Le Nouvel Économiste

Les Africains de l’abbé Pierre

Notre République laïque n’a pas fini d’entendre parler du quartier de La Chapelle

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ÇA C’EST L’AFRIQUE, ODON VALLET Si vous souffrez d’insomnie estivale, au lieu de compter les moutons, plongez-vous dans les 1 156 pages et les 910 grammes du Code des étrangers. Ou plus exactement du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Vous saurez tout sur le “parcours personnali­sé d’intégratio­n républicai­ne”. Du moins en théorie. Car en pratique, vous ne saurez rien sur l’extrême diversité des migrants, impossible­s à rassembler dans une loi commune. L’excellent ouvrage, annoté par les meilleurs juristes de France et de Navarre, comporte des centaines de lois, décrets, arrêtés et circulaire­s dont chacun est justifié et la somme indigeste.

Le travail des paroisses dans la patrie de la laïcité

Bien sûr, il y est fait référence au respect de la laïcité. Si vous allez dans le XVIIIe arrondisse­ment de Paris, vous verrez le travail remarquabl­e accompli par le clergé et les fidèles des paroisses SaintBerna­rd de La Chapelle, animée par des prêtres italiens, et Saint-Denys de La Chapelle, dirigée par un prêtre guinéen. Vous pouvez visiter Saint-Bernard où pendant la commune de Paris (1871) Louise Michel animait le club de la Révolution et où, en 1996, les “sans papiers” africains trouvèrent refuge et furent expulsés. Aujourd’hui, ils bénissent le clergé et les laïcs qui leur donnent des vêtements et le couvert grâce à une religieuse camerounai­se et des étudiants français imprégnés de l’esprit du pape François. Toujours dans cette France laïque, les paroissien­s de Saint-Denys sont d’un dévouement exemplaire, eux dont l’église avait vu Jeanne d’Arc, une migrante de Lorraine, venir prier avant de mettre le siège devant Paris. Et encore dans la patrie de la laïcité, porte de La Chapelle, le centre d’accueil de la ville de Paris est géré par Emmaüs solidarité, créé par l’abbé Pierre, l’homme à la légendaire soutane. Mais d’où viennent-ils donc ces migrants ? Les contingent­sg traditionn­els d’Afghans,g d’Érythréens ou de Soudanais ne sont plus majoritair­es. On voit des Africains venus des faubourgs d’Abidjan, de Dakar ou de Yaoundé. Appelés migrants économique­s, ils sont supposés fuir la misère. Mais vu l’argent qu’ils ont dû verser aux passeurs pour franchir le désert et la mer, ils ne sont pas les plus pauvres de leur pays. Ils ont cru au paradis de l’ancienne puissance coloniale pourtant vilipendée dans les discours officiels et les manuels scolaires. Sont-ils pleinement naïfs ? Non, car ils fuient le chômage massif que créent dans leurs pays les études inadaptées, l’exode rural et la démographi­e galopante. Ensemble, ils donnent raison à Boko Haram et aux ennemis djihadiste­s de l’éducation occidental­e, même si les Sénégalais savent bien que les enfants des écoles coraniques ne font que quêter pour leurs maîtres et ânonner quelques versets du Coran dont ils ignorent le sens. Campant sur les trottoirs mouillés ou surchauffé­s du nord-est parisien, ces hommes bénissent les policiers qui, en autocars, vont les diriger vers des logements en dur. On est loin du slogan “CRS-SS” de mai 68. Quant aux mineurs ou supposés tels, la loi oblige les départemen­ts à les prendre en charge, ce qui revient à une centaine d’euros par jour, soit un mois de salaire moyen dans leur pays d’origine, le tout aux frais du contribuab­le français. Faut-il donc les renvoyer dans leur pays ? Non, et pas seulement pour des motifs humanitair­es. Une politique systématiq­ue de reconduite en charters au pays serait insupporta­ble pour l’opinion africaine et les gouverneme­nts africains, qui verraient dans les avions des expulsés la version moderne des navires de négriers. Et le Code des étrangers nous parle d’obligation­s et d’interdicti­ons, mais ne nous dit rien du possible et du souhaitabl­e. Bref, notre République laïque n’a pas fini d’entendre parler du quartier de La Chapelle.

Appelés migrants économique­s, ils sont supposés fuir la misère. Mais vu l’argent qu’ils ont

dû verser aux passeurs pour franchir le désert et la mer, ils ne sont pas les plus pauvres de leur pays

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