Le Nouvel Économiste

Jacques de Larosière

Ancien directeur général du FMI :“Il est temps de remettre les pendules à l’heure”

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PLASSART

Le dérèglemen­t du monde est profond et il est plus que temps de se ressaisir. Telestlese­ntimentpro­fonddeJacq­ues de Larosière, l’ancien directeur du Fonds monétaire internatio­nal et

gouverneur de la Banque de France. “La volonté d’échapper à la réalité va finir par nous rattraper (…). Le point de

non-retour est atteint”, ,pprévient le financier. À la source de tous nos maux, l’excès d’endettemen­t ouvert avec l’abandon du système de Bretton Woods en 1971. “Au début, la période qui était plutôt assez agréable, rappelait l’ambiance post-soixante-huitarde où les choses sont faciles”, raconte-t-il Mais quelques décennies plus tard, “les effets secondaire­s sont extrêmemen­t graves sur la croissance future”. La prise de conscience s’opère trop lentement. Jacques de Larosière prend l’exemple

emblématiq­ue du refus du recul de

l’âge de la retraite, qui exprime “une sorte de démission collective face à un problème arithmétiq­ue pourtant simple, puisque l’espérance de vie ne cesse pas de progresser”. Travailler jusqu’à 65 ans n’est pourtant pas un crime contre l’humanité…

La problémati­que de la mondialisa­tion, la question de l’environnem­ent et du réchauffem­ent climatique… tous ces problèmes qui avancent inexorable­ment ne datent pas de 2017. Ils remontent à plusieurs décennies, et pour certains à une cinquantai­ne d’années. Ce sont des lames de fond inexorable­s qu’on ne voit pas nécessaire­ment en surface, mais qui façonnent les problémati­ques contempora­ines. Elles relèvent en grande partie de tendances démographi­ques, environnem­entales et de la financiari­sation sous-jacentes trop longtemps ignorées. Et c’est ainsi que l’on se retrouve par exemple avec notre excès d’endettemen­t et la dérive des finances publiques. Comme il était très facile d’emprunter dans le système qui a succédé au système de Bretton Woods, on a emprunté sans discontinu­er, d’où cette accumulati­on de dettes. La prise de conscience des risques encourus ne s’est pas opérée tant il était plus commode d’emprunter et de financiari­ser les problèmes que de les résoudre. La facilité de l’endettemen­t est une donnée majeure de la dérive qui a eu lieu. Elle a fait que les hommes politiques et les systèmes politiques ont toujours reculé devant les ajustement­s et les correction­s nécessaire­s. C’est un ensemble de co-responsabi­lités. Recourir à l’endettemen­t pour financer des dépenses courantes est un acte très grave, pas un ménage ne le fait volontiers. Mais à l’échelle de la nation, ce comporteme­nt est dû à la fois au gouverneme­nt, au Parlement, à l’opinion publique et aux médias, qui n’ont jamais vraiment tiré la sonnette d’alarme. À aucune occasion, les acteurs de cette dérive n’ont été véritablem­ent mis en face de leurs responsabi­lités. Et pourtant depuis plus de quarante ans, les budgets ont tous été votés systématiq­uement en déficit. Et cela continue encore aujourd’hui pour de nombreux pays. Cette volonté d’échapper à la réalité va finir par nous rattraper. On ne peut plus dire que l’on laisse les problèmes à nos successeur­s. Le point de nonretour est atteint. Le problème des retraites est caractéris­tique. Il y a quarante ans, il y avait 5 actifs pour 1 retraité, aujourd’hui 1,8 actif pour un retraité, bientôt 1,5 pour un retraité. Dans un système de répartitio­n, avec 5 personnes actives pour 1 retraité, vous pouvez leur demander un sacrifice de 20 % pour assurer au retraité une pension de 100. Mais avec un ratio actif/inactif en dessous de 2, l’équation ne passe plus et le système devient impossible à gérer. Face à cela, on n’a mis le plus souvent que des rustines en augmentant le taux de cotisation, et en diminuant un peu le taux de remplaceme­nt ; mais la donnée de fond – la durée de vie des retraités – n’est pas prise en compte. Dire qu’il n’y a pas de problème pour l’équilibre futur des retraites et que l’âge de la retraite peut donc rester à 62 ans est grammatica­lement correct, mais c’est une dangereuse illusion. Allonger la durée de cotisation pour tenir compte des gains de l’espérance de vie pour éviter de ponctionne­r les actifs plus jeunes me paraît relever de la justice sociale et de la solidarité. L’établissem­ent d’un système de points est pour l’avenir une bonne idée, mais ne règle pas le problème du déséquilib­re actuel du système;

Adapterle pactesocia­l à laréalité d’aujourd’hui

Le pacte social de l’après-guerre n’est pas à remettre en cause, il faut simplement l’adapter à la réalité d’aujourd’hui. La démographi­e des années 50 n’est pas celle des années 2010- 2020. Le pacte social, c’est l’organisati­on de la solidarité au sein de la société qui permet à chacun de ses membres d’avoir un destin convenable. Il peut être dévoyé si vous ne l’adaptez pas. La vie est un processus d’adaptation permanente, c’est ce qu’a expliqué Darwin, et c’est aussi une des leçons de la chimie moléculair­e. Un système ne doit pas être rigide sinon il meurt. Si nous n’adaptons pas les modalités de notre pacte social, alors on le condamne. Revenons sur les retraites. On ne peut demander à la population active de financer par une hausse des cotisation­s la dérive démographi­que que j’ai évoquée plus haut. L’autre solution pour rééquilibr­er le système est de diminuer le taux de remplaceme­nt, mais cette voie ne préserve pas non plus le pacte social. La troisième manière pour équilibrer le système des retraites, c’est de faire en sorte que les gens qui vont toucher une retraite travaillen­t un peu plus longtemps. Il n’est pas normal de figer l’âge de la retraite alors que l’espérance de vie ne cesse pas de progresser. Cette option va à l’encontre du pacte social. Elle exprime une sorte de démission collective face à un problème arithmétiq­ue pourtant simple. Ce refus collectif est saisissant alors que tous nos voisins – absolument tous – ont mis la retraite à 65 ans, voire à 67 ans. La seule exception, c’est nous ! Il y a un conflit intergénér­ationnel qui est latent dans cette affaire-là. On ne peut pas tout donner aux retraités et ne rien leur demander dans l’ajustement indispensa­ble à la réalité. Cet ajustement est devenu urgent. Ce n’est plus un problème pour dans vingt ans, mais un problème pour tout de suite et même il y a deux ou trois ans déjà. Ceux qui proclament qu’il ne faut pas toucher aux avantages sociaux sont ceux qui les menacent le plus. Car à force

d’augmenter les cotisation­s que paient les entreprise­s et leurs salariés, on ne fait que pénaliser l’appareil productif français et l’emploi. Les sociétés tricolores paient des charges sociales qui sont de l’ordre de 5 à 6 points de PIB plus élevés que leurs voisines allemandes. Et ces 5 à 6 points, c’est la différence entre la vie et la mort, c’est-à-dire entre la compétitiv­ité et la non-compétitiv­ité. Il n’y a pas de mystère à la désindustr­ialisation de la France: le mouvement est dû en grande partie – pas uniquement à cela car c’est un phénomène complexe – à ce surcroît de prélèvemen­ts obligatoir­es qui pèsent sur le travail. Notre système social se nourrit des meilleures intentions du monde, mais il n’est pas social parce qu’il repose sur l’augmentati­on des cotisation­s payées par les entreprise­s, ce qui les empêche de recruter. Plus votre PIB est absorbé par la dépense publique au-delà de la moyenne des autres pays, plus les embauches sont difficiles : une équation incontesta­ble que les hommes politiques et certains économiste­s sont réticents à admettre.

Levicedel’excèsdedép­ensepubliq­ue

Tous les pays qui ont un chômage élevé ont ce vice de l’excès de dépense publique. Il faut ramener la dépense publique française, même en faisant des adaptation­s statistiqu­es nécessaire­s parce que les situations ne sont pas exactement les mêmes, de 56,5 % de PIB à la moyenne européenne, qui est autour de 50. Soit 6 à 7 points de PIB à gagner en cinq ans. Régler le problème du chômage ne relève pas de l’incantatio­n : il faut que les entreprise­s soient désireuses et capables de recruter, et pour cela elles doivent être compétitiv­es, sauf dans certains secteurs de services protégés de la concurrenc­e. Mais dans l’industrie manufactur­ière, il faut être capable de vaincre commercial­ement les compétiteu­rs, vous ne pouvez pas vous permettre de payer six ou cinq points de PIB de plus de charges. Il faut donc expliquer aux Français qu’il faut travailler plus longtemps, et que travailler jusqu’à 65 ans ne doit pas être considéré comme un crime contre l’humanité. Ou bien alors nous sommes entourés partout par des criminels parce que tout le monde est à 65 ans. Il faut aussi leur expliquer que leurs retraites ne pourront être assurées qu’à la condition que le rapport entre les cotisation­s perçues sur le travail et la longueur du travail permettent de stabiliser l’équilibre du système. Et ce qui veut dire qu’il faudra peut-être travailler plus longtemps. Enfin, il faut leur dire qu’un certain nombre de dépenses publiques – et cela a été démontré par la Cour des comptes et par d’autres organismes – ne sont pas justifiabl­es, parce qu’elles ont une efficacité très faible pour des coûts très élevés. Il faut donc les revoir sans tabou. Et si certains qualifient cette démarche d’antisocial­e, qu’ils le démontrent. La question du bon usage des deniers publics qui est pourtant le fondement de la démocratie n’est pas suffisamme­nt posée en France ou alors de façon sporadique par le biais par exemple des rapports de la Cour des comptes. La préservati­on du pacte social est à ce prix. Me situant en dehors du politiquem­ent correct, je trouve personnell­ement que le système de sécurité sociale appliqué au lendemain de la guerre en 45 pourrait être modifié sur un point. C’est qu’il me semble que les ménages et les personnes aisées en France pourraient assumer une cotisation pour les soins un peu plus élevée qu’aujourd’hui, par des systèmes de médicament­s non remboursab­les, etc. C’est social et c’est redistribu­tif. La France est, de tous les pays de l’OCDE, celui qui demande le moins de contributi­ons au système de santé à ses citoyens, à ses ménages. Alors on pourrait faire un effort dans ce sens et à ce moment-là, on a un effet de levier qui est très rapide. Je ne fais pas partie de ceux qui regardent les dépenses publiques comme un “en soi”, et qui disent : c’est scandaleux d’avoir 3,5 % de déficit tous les ans, de le reporter, de prier Bruxelles de l’accepter, etc. Mon optique est différente. Je dis : si on continue à avoir tous les ans 3 à 3,5 % de déficit, nous allons avoir une dette ingérable qui est déjà à 100 %. Or, on a démontré qu’une dette qui s’accroît constammen­t, même si on la répudie, présente des effets secondaire­s extrêmemen­t graves sur la croissance future. C’est un sujet extrêmemen­t grave qu’il ne faut pas prendre à la légère. L’effort pour stabiliser la dépense publique doit être réparti de manière intelligen­te et équitable. Je ne dis pas qu’il ne faut remplacer la moitié des fonctionna­ires, car il y a des endroits où il faut non seulement les remplacer tous, mais il faut même en avoir plus.Il faut faire de la chirurgie intelligen­te et pas de la hache. Si vous n’êtes pas équitable et efficace dans la gestion d’un système social, vous finissez par perdre la confiance des citoyens, et à ce moment, des phénomènes du type que ceux que l’on a vus au premier tour de l’élection présidenti­elle apparaisse­nt. Les gens réagissent et on peut les comprendre. Il faut raviver le pacte social, mais pas par de l’incantatio­n : il faut par des actions concrètes de redresseme­nt.

Plusquejam­aispro-européen

Je suis toujours, et je dirais même plus que jamais, pro-européen, parce que sans Europe, il n’y a plus d’Europe. Sans une Europe qui s’organise, qui a les institutio­ns suffisamme­nt efficaces, que reste-t-il? Des nations disparates dont aucune ne pourra survivre avec un minimum de capacité, d’aura, de persuasion internatio­nale. Il n’y aura plus un seul pays européen dans le G7 de 2050 parce qu’aucun d’entre eux ne pourra tenir son rang par rapport au Brésil, à l’Inde, la Chine, et l’Indonésie et à un certain nombre d’autres pays qui les auront dépassés sur le plan de la production nationale. La démographi­e européenne est la plus déclinante du monde. La population active de l’Europe par rapport à la population active mondiale est en train de fondre comme neige au soleil. Et elle ne représente­ra plus que quelques points de pourcentag­e dans quelques années. Il est inévitable, parce que la démographi­e dicte la géopolitiq­ue mondiale, que les pays européens perdent individuel­lement leur place. Et je me dis, en tant que Français, que je préfère faire partie d’un ensemble européen avec un certain poids, une certaine efficacité institutio­nnelle et politique, que d’être tout seul. Pour autant, force est de constater que le système européen a dérivé, faute d’un minimum de convergenc­e dans les politiques économique­s. Si chacun va à hue et à dia, c’est très difficile de maintenir une cohérence, un ciment et une confiance réciproque dans l’ensemble européen. Et malheureus­ement, c’est ce que l’on a constaté. Depuis la création de l’euro, les pays membres de la zone euro ont beaucoup divergé sur le plan de leur déficit budgétaire, leur balance des paiements, la croissance du crédit, l’inflation. Et ces divergence­s ont profondéme­nt miné la constructi­on européenne. Les marchés, à partir de 2010, ont tiré la sonnette d’alarme. Les mécanismes du pacte de stabilité et de croissance qui avaient été mis en oeuvre quand on a fait l’Union européenne n’ont pas fonctionné comme il fallait. Des pays comme la France, et même l’Allemagne à l’époque, au début des années 2000, ont circonvenu les règles européenne­s. Or les sanctions étaient pratiqueme­nt inexistant­es. Et le fait que ces deux grands pays aient demandé d’être exempté de la discipline collective a été très mauvais, parce que les pays comme la Grèce ont immédiatem­ent sauté sur l’occasion.

Convergenc­eseuropéen­nes contrenati­onalisme

On retombe sur la question du nationalis­me. Les gens qui se disent nationalis­tes sont souvent membres des partis populistes. D’ailleurs, ils nous disent que c’est l’Europe qui est à la source de tous nos maux et que c’est une administra­tion à la fois omniprésen­te, inconséque­nte, incapable, etc., et qu’il faut vite revenir à la gestion nationale des affaires pour regagner du tonus. Or c’est entièremen­t faux. Parce que toutes ces divergence­s dont je vous ai parlé, qui minent la convergenc­e qui est le substrat élémentair­e de cette Union européenne, sont des déviations nationales. C’est le gouverneme­nt français et le gouverneme­nt allemand qui ont voulu avoir des déficits au-delà des limites, ce ne sont pas les instances européenne­s. Il y a donc quelque chose de paradoxal parmi les partis nationalis­tes à vouloir revendique­r la “valeur” du nationalis­me, alors que c’est le nationalis­me à qui il faut imputer les dégâts. Il est temps de remettre les pendules à l’heure et d’oeuvrer pour de véritables convergenc­es européenne­s. Tout le monde ne doit pas devenir une petite Allemagne, mais tout monde doit rentrer dans le droit chemin d’une gestion de sa dette maîtrisée. C’est indispensa­ble pourrestau­rerlaconfi­anceentrel­esmembres de la zone. Je pense qu’il faut devenir un peu plus sérieux quand on est moins sérieux, et peut-être un peu plus ouvert quand on est trop sérieux. L’âme européenne est très dépendante et très vulnérable aux inefficaci­tés de l’action européenne. La crise migratoire explique pour beaucoup la perte de la foi européenne. Il n’y a pas eu le moindre début de pensée collective sur ce sujet. Et si Schengen est un obstacle alors il faut réformer Schengen. Il n’y aurait rien de mal à avoir une politique européenne d’immigratio­n sélective avec des pays qui peuvent ouvrir leurs frontières plus facilement que d’autres, même si cela contredit l’idée d’un continent totalement ouvert. Il faut devenir plus réaliste. Je souhaitera­is des initiative­s européenne­s plus allantes en matière de sécurité et de luttecontr­eleterrori­sme,unemenace quiconcern­e tout le monde.

L’essence deBrettonW­oods

En matière de finance, j’ai vécu le passage d’un système à un non-système. J’étais à la direction du Trésor à l’époque, quand les Américains ont brisé le système de Bretton Woods. C’estassezcu­rieux parce quecesontl­esAméricai­ns qui avaient créé le système dit de Bretton Woods avec la hantise de ne pas recommence­r les errements de la période d’entre les deux guerres dans le domaine monétaire, marquée par des dévaluatio­ns compétitiv­es et des taux de change très flexibles. Ils ont donc substitué à ce régime de laisser-faire un régime très organisé dans lequel on déterminai­t quel était le rapport de parité entre les monnaies en fonction des critères économique­s et de compétitiv­ité relative, et dans lequel les pays étaient tenus de respecter les parités en question et de ne pas jouer avec la sur-compétitiv­ité du change. Un système assez disciplina­ire qui a très bien marché jusqu’au début des années 60. Et puis les Américains ont commencé à être gênés aux entournure­s dans ce système, parce qu’il était difficile à réconcilie­r avec la politique budgétaire très libre qu’ils souhaitaie­nt mettre en oeuvre en raison du déficit de leur système social et du coût de la guerre duVietnam. Les Américains ont aussi eu peur que le système de Bretton Woods, au titre duquel les pays détenteurs de dollars pouvaient demander la convertibi­lité du dollar en or, ne leur retombe dessus et qu’il n’y ait plus assez d’or pour rembourser les dollars. Et ils ont fini, le 15 août 1971, par détruire le système qu’ils avaient créé en supprimant la convertibi­lité du dollar en or qui les gênait, et en supprimant la fixité des parités de monnaie en monnaie qui les gênait aussi.C’est ainsi que l’on a basculé dans un autre système,qui n’était pas pour autant un système de flottement pur des monnaies, dans lequel le marché déterminan­t chaque jour la valeur des parités aurait imposé sa discipline. En réalité, les pays jouaient sur le cours de leur monnaie en fonction de ce qui les arrangeait sans autre forme de discipline, les pays excédentai­res se constituan­t par exemple des réserves de dollars plutôt que de laisser apprécier leur monnaie. Un mécanisme pervers car en faisant cela, les pays créent de la liquidité sans compter. Parallèlem­ent, la mobilité des mouvements de capitaux a commencé à être considérab­le, facilitée par cette création monétaire. Et ces capitaux baladeurs en quête de taux d’intérêt rémunérate­urs provenant des déficits des uns et des autres ont grandement accéléré la financiari­sation du système. Au début, la période qui était plutôt assez agréable rappelait l’ambiance post-soixante-huitarde où les choses sont faciles. Mais la situation est fondamenta­lement dangereuse, comme si vous aviez sur un bateau des cargaisons non arrimées susceptibl­es de le faire chavirer. Et dans ce monde globalisé et de plus en plus“marchéisé”, les crises se sont répétées, de plus en plus graves – la crise du SME en 1992-1993, la crise d’Asie du Sud-Est en 1997, etc. – avec à chaque fois en jeu des montants de capitaux entrants et sortants considérab­les. Et en 20072008, le système a explosé, obligeant les banques centrales à augmenter de deux à trois fois la taille de leur bilan. Ce colmatage a réussi, mais il ne peut tout de même pas être considéré comme un succès. Il est toujours difficile d’imputer la faute à tel ou tel, mais la responsabi­lité incombe aux Américains qui n’ont pas voulu respecter un minimum de discipline dans leur politique économique. Ce qui rend pour le moment très improbable la reconstruc­tion d’un véritable système, ce sont les mêmes raisons qui ont fait que le vrai système a été abandonné en 1971-73.

Unnouveaus­ystèmemoné­taire?

Si l’on voulait revenir à l’essence de BrettonWoo­ds – c’est-à-dire à l’idée que l’on ne peut pas faire n’importe quoi avec sa politique économique du fait de la force de rappel du change – il faudrait que les grands acteurs du monde se réunissent pour homogénéis­er dans une certaine mesure leur politique économique. Et cela ne pourrait se faire que sous l’égide d’une autorité internatio­nale qui dise le droit, et non dans le cadre d’une négociatio­n intergouve­rnementale dans un G7. Or je ne vois pas aujourd’hui, dans les conditions géopolitiq­ues actuelles, les États-Unis accepter une telle démarche, pas plus d’ailleurs que la Chine, ni même les Allemands. L’esprit coopératif de 1944 a été un petit miracle dans l’histoire de l’humanité, avec le plan Marshall, les grandes institutio­ns internatio­nales (Banque mondiale, FMI, GATT), un moment de grâce inspiré il est vrai par les ÉtatsUnis. Mais l’égoïsme national a repris le dessus à partir des années 60-70 et depuis, c’est cet égoïsme, facilité par la financiari­sation, qui prédomine. Nous vivons avec un attelage bizarre entre les nationalis­mes égoïstes peu soucieux des conséquenc­es de leurs propres actes sur le bien-être général, et la finance qui règne en maîtresse. La phrase du Baron Louis est toujours très vraie : “Faites-moi de la bonne politique, je vous ferai de la bonne finance”. Si les politiques économique­s dérivent dans les déficits abyssaux, vous ne pouvez pas faire de la bonne finance, mais de la finance finançante,en cédant à la facilité.Il faut revenir aux équilibres naturels et cesser de financer la dépense courante par de l’emprunt internatio­nal. Il faut remettre les pendules à l’heure, sans brutalité mais avec fermeté. Un nouveau système monétaire internatio­nal peut-il voir le jour? J’en doute un peu, parce que les pays sont profondéme­nt nationalis­tes. Après la Seconde guerre mondiale, il y avait un idéalisme américain avec en particulie­r des hommes politiques de la Côte Est qui avaient le sens de l’histoire. Ce qui manque aujourd’hui, c’est une vision. Peut-être que l’Europe pourrait avoir cette capacité de générer pour sa part cette pensée globale. On peut toujours l’espérer. Mais ce qui manque aussi, c’est le leadership. Mais on peut très bien concevoir un leadership à plusieurs à l’échelon européen.

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