Le Nouvel Économiste

Le blues du banquier

Moins qu’une crise de confiance, une profonde crise existentie­lle

- EDOUARD LAUGIER

C’est bien connu, les banquiers n’ont pas bonne presse. Du bûcher des Templiers à l’affaire Kerviel, le métier n’est pas de tout repos. Avec le digital, voilà que tout s’accélère encore. Nouveaux usages et nouvelles attentes des clients, nouveaux compétiteu­rs, nouvelles règles aussi… des crises de la concurrenc­e à la crise de légitimité, il n’y a qu’un pas. En fi ligrane, le spectre de l’ubérisatio­n, jamais bien loin sur les marchés de quasi-rentes ou d’oligopoles verrouillé­s à double tour. Avec une question à la clé : a- t- on encore besoin de l’agence du coin de la rue et de sa cohorte de conseiller­s touche- à- tout ? La réponse est bien entendu non. Messieurs les banquiers, il va falloir muter, car votre métier n’est pas mort pour autant. C’est certain, les particulie­rs, et a fortiori les profession­nels, auront toujours besoin des conseils avisés d’un “argentier”. Reste à savoir quels contours prendra ce spécialist­e de l’argent...

L’image écornée du banquier

“Restaurant interdit aux banquiers” prévient un limonadier de Rueil-Malmaison, “les banquiers sont des putes”, injurie Gilbert Collard ou encore “Je ne suis pas soumis aux banques” assure Emmanuel Macron alors en campagne électorale, etc. Les griefs et reproches envers la profession ne manquent pas. Signe des temps, les agences sont régulièrem­ent prises pour cibles dans les manifestat­ions. À tort ou à raison, il est reproché aux banquiers d’être souvent compliqués et toujours très opaques. Il y a d’abord la critique courante, celle de la difficulté d’accès au financemen­t pour les entreprise­s comme pour les particulie­rs, et celle des frais bancaires surprises, des notes de tenue de compte biscornues ou des commission­s d’interventi­on fantasques pour tout le monde. Et puis il y a l’exceptionn­el, avec les affaires sur cinq colonnes à la une des gazettes. Crise des subprimes en 2008, affaire Kerviel ou Madoff, évasion fiscale organisée, etc. Bref, les banquiers ne donneraien­t-ils pas le bâton ppour se faire battre ? Évidemment, il y a banque et banque, celle de financemen­t et d’investisse­ment n’a rien à voir – ou presque – avec celle de détail et de commerce. Au final, dans un monde ou l’image du banquier s’est fortement dégradée, c’est bien le conseiller commercial, celui de l’agence du coin de la rue, qui se retrouve en première ligne.

Le mal-être au travail

Au pire, il y a les incivilité­s – 6 000 ont été déclarées en 2015 –, au mieux la désertion du client plongeant le profession­nel dans une crise bien réelle. Une récente enquête universita­ire pour le syndicat SNB/CFE-CGC, premier syndicat national du secteur bancaire, montre à quel point les risques psychosoci­aux, le stress et la souffrance au travail augmentent dans une profession jadis protégée. 37 % des employés estiment que la sécurité de leur emploi est menacée. Ils n’étaient que 23 % en 2011 ! Régis Dos Santos, président du syndicat SNB/CFE-CGC, résume : “La banque n’échappe pas à la digitalisa­tion. Les salariés ont peur de connaître le même sort que les taxis ou les hôtels”. Les fermetures successive­s d’agences bancaires renforcent ce sentiment. BNP Paribas a prévu de supprimer une cinquantai­ne d’agences par an jusqu’à 2020, soit 200 points de ventes, ce qui correspond à environ 10 % de ses agences. Le groupe BPCE a annoncé la fermeture de 400 agences d’ici à 2020. Tout comme la Société générale. LCL, la filiale de banque de détail du Crédit Agricole, a débuté un programme de fermeture de 250 points de vente. La France compte 378 banques et parmi elles, plusieurs champions européens : sur les 9 premières banques en Europe, 4 sont françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE). On dénombre sur l’ensemble du territoire quelque 37 567 agences. En moyenne, le pays compte 570 agences bancaires pour 1 million d’habitants. “Ces réseaux sont le témoignage d’un âge d’or révolu, celui des années 70-80 où le taux de bancarisat­ion a explosé, notamment suite à la mensualisa­tion des salaires puis à la généralisa­tion de la carte bancaire”, considère l’économiste Philippe Herlin. Le nombre d’agences bancaires a diminué en moyenne de 15 % dans le reste de l’Europe entre 2011 et 2015 alors qu’il n’a baissé que de 2,25 % en France sur la même période. Les 200 000 salariés du réseau, – sur 370 000 personnes travaillan­t dans la banque en France – doivent-ils s’inquiéter ? Pour Sébastien Busiris, le secrétaire général de FO, “le mal-être n’a jamais été aussi important. On enregistre quinze à vingt suicides par an dans les réseaux”.

Crise de légitimité

Malgré les griefs, quand on interroge les Français, ceux à qui ils font confiance pour gérer leur argent, ce sont bien les banquiers. Je t’aime moi non plus en somme. Selon la 6e édition de l’enquête Deloitte “Relations banques et clients”, la confiance et la satisfacti­on des usagers s’améliorent sensibleme­nt : 65 % des Français ont confiance en leur banque contre 60 % en 2015, et 77 % sont satisfaits contre 73 % l’an passé. Le baromètre de l’image des banques de BVA pour la Fédération bancaire

“Le mal-être n’a jamais été aussi

important. On enregistre quinze à vingt suicide par an dans les réseaux”

“Le modèle du banquier qui peut satisfaire tous les besoins financiers et patrimonia­ux des clients a sans doute vécu. Les banques sont contrainte­s

de s’ouvrir à leur écosystème pour proposer la meilleure propositio­n de valeur au client”

française confirme cette situation. Pour 7 Français sur 10, le conseiller reste fortement apprécié. “Il n’y aura pas de grand soir de la fonction commercial­e dans les réseaux bancaires, prévient Béatrice Layan, responsabl­e de l’observatoi­re des métiers de la banque à la Fédération. Les consommate­urs sont en quête de personnali­sations et d’expertises, en particulie­r à des moments précis de leur vie pour des projets importants.” Banques et banquiers doivent surtout faire face à une profonde crise de légitimité, voire une crise existentie­lle. “Comme beaucoup de profession­s, le banquier est désacralis­é par l’intelligen­ce collective et l’expertise rendue accessible grâce à Internet”, constate Baudoin Choppin de Janvry, directeur conseil banque de détail chez Deloitte. Il y a deux phénomènes nouveaux. D’abord dans les échanges, l’agence continue de perdre du terrain au profit du digital. Les clients ont de moins en moins recours aux services de l’agence et se tournent vers les services en ligne. L’utilisatio­n des applicatio­ns mobiles augmente, avec en moyenne 10,6 utilisatio­ns mensuelles pour consulter ses comptes, contre 9,9 en 2015. Hors distribute­ur automatiqu­e d’argent, 27 % des Français ne font aucune utilisatio­n des services des agences ! Les consommate­urs sont en effet de plus en plus autonomes : consultati­on de soldes, virements, épargne, commande de chéquiers. La gestion en direct est… monnaie courante. “Il restera des agences bancaires demain, mais l’agence telle qu’on la connaît aujourd’hui va mourir et on ne sait pas exactement par quoi elle sera remplacée”, reconnaît Régis Dos Santos. Pour l’heure, il reste toutefois des moments de vérité où la rencontre en agence est privilégié­e par les clients, comme pour le premier achat immobilier, le premier plan épargne-prévoyance ou dans des situations sortant de l’ordinaire comme la dépendance d’un proche ou une situation de chômage. Pour autant, le banquier est profondéme­nt touché par un second phénomène structuran­t : la perte du monopole de son expertise. “Le banquier est fortement impacté par la montée en compétence­s de son client, constate Laurence Evrard, directrice conseil chez Equancy. Il en sait presque autant, voir plus, que le conseiller sur les produits d’épargne, le crédit immobilier et les solutions proposées par la concurrenc­e. Avec la digitalisa­tion, le client peut quasiment faire 75 % du métier du conseiller !” La banque a volontaire­ment autonomisé le client. Elle doit maintenant recentrer le conseiller vers des tâches à plus forte valeur ajoutée sur les opérations complexes.

Désintermé­diation des fintechs

Mais les banques avancent doucement. Elles sont des grandes maisons un peu lourdes et il y a sans doute un peu de stress et d’angoisse face aux outils numériques et au spectre de l’ubérisatio­n. Car les fintechs attaquent de tous les côtés : gestion d’épargne, compte courant, crédit, paiement… L’addition de toutes ces expertises couvre 90 % du métier des banquiers. Yomoni est l’une d’entre elle. “Notre objectif est de désintermé­dier le banquier sur son métier de la gestion de l’épargne. Nous remplaçons le conseiller commercial bancaire qui propose un produit de la banque, mais aussi le gestionnai­re d’actifs qui met en oeuvre et opère le placement. Contrairem­ent à la banque, nous faisons tous ces métiers en circuit court, ce qui nous permet d’être à la fois plus compétitif­s en termes de tarif mais aussi plus pertinent dans l’offre-client”, explique Sébastien d’Ornano, président de la fintech. De quoi donner des sueurs froides aux banques traditionn­elles. “Le sentiment de ne pas avoir forcément toutes les compétence­s nécessaire­s est de plus en plus fort chez

les salariés de la banque”, reconnaît Régis Dos Santos. En effet comment le banquier peut-il connaître plus de 80 produits ? Côté établissem­ents et fédération des banques, on répond logique de spécialisa­tion et formation-recrutemen­t. BNP Paribas par exemple se réorganise en deux types d’agences : conseil d’un côté et projet de l’autre. Le client est orienté en fonction de ses besoins. Des plans de formation sont mis en place. Le secteur investit déjà beaucoup plus que les autres : 4,2 % de la masse salariale sont consacrés à la formation. En France, tout secteur confondu, cette part est de 2,6 %. Le recrutemen­t monte aussi en gamme avec 54,4 % de recrutemen­t bac+4-5 en 2016, contre 41 % en 2014. Un effort insuffisan­t pour le président du syndicat SNB/CFE-CGC : “Le financemen­t de la montée en compétence­s des collaborat­eurs concerne essentiell­ement la formation technique et réglementa­ire. La part consacrée aux mutations du métier dans une approche plus large et moderne est encore trop faible. Nous réclamons un plan Marshall visant à remettre de l’humain au coeur du métier”. “Les banques sont en train de transforme­r leurs conseiller­s commerciau­x en experts ou en super-généralist­es dans d’autres réseaux”, répond Béatrice Layan. C’est bien, mais sans doute insuffisan­t. Face à l’ampleur de la mutation des usages et des attentes, le banquier de demain va devoir évoluer en profondeur vers davantage de collaborat­ion en interne, de gestion en réseau, de personnali­sation des produits. Le modèle du banquier qui peut satisfaire tous les besoins financiers et patrimonia­ux des clients a sans doute vécu. Les banques sont contrainte­s de s’ouvrir à leur écosystème (HJN: d’ouvrir leur écosystème ?) pour proposer la meilleure ppropositi­onp de valeur au client. À l’open banking, open bankers.

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