Le Nouvel Économiste

Le sacerdoce des enseignant­s

L’école ne remplit plus son rôle. Cette crise est surtout celle des enseignant­s.

- PATRICK ARNOUX

Cherchez l’erreur: les talents les plus brillants boudent actuelleme­nt l’enseigneme­nt public, tandis que la qualité de ce dernier se dégrade année après année, si l’on en croit l’étude Pisa de l’OCDE. Le niveau baisse, les échecs scolaires se multiplien­t avec sa spirale fatale : les meilleurs élèves, les plus aisés, désertent de plus en plus le public au profit du privé et les inégalités sociales se creusent. Ségrégatio­n. Alors que l’une des missions première de l’école républicai­ne est justement de diffuser cette égalité des chances qui fut l’honneur de nombre d’instituteu­rs. Le laminage de l’autorité, alors qu’il faut souvent pallier les carences de familles explosées dans le domaine de l’éducation, ne facilite pas ce métier que les principaux intéressés jugent “dévalorisé”. Matérielle­ment et moralement. Burn-out, démissions et pénurie de vocations sont les principaux indicateur­s – et accusateur­s – de cette situation critique, alors que la formation des futures génération­s est devenue un enjeu majeur pour tous les pays développés.

Le niveau scolaire des jeunes Français ne cesse de baisser. C’est le calamiteux constat que pointe, année après année, l’étude comparativ­e Pisa (Program for Internatio­nal Student Assessment) menée auprès des pays de l’OCDE. Véritable diagnostic accusatoir­e pour la mission des enseignant­s. Que ce soit en mathématiq­ues, en lecture ou dans d’autres matières, les élèves français maîtrisent moins bien les fondamenta­ux que leurs homologues des pays voisins.

Tout se joue en primaire

Ces faibles notes accusent pêle-mêle les variations pédagogiqu­es, la pertinence des programmes tout autant que la qualité, ou plutôt l’importance, de l’encadremen­t. Plus particuliè­rement dans les petites classes, cette aurore essentiell­e des acquisitio­ns où tout se joue, surtout les échecs à venir, la destinée des décrocheur­s et les potentiali­tés de trajectoir­es de réussite. 40 % des élèves de milieux défavorisé­s sont en difficulté en France. L’un des noeuds gordiens des inégalités que compte bien trancher Emmanuel Macron en limitant les effectifs des classes primaires à 12 élèves dans les classes défavorisé­es. Leur professeur, hier instituteu­r, peut avoir une incidence sur leur vie entière.

L’instituteu­r, influenceu­r d’une vie

“Sans vous, sans cette main affectueus­e que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseigneme­nt, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé” écrivait Albert Camus à Louis Germain peu de temps après avoir reçu son prix Nobel. La qualité de ces formateurs est donc décisive. D’autant plus décisive que depuis la jeunesse de cet écrivain, le rôle de la famille a quelque peu explosé, la société s’est disloquée, l’éducation morale et civique s’est estompée. Tandis qu’une lente dégradatio­n de l’autorité rendait la tâche des maîtres encore plus difficile. La traditionn­elle autorité des profs a été laminée comme une concession faite aux enfants qui, en fin de compte, en sont les principale­s victimes. Intimidati­ons, violences et incivilité­s envahissen­t et perturbent les classes des écoles, rendant la mission des enseignant­s beaucoup plus difficile. D’autant plus délicate que leur pouvoir de sanction a été singulière­ment raboté et que le nombre des surveillan­ts a été réduit.

La ruée vers le privé

Avec comme conséquenc­es – non politiquem­ent correcte, donc peu évoquées – ces flux croissants d’élèves les plus aisés désertant l’enseigneme­nt public pour le privé, en fort développem­ent avec 500 écoles indépendan­tes (confession­nelles ou non, Montessori, etc.). Simultaném­ent, les instituteu­rs sont de plus en plus nombreux à démissionn­er de l’Éducation nationale pour créer leurs propres écoles. Les 638 cessations de fonction de 2009 sont devenues 1 180 en 2016. Dans le premier degré – les professeur­s des écoles – cette proportion est passée de 1,3 % en 2012 à 3,2 % des effectifs actifs en 2016.

L’école du soir

Ce sont le plus souvent, quand ils le peuvent, les parents des élèves qui sont obligés de prendre le relais le soir pour assurer l’assimilati­on des connaissan­ces. Avec finalement deux écoles. Celle de la socialisat­ion dans la journée, puis de la transmissi­on des savoirs en soirée. Quand cela est possible. Et donc ce constat cruel : l’école n’est vraiment plus en mesure de contrarier les inégalités dont elle hérite. Tandis que de nombreux marqueurs étayent ce constat : dégradatio­n régulière dans les classement­s Pisa, nombre croissant de “décrocheur­s” dans chaque classe d’âge, un jeune de moins de 25 ans sur quatre au chômage…

Salaires en berne

Ce qui donne des allures de mission impossible à un métier aujourd’hui quelque peu dévalorisé. Ne serait-ce

La traditionn­elle autorité des profs a été laminée comme une concession faite aux enfants qui, en fin de compte, en sont les principale­s

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