Le Nouvel Économiste

Martin Wolf

Une guerre des civilisati­ons ou une communauté mondiale ?

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PAR MARTIN WOLF, FT

Durant sa visite officielle à Varsovie, Donald Trump a semblé annoncer une guerre des civilisati­ons. Sur ces entrefaite­s, il a participé à un sommet troublé du G20, des 20 plus grandes économies mondiales. Le G20 représente l’idéal d’une communauté mondiale. Une guerre des civilisati­ons en est l’exact contraire. Alors, laquelle va primer ?

La phrase la plus emblématiq­ue du discours de M. Trump à Varsovie est : “La question fondamenta­le de notre temps est de savoir si l’Occident a la volonté de survivre. Avonsnous assez de foi en nos valeurs pour les défendre à n’importe quel prix ? Avons-nous assez de respect pour nos citoyens pour protéger nos frontières ? Avons-nous le désir et le courage de préserver notre civilisati­on de ceux qui veulent la subvertir et la détruire ?”

Le discours a été plus loin que l’article publié en mai par deux proches conseiller­s de M. Trump, H.R. McMaster et Gary Cohn : “Le monde n’est pas une communauté mondiale mais un aréopage où les nations, les instances non gouverneme­ntales et les entreprise­s se rencontren­t et s’affrontent pour obtenir l’avantage (…)”. Les conseiller­s tempèrent en soulignant que “America First [le slogan de campagne de M.Trump, ndt] ne signifie pas ‘America alone’ (l’Amérique seule)”. Les États-Unis étaient pourtant seuls durant ce G20. En dépitp de qquelquesq colmatages, les États-Unis sont isolés sur les questions du climat et du protection­nisme.

Si l’on demande à l’Occident de s’unir dans la perspectiv­e d’une guerre des civilisati­ons, il va se fracturer, comme il l’a fait lors de la guerre en Irak. Il est facile d’être d’accord avec M. Trump et de s’inquiéter de ce qu’il appelle “le terrorisme de l’islamisme radical”. Mais considérer ce phénomène comme une menace existentie­lle primordial­e est ridicule. Le nazisme était une menace existentie­lle. Comme le communisme soviétique. Le terrorisme est un trouble de l’ordre public. Le grand danger est une réaction disproport­ionnée qui empoisonne­rait les relations avec le 1,6 milliard de musulmans qui vivent de par le monde.

Nous devons être vigilants sur la prophétie auto-réalisatri­ce d’une guerre des civilisati­ons, non seulement parce que ce n’est pas vrai, mais parce que nous devons coopérer. L’idéal d’une communauté mondiale n’est pas un conte de fées. C’est la réalité actuelle. La technologi­e et le développem­ent économique ont rendu les humains maîtres de la planète et dépendants les uns des autres. L’interdépen­dance ne s’arrête pas aux frontières politiques. Pourquoi le ferait-elle en effet? Les frontières sont arbitraire­s.

“Anthropocè­ne” est un mot toujours plus utilisé pour décrire notre époque: une ère durant laquelle les humains transforme­nt la planète. Le point important dans la notion d’anthropocè­ne est que l’humanité est responsabl­e des problèmes et qu’elle peut les résoudre. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’idée de communauté mondiale n’est pas vaine. Sans elle, les problèmes ne seraient pas résolus.

Pensez aussi à la paix. Dans une ère nucléaire, la guerre devrait être inconcevab­le. Mais cela ne la rend pas impossible. Gérer les frictions entre puissances nucléaires est une nécessité incontourn­able.

Considérez également la prospérité. L’intégratio­n économique mondiale n’est pas un complot maléfique. C’est la progressio­n naturelle des forces des marchés dans une ère d’innovation technologi­que rapide. Un tel monde expose de façon inévitable les pays aux décisions politiques d’autres pays. Comme nous l’avons appris en 2008, le système financier mondial est aussi fort que ses maillons les plus faibles. Ceux qui dépendent du commerce internatio­nal ont besoin de pouvoir se fier aux conditions d’accès aux marchés des autres pays.

Pour cette raison, les inquiétude­s persistant­es autour des réglementa­tions financière­s, particuliè­rement durant le sommet de Londres en 2009, et le protection­nisme, sont justifiées. La souveraine­té n’est pas l’autarcie. Le communiqué du G20 en 2009 rappelait à juste titre : “Nous partons du principe que la propriété est indivisibl­e”. Nous sommes aussi concernés, et c’est normal, par le destin des autres pays. Le développem­ent est une cause morale. Il est également fondamenta­l si l’on veut maîtriser les flux migratoire­s.

La décision d’organiser un premier sommet de vingt pays, le G20, à Washington, en novembre 2008, était donc inévitable. Le groupe des sept, ou G7, dominé par les pays occidentau­x, n’avaient ni le droit ni le pouvoir de coordonner les affaires économique­s du monde. L’émergence d’autres pays, et avant tout celle de la Chine et de l’Inde, en faisait une évidence. De plus, l’Occident représente une part trop faible de la population mondiale pour prétendre à un droit moral à la gestion des affaires internatio­nales.

La coopératio­n mondiale sera toujours imparfaite et frustrante. Elle ne peut échapper aux différence­s d’opinions et aux conflits d’intérêts. Elle ne peut pas non plus remplacer les fondations premières que sont les politiques nationales robustes et les institutio­ns nationales légitimes. Les deux sont en effet essentiell­es.

Cependant, les affaires de l’humanité sont aujourd’hui trop enchevêtré­es et leurs impacts bien trop profonds pour être une conséquenc­e de processus de décisions uniquement nationales. Cette vérité peut être douloureus­e. Mais c’est une réalité. À l’intérieur de ce système de coopératio­n globale, l’Occident peut toujours avoir, pour un temps encore, la voix la plus forte. Mais là encore,, ce n’est ppossible qque s’il est uni. Si la direction que les ÉtatsUnis de M. Trump souhaitent voir les autres nations emprunter est une gguerre des civilisati­ons,, dans laquelle les États-Unis s’alignent sur les opinions les plus réactionna­ires et chauvinist­es de l’Europe actuelle, alors, il ne peut pas y avoir un Occident. Si nécessaire, les Européens vont devoir s’aligner sur des qquestions de ppremière importance,p et non avec les États-Unis mais, avec les plus éclairés d’entre eux.

On peut se demander comment cette “guerre des civilisati­ons” vient d’émerger, non pas tant entre l’Occident et les autres pays qu’à l’intérieur même de l’Occident. Les opinions divergente­s entre l’Allemagne d’Angela Merkel et M. Trump ont-elles cristallis­é cette fracture ? L’émergence du “ploutopopu­lisme” américain est à l’origine de cette tragédie. En arrière-plan, il faut noter une chose. La redistribu­tion des richesses aux États-Unis ressemble aujourd’hui plus à celle d’un pays en développem­ent qu’à une économie avancée. Le populisme (de gauche et de droite) est une conséquenc­e naturelle de fortes inégalités. Si cela se confirme, alors, M. Trump pourrait être plus qu’une anomalie passagère.

La transforma­tion de l’Amérique à laquelle nous assistons peut durer. Dans ce cas, le monde entre dans une ère dangereuse. “Les États-Unis, disait Richard Haass,, un ancien du départemen­t d’État américain, ne sont pas suffisants mais ils sont nécessaire­s.” Il a raison. Si l’acteur “nécessaire” est absent, le désordre semble alors inévitable.

La phrase la plus emblématiq­ue du discours de M. Trump à Varsovie est : “La question fondamenta­le de notre temps est de savoir si l’Occident a la volonté de survivre. Avons-nous assez de foi en nos valeurs pour les défendre à n’importe quel prix ? Avons-nous assez de respect pour nos citoyens pour protéger nos frontières ? Avonsnous le désir et le courage de préserver notre civilisati­on de ceux qui veulent la subvertir et la détruire ?”

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