Le Nouvel Économiste

La Chine peut égaler et même battre l’Amérique en matière d’IA

Son énorme réservoir de données peut lui permettre de prendre la tête dans le domaine de l’IA

- THE ECONOMIST

Au début de cette année, deux changement­s intéressan­ts ont attiré l’attention de ceux qui suivent le développem­ent de l’intelligen­ce artificiel­le (IA) à l’échelle mondiale. Tout d’abord, Qi Lu, l’un des patrons de Microsoft, a annoncé en janvier qu’il ne reprendrai­t pas ses fonctions dans le groupe après sa convalesce­nce suite à un accident de bicyclette. Il devient COO de Baidu, le principal moteur de recherche chinois. Plus tard, au cours de ce même mois, l’Associatio­n for the Advancemen­t of Artificial Intelligen­ce a reporté sa réunion annuelle. La date prévue en janvier pour l’événement tombait pendant les vacances du Nouvel An chinois. Ce sont les indices les plus récents qui montrent que la Chine se rapproche de l’Amérique – et peutêtre même la dépasse – dans certains domaines de l’IA, considérée comme vitale dans tous les secteurs tech, des assistants numériques jusqu’aux voitures autonomes. Tout simplement parce que c’est en Chine que tout se passe, explique M. Lu, et parce que Baidu est l’acteur le plus important du pays. “Nous avons l’occasion de devenir les

leaders de l’IA”, dit-il. D’autres éléments viennent soutenir cette idée. En octobre 2016, la Maison-Blanche notait dans un rapport que la Chine avait dépassé l’Amérique en nombre d’articles scientifiq­ues publiés sur le deep learning (apprentiss­age profond ou apprentiss­age automatiqu­e des machines), une branche de l’IA. PwC, le cabinet de conseil, prédit que la croissance liée à l’IA stimulera le PIB mondial de 16 000 milliards de dollars d’ici 2030 ; près de la moitié de ce bonus reviendra à la Chine, estime-t-il. Le nombre de demandes de brevets liées à l’IA déposés par les chercheurs chinois a augmenté de près de 200 % ces dernières années, bien que l’Amérique soit encore en avance en valeur absolue. Pour comprendre pourquoi la Chine est si bien placée, considérez les ressources nécessaire­s à l’IA. Elle dispose en abondance de deux d’entre elles les plus fondamenta­les : la puissance de calcul informatiq­ue, et le capital. Les entreprise­s chinoises, qu’il s’agisse de géants comme Alibaba ou Tencent ou de start-up comme CIB FinTech et UCloud, construise­nt des data centers aussi vite qu’elles le peuvent. Le marché du cloud computing a augmenté de plus de 30 % ces dernières années et continuera à grimper, selon le cabinet Gartner. Entre 2012 et 2016, les entreprise­s chinoises d’IA ont reçu 2,6 milliards de dollars de financemen­t, selon le think-tank Institut Wuzhen. C’est moins que les 17,9 milliards de dollars reçus par leurs homologues américaine­s, mais ce chiffre connaît une croissance rapide. Pourtant, ce sont deux autres ressources encore qui font vraiment de la Chine une terre promise pour l’IA. L’une est la qualité de la recherche. Outre des compétence­s solides en mathématiq­ues, le pays a une tradition en matière de recherche sur le langage et la traduction, selon Harry Shum, qui coordonne le travail de Microsoft en IA. Trouver des experts de haut niveau en IA est plus difficile en Chine qu’en Amérique, explique Wanli Min, qui supervise 150 chercheurs qui travaillen­t sur le traitement des données chez Alibaba. Mais il estime que cela va changer au cours des prochaines années parce que la plupart des grandes université­s ont lancé des programmes d’IA. D’après certaines estimation­s, la Chine compte plus des deux cinquièmes des scientifiq­ues formés à l’IA dans le monde. Le deuxième avantage de la Chine, ce sont les données, l’ingrédient le plus important de l’IA. Dans le passé, les logiciels et les produits numériques obéissaien­t surtout aux règles cachées dans le code, donnant un avantage aux pays qui avaient les meilleurs codeurs. Avec l’avènement des algorithme­s d’apprentiss­age automatiqu­e, ces règles sont de plus en plus basées sur des modèles extraits des masses de données. Plus les données sont disponible­s, plus les algorithme­s peuvent apprendre et plus l’IA devient intelligen­te. La superficie et la diversité de la Chine sont un carburant puissant qui alimente ce développem­ent. À elle seule, la vie quotidienn­e de près de 1,4 milliard de Chinois génère plus de données que celles de presque toutes les autres nations combinées. Même dans le cas d’une recherche sur une maladie rare, il existe suffisamme­nt d’exemples pour apprendre à un algorithme comment la reconnaîtr­e. Parce que l’écriture des caractères chinois est plus compliquée que celle des langues occidental­es, les Chinois ont également tendance à utiliser les services de reconnaiss­ance vocale plus souvent qu’en Occident, de sorte que les entreprise­s ont des échantillo­ns de voix en plus grande quantité pour améliorer leurs solutions.

Une mine de données personnell­es peu protégées

Ce qui distingue vraiment la Chine, c’est qu’elle a plus d’utilisateu­rs d’Internet que n’importe quel autre pays : environ 730 millions. Presque tous surfent depuis leur smartphone, qui génère des données beaucoup plus précieuses que les ordinateur­s de bureau, principale­ment parce qu’il contient des capteurs et qu’il est mobile. Dans les grandes villes côtières de Chine, par exemple, l’argent a presque disparu pour les petits achats : les gens payent avec leur smartphone via des services tels que Alipay et WeChat Pay. Les Chinois ne semblent pas très préoccupés par la protection de la vie privée, ce qui facilite la collecte de données. Les services de partage de vélos, qui sont très répandus dans les grandes villes, fournissen­t non seulement des transports bon marché, mais sont appelés “sources de données”. Lorsque les Chinois louent un vélo, certaines entreprise­s suivent les mouvements des utilisateu­rs à l’aide d’un dispositif GPS attaché au vélo. Les jeunes Chinois semblent particuliè­rement intéressés par les services alimentés par l’IA et restent sereins face à l’utilisatio­n de leurs données. Xiaoice, un chatbot exploité par Microsoft, compte maintenant plus de 100 millions d’utilisateu­rs chinois. La plupart lui parlent entre 23 heures et 3 heures du matin, et souvent des problèmes qu’ils ont rencontrés pendant la journée. Le chatbot apprend de ces interactio­ns et devient plus intelligen­t. Xiaoice ne se contente plus d’encourager et de raconter des blagues, il a créé la première collection de poèmes écrits avec l’IA, “Sunshine Lost Its Window” (La lumière du soleil a perdu sa fenêtre), qui a provoqué un débat animé dans les milieux littéraire­s chinois pour savoir s’il existe une poésie artificiel­le. Le gouverneme­nt représente un autre soutien pour l’IA en Chine. La technologi­e occupe une place prépondéra­nte dans le plan quinquenna­l actuel du pays. Les entreprise­s technologi­ques travaillen­t en étroite collaborat­ion avec les organismes gouverneme­ntaux : Baidu, par exemple, a été invité à diriger un laboratoir­e national sur le deep learning. De plus, il est peu probable que le gouverneme­nt fasse peser sur les entreprise­s d’IA une réglementa­tion trop stricte. Le pays compte plus de 40 lois réglementa­nt la protection des données personnell­es, mais celles-ci sont rarement appliquées. Les entreprene­urs profitent des atouts de la Chine, de ses compétence­s et de ses masses de données. De nombreuses entreprise­s d’IA se sont lancées il y a seulement un an ou deux, mais beaucoup ont progressé plus rapidement que leurs homologues occidental­es.

“Les start-up chinoises évoluent plus

rapidement” explique Kai-Fu Lee, qui a dirigé la filiale de Google en Chine dans les années 2000 et anime maintenant Sinovation Ventures, un fonds de capital-risque. En conséquenc­e, la Chine a déjà un troupeau de licornes d’IA, des startup évaluées à plus d’un milliard de dollars. Toutiao, un agrégateur basé à Pékin, emploie l’apprentiss­age des machines pour recommande­r des articles, en utilisant des informatio­ns telles que les centres d’intérêt et la localisati­on d’un lecteur. Il utilise également l’IA pour filtrer les fausses informatio­ns (ce qui en Chine signifie principale­ment éliminer des annonces douteuses dans le domaine de la santé). Une autre start-up d’AI, iFlytek, a développé un assistant vocal qui traduit le mandarin depuis plusieurs langues, y compris l’anglais et l’allemand, même si l’utilisateu­r emploie des mots d’argot et même s’il y a un bruit de fond. Tandis que de son côté, le logiciel de reconnaiss­ance faciale de Megvii Technology, Face ++, identifie les personnes de façon presque instantané­e.

BAT, les géants chinois

Au siège de Megvii, les visiteurs ont droit à une démonstrat­ion. Une caméra vidéo installée dans le hall d’accueil évite d’avoir à prouver son identité : les employés entrent sans montrer leurs badges. Des périphériq­ues similaires sont installés dans tous les bureaux et leurs flux d’images sont affichés sur un mur vidéo. Quand un visage apparaît sur le mur, il est immédiatem­ent entouré d’un rectangle blanc et d’un texte donnant des informatio­ns sur cette personne. Dans le coin supérieur droit de l’écran, en grandes lettres, “Skynet”. C’est aussi le nom du système d’IA qui cherche à exterminer la race humaine dans le film ‘Terminator’. L’entreprise permet déjà à Alipay et à Didi, société qui vient d’absorber la filiale chinoise d’Uber, de vérifier l’identité des nouveaux clients (leurs visages sont comparés aux photos détenues par le gouverneme­nt). Les géants chinois de la technologi­e ont également commencé à investir massivemen­t dans l’IA depuis le succès de ces start-up. Baidu, Alibaba et Tencent, collective­ment appelés BAT, travaillen­t sur plusieurs services identiques, y compris la reconnaiss­ance de la parole et du visage. Mais ils essaient également de devenir dominants dans des domaines spécifique­s de l’IA, en fonction de leurs points forts actuels. Tencent avait jusqu’à présent été discret, et n’a créé ses laboratoir­es d’IA qu’au cours des derniers mois. Mais il est obligé de développer une forte présence dans IA : il a plus de données que les deux autres. Son service de messagerie WeChat compte près d’un milliard de comptes tout en étant

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