fort dommage qu’en ce début de quinquennat, la question territoriale soit ramenée une fois de plus à celle de la gestion d’équilibres comptables.
Pactes girondins de décentralisation
Lors de la campagne présidentielle, le défi des territoires “progressivement délaissés, voire abandonnés” a été loin d’occuper le devant de la scène. Le programme Macron proposait avant tout une approche clinique traitant à la queue leu leu des défis standards – millefeuille administratif, haut débit, logement, transports, Plan de transition agricole. Sans la moindre vision d’ensemble. Mais devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, le président de la République a semblé davantage stratège.g Le chef de l’État a alors esquissé le projet de “conclure avec nos territoires
de vrais pactes girondins” de décentralisation. Que voilà une grande ambition qui nous plonge directement au coeur de l’histoire politique de ce pays. Elle a pourtant toute chance de rester un propos de tribune parce que la France fonctionne sur le mode centralisé et égalitaire. Sans le concours puissant d’une démarche fédérale, aucune réorganisation sérieuse de la gouvernance locale n’est envisageable. Seule une responsabilisation pleine et entière des acteurs locaux pourrait changer la donne. Mais qui ppeut croire à de vrais dessaisissements du pouvoir de l’Étatcenq tral au bénéfice de féodalités régionales ou métropolitaines ? En tout cas, rien de tel n’est au programme du quinquennat. En attendant cet hypothétique moment girondin, les urgences territoriales se multiplient. Les traitements cautère sur une jjambe de bois également.g Un rêve girondin passe, l’État jacobin demeure.
L’alerte incendie du Front national
L’alerte incendie vient de se déclencher 19 000 fois. C’est le nombre de communes qui ont placé, au premier tour de la présidentielle 2017, Marine Le Pen (FN) en tête devant tous les autres candidats. C’est le vote de protestation d’une population qui voit son avenir économique se réduire comme peau de chagrin. En tant que représentant constitutionnel des collectivités territoriales, le Sénat porte depuis de longues années un regard lucide sur cette désespérance. Comme jamais, elle a été mise en lumière à la dernière présidentielle. Le vote Macron fut celui de l’autre France, celle qui est insérée dans le monde nouveau. La Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Palais du Luxembourg explique pourquoi le développement économique se concentre essentiellement autour de quelques pôles métropolitains alors que de nombreux territoires connaissent un sentiment de décrochage: “la métropolisation conduit à polariser les emplois et la création de richesses dans le coeur des grandes agglomérations; la crise des finances publiques s’accompagne d’une raréfaction des ressources budgétaires et, dans certains cas, d’un repli des services publics; la mondialisation entraîne une nouvelle division du travail et le dépérissement de certains sites industriels excentrés”.
Les “migrants de l’intérieur”
Christophe Guilluy publiait en 2010 un ouvrage culte, ‘Fractures françaises’, qui dévoilait cette géographie sociale. L’auteur distinguait une France métropolitaine qui concentre près de 40 % de la population, et une France périphérique où se répartissentp les 60 % restants. “À l’écart des catégories hier opposées, ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, petits paysans, retraités issus de ces catégories partagent désormais une perception commune des effets de l’intégration à l’économie-monde et de son corollaire, la métropolisation”, souligne le géographe. La traduction en termes économique de cette situation ne laisse aucun doute sur la réalité de ces “migrants de l’intérieur” qui, d’une certaine manière, ont coupé les liens avec le monde extérieur mais demeurent sur place. Entre 2000 et 2010, les grandes aires urbaines françaises ont capté 75 % de la croissance. De même, sur 2 millions d’emplois créés entre 1999 et 2011, la moitié environ était localisée dans 30 zones d’emploi. Ces tendances ont été amplifiées par la loi Maptam du 27 janvier 2014 (Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) qui a acté le passage de quinze à vingt-deux métropoles. Tout comme au niveau international, la richesse produite dans les zones à forte expansion ne diffuse pas spontanément vers les secteurs en déshérence.
Numérique et médical, les deux fractures de blocage
Hervé Maurey, sénateur de l’Eure, président de la Commission de l’aménagement du territoire, pointe deux facteurs de blocage. Il demande où sont passés les engagements sur le numérique et sur la démographie médicale. “Dans la loi Macron, il était inscrit que pour la 3G, tout serait prêt pour le 30 juin 2017. Les opérateurs n’ont toujours pas respecté leur parole”, dénonce-t-il. Conscient de cette défaillance, le gouvernement vient de rappeler l’exigence d’une couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit fixe à l’échéance 2022, et celle de l’accélération significative de la couverture mobile avec la fin des zones blanches 4G pour 2020. Les opérateurs sont tenus de fournir une feuille de route pour septembre… Sur la démographie médicale, ou plus précisément les zones de désert médical, Hervé Maurey fait également part de son scepticisme: “la ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé que c’était une priorité. Puis elle a dit que ce sera incitatif. C’est ce qu’on fait depuis trente ans : ça ne marche pas”. Et d’ajouter: “qu’est-ce qui va se passer, on n’en sait rien”. À titre d’exemple, remarquons que le département de l’Eure recensait 167 médecins pour 100 000 habitants en 2015, contre 678 à Paris.
Pour un retour de l’aménagement du territoire
Jean-Christophe Fromentin, maire de Neuilly-sur-Seine, milite pour sa part en faveur “d’un vrai plan d’aménagement du territoire, un mot totalement oublié pendant la campagne présidentielle. Or c’est un sujet d’actualité quand on voit la cartographie du Front
national”. Pour le maire, il s’agit de “re-fertiliser” des territoires totalement en jachère qui, en réalité, ont des atouts. Sur la même longueurg d’onde, le Sénat déplore que l’État se contente désormais d’une simple politique d’accompagnement sans cohérence d’ensemble. Au passage, le Sénat moque la longue liste des sigles administratifs qui ont succédé à la défunte Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) portée disparue à l’orée des années 2000. Elle avait été créée en 1963 pour être le bras armé d’une volonté organisatrice et unitaire. Ce dernier quart de siècle aura vu dans bien des domaines le torpillage de politiques publiques efficaces. Ainsi celle menée par la Datar – assise sur une ligne directrice ferme – a été remplacée par une boîte à outils mi-figue mi-raisin. Pour la bonne raison que la puissance ppubliqueq restait au milieu du ggué ! En même temps que l’État prônait la décentralisation et démantelait son propre pouvoir, il refusait d’accorder aux collectivités territoriales les vrais instruments d’un pouvoir local. Résultat, la France cumule tous les inconvénients et ajoute des échelons aux échelons. Le Grand Paris,, sa métropole,p, sa ville (Paris),), ses EPT (Établissement public territorial) etc. est un exemple parfait de désordre administratif.
Fédéralisme contre Ancien Régime
Jean-Christophe Fromentin avait ce jugement lors de la campagne des 577 pour les législatives: “son organisation centralisée et suradministrée, héritée de l’Ancien Régime et renforcée par Napoléon, qui a été un atout indéniable pendant les années de révolution industrielle et de fordisme, s’avère être un frein considérable à son adaptation et à une économie qui repose aujourd’hui sur les mobilités, l’entrepreneuriat, la génération continue de nouveaux modèles”. Oui, la “Grande Nation”, comme aiment se moquer les Allemands, ignore les vertus du fédéralisme. Certes il peut être dévoyé comme en Belgique ou grippé comme au Royaume-Uni, mais une telle forme d’organisation ferait à coup sûr sortir la France de cet inextricable enchevêtrement de compétences locales et nationales. Alors chacun saurait enfin qui fait quoi avec en clef de voûte le maintien d’un arbitre suprême – l’État. En extrapolant – beaucoup – la notion de pacte girondin énoncée par Emmanuel Macron, ce serait cela, le chemin que pourrait prendre une France des régions équilibrantq l’État central. L’analyse deJeang Christophe Fromentin rejoint par certains aspects une telle trajectoire. Le maire de Neuilly-sur-Seine est formel : “les frais de structure liés à la complexité territoriale ne sont plus supportables par le pays. Il faut donc un pacte girondin. Au-delà de l’aménagement du territoire, il faut une remise en cause des coûts de structure de la France et de ses territoires. Quelle gouvernance nous faut-il ? C’est ce que j’aurais aimé trouver dans l’intitulé la Conférence des territoires”.
La facilité de l’immobilisme
Il y a fort à parier en effet que l’irruption du débat autour de la taxe
d’habitation ou des 75 000 fonctionnaires des collectivités territoriales à “économiser” en cinq ans pousse plutôt à l’immobilisme qu’à l’innovation institutionnelle. Même les timides suggestions du Premier ministre, lors de la déclaration de ppolitiqueq ggénérale,, risquentq de tomber à plat. Édouard Philippe avait lancé à la cantonade : “osons les expérimentations. Ne décrétons pas depuis Paris la fin du millefeuille territorial. Tendons partout où c’est possible vers deux niveaux seulement d’administration locale en dessous du niveau régional”. Fort bien. Mais si les Yvelines et les Hautsde-Seine fusionnent pour de bon, comme le souhaitent leurs présidents respectifs, quel gouvernant se lèvera pour défendre la suppression de l’échelon départemental ou son raccordement à d’autres instances ? Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, est partisan de ces rapprochements multiples. Dans le cadre du Grand Lyon, ce fut une réussite. De là à transformer le territoire en une mosaïque d’alliances de terrain au coup par coup, il y a un pas à éviter. Le fait d’expérimenter des dispositifs, de mettre un peu de souplesse, très bien. Mais concrètement, qu’estce qu’on fait? L’organisation du territoire demande réflexion et vue d’ensemble. Un ministre, Jacques Mézard, a en charge la “Cohésion des territoires”. On cherche sa feuille de route, qui pour l’heure a tout de la feuille blanche. Dans cette perspective, les conseils éclairés du maire Jean-Christophe Fromentin sont bienvenus. Il recommande de reconsidérer le binôme métropole-région et le binôme commune-intercommunalité. “Ce sont deux niveaux à rationaliser et à simplifier”, souligne l’élu. En reconsidérant les tailles moyennes des intercommunalités, cela éviterait de faire des métropoles l’alpha et l’oméga du développement territorial. Ensuite, l’élu propose de poser “un carrelage” sur tout ça. Grâce à un aménagement du territoire retrouvant les inspirations d’une Datar connectée à l’esprit girondin. Ce qui pourrait prendre les formes d’un fédéralisme à la française. Ce qui serait une rupture avec des pans entiers de l’histoire de ce pays. On comprend qu’un tel programme ne soit pas au menu de la prochaine Conférence nationale des territoires – le mot “national” est d’ailleurs un marqueur. Mais ce sera peut-être au menu de la prochaine campagne présidentielle.
“Les frais de structure liés à la complexité territoriale ne sont plus supportables par le pays. Il faut
donc un pacte girondin. Au-delà de l’aménagement du territoire, il faut une remise en cause des coûts de structure de la France et de ses
territoires”