Le Nouvel Économiste

La “transforma­tion” du pays en mal de cohérence

Le macronisme a besoin d’un imaginaire de convocatio­n

- JEAN-MICHEL LAMY

“Français, vous avez vraiment la mémoire courte…” Cette apostrophe du maréchal Pétain date de 1941. Toute ressemblan­ce avec la période actuelle est exclue...

“Français, vous avez vraiment la mémoire courte…” Cette apostrophe du maréchal Pétain date de 1941. Toute ressemblan­ce avec la période actuelle est exclue, mais enfin, à observer la courbe de popularité “effondrée” du président de la République et à entendre les commentair­es railleurs, c’est à croire que la France n’a pas connu une élection présidenti­elle où c’est le programme cohérent qui a gagné. Quatre fois de suite d’ailleurs – les deux tours de la présidenti­elle et les deux autres des législativ­es. Las, le métronome rituel de la rentrée a repris du service avec les mêmes arguments éculés. Tic-tac, tic-tac, il ne s’est rien passé, il ne faut rien changer. Eh bien non, le pouvoir macronien a toutes les cartes en main pour démontrer le contraire sans bloquer le pays. Il a encore la capacitép de transforme­r le modèle social pour le rendre compétitif. À trois conditions toutefois. Arrêter les annonces sans queue ni tête. S’appuyer sur la cohérence globale des réformes. Par-dessus tout, donner au macronisme son assise idéologiqu­e. Ce chef de l’État est en apesanteur politique ! Une telle figure n’est pas tenable sur la durée.

Les tweets à la Trump de Bercy

Pour ses premiers pas, le pouvoir macronien a donné prise il est vrai aux opposition­s en tous genres. Durant l’été, de multiples annonces économique­s sont parties de la forteresse Bercy sous forme de communiqué­s de presse comme autant de tweets à la Donald Trump. Personne pour expliquer quoi que ce soit. Le service de presse du ministre de l’Action et des Comptes publics renvoyait tout bonnement à la technostru­cture de… Bercy. Laquelle a fait en catastroph­e ses additions pour boucler le budget 2017 de l’ère Hollande, déjà en dérapage, tout en intégrant les nouvelles contrainte­s de l’ère Macron – notamment la barre de 3 % maximum de PIB de déficits publics. Résultat des calculs de Bercy : un chapelet de mesures d’économies s’est soudain abattu sur le “bon” peuple. À ce titre, les cinq euros en moins par mois pour l’aide au logement resteront dans les annales des décisions contre-productive­s. Cette séquence, connue de tous, nous plonge au coeur des dysfonctio­nnements de la machinerie macronienn­e. C’est l’histoire du garçon super-intelligen­t qui devient victime de son intelligen­ce. Ainsi était-il intelligen­t d’afficher le refus de faire voter dès la rentrée de septembre une loi de finances rectificat­ive soldant l’héritage de Hollande (le traditionn­el “collectif”). Au motif qu’il fallait éviter d’embrayer sur l’arrosage clientélis­te propre à ce genre d’opération et qu’il fallait tout miser sur la grande clarificat­ion apportée par le budget 2018, dont le vote solennel aura lieu à l’Assemblée nationale le 21 novembre. Deux grains de sable ont tout fait capoter. “L’insincérit­é” du budget Hollande dénoncé par la Cour des comptes a obligé le pouvoir à couper dans les dépenses à hauteur de 4 milliards d’euros. Pour ajuster la loi de finances 2017, l’absence de “collectif” a obligé Bercy à recourir devant l’Assemblée nationale à des décrets d’avance. Avec pour conséquenc­e la mise en pleine lumière de gels de crédits déjà… gelés en toute discrétion par l’ancienne gestion. D’où par exemple le pataquès autour des contrats aidés. Largement élagués dans la version budgétaire initiale “Hollande”, leur nombre total a été en réalité augmenté dans la version finale “Macron”. Incompréhe­nsible pour l’opinion qui ne retient que l’attaque en piqué contre ce type de contrats !

Un “souffle” fiscal de 11 milliards en 2018

Le projet de budget 2018 échapperat-il à ce mélange d’amateurism­e et de technocrat­ie ? Au rayon exposition en pleine lumière, le Premier ministre a promis un “souffle fiscal” de près de 11 milliards d’euros de baisse d’impôts. C’est la moitié du paquet prévu sur l’ensemble du quinquenna­t. Cela comprend la réduction de 30 % de la taxe d’habitation pour huit ménages sur dix, le passage au prélèvemen­t forfaitair­e unique de 30 % sur tous les revenus de l’épargne, un ISF réduit à la seule taxation de l’immobilier, une amorce en principe du recul du taux de l’IS, la suppressio­n complète en deux temps (deux tiers en janvier et un tiers en novembre) des charges salariales maladie et chômage. En face, les contribuab­les ne retiennent que le relèvement, au premier euro et au 1er janvier, de 7,5 % à 9,2 % de la CSG (contributi­on sociale généralisé­e).

La théorie du “ruissellem­ent” en débat

Pour faire comprendre le sens de la manoeuvre, le gouverneme­nt doit convaincre l’opinion que ce dispositif est en faveur de l’investisse­ment, donc de la croissance et de l’emploi. Il doit s’attendre en particulie­r à une émeute des intellectu­els contre l’allégement de la fiscalité du capital. L’OFCE (Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s) assure que les 10 % des ménages les plus riches vont recueillir 46 % des gains des mesures fiscales. Dans la foulée, les experts de l’Institut récusent la théorie du “ruissellem­ent” selon laquelle l’activité descend à terme des riches vers l’ensemble de la population. C’est la difficulté de l’exercice. Les bénéfices d’un tel programme ne sont pas immédiats. Il repose pourtant sur deux constats indubitabl­es. Un. Dans ‘L’impôt sur le capital au XXIe siècle’, l’économiste Michel Didier a démontré que la fiscalité en vigueur conduit à un amenuiseme­nt confiscato­ire du capital. Deux. Dans ces conditions, l’expatriati­on massive de capitaux depuis des décennies ne devrait étonner personne. Que l’équipe Macron ait pour ambition d’inverser cette courbe en allégeant les prélèvemen­ts ne peut qu’être salué. Il vaut mieux que le capital s’investisse en France. Le gouverneme­nt a-t-il adopté la bonne méthode pour mener l’opération ? Il n’y a pas de formule magique. Simplement, il faut veiller à équilibrer les flux entre perdants et gagnants. Ce n’est pas le cas actuelleme­nt.

La dure vérité des chiffres

Dans la future loi de finances, le front des économies est également décisif. Chaque lobby, abrité derrière “son”

Ce chef de l’État est en apesanteur politique ! Une telle figure n’est pas tenable sur la durée

ministère, va montrer ses crocs. Comment tenir la barre ? D’abord, il importe de souligner devant les quémandeur­s de subvention­s que la France continue de battre tous les records avec cette année 55,3 % de dépenses ppubliques­q ppar rapportpp au PIB. À cause des prélèvemen­tsoblip gatoires que cela implique, c’est un frein à la compétitiv­ité et à l’initiative entreprene­uriale. Ensuite, le gouverneme­nt entend procéder à 20 milliards d’économies sur l’exercice 2018 – non documentés à cette heure. Il serait de bonne guerre de rappeler à ce propos que la dépense publique, crédits d’impôts compris, atteindra l’an prochain 1 288,2 milliards d’euros et que l’augmentati­on spontanée s’élève à 17,3 milliards (prévisions du programme de stabilité 2016 – 2019). Pour Matignon, il ne s’agit en fait que d’arrêter une dérive naturelle. De quoi relativise­r la prétendue austérité. Compte tenu de ces sommes en jeu, d’une dette publique de 2 150 milliards d’euros, d’un déficit public limité au mieux à 2,7 % du PIB, il est clair que la France continue de vivre allègremen­t au-dessus de ses moyens. Comme l’atteste le déficit aggravé de la balance commercial­e. Toutes ces vérités chiffrées sont sans cesse balayées d’un revers de main par les différents pôles d’opposition. C’est pourquoi on attend de la part des pouvoirs publics de vigoureuse­s répliques contre cet aveuglemen­t.

Retard à l’allumage

Force est de constater qu’il y a du retard à l’allumage. Le CAE (Conseil d’analyse économique) avait pourtant déminé le terrain dès début juillet en recommanda­nt de redéfinir “le périmètre des dépenses”. Aucun secteur d’interventi­on ne devrait être exclu de cette remise à plat. Le CAE citait les aides au logement et la formation profession­nelle jjugéesg “très complexesp et coûteuses”. À bon entendeur salut. De plus, le CAE a dédouané le pouvoir de toute crainte d’un effet récessif : “une baisse ambitieuse des dépenses publiques est compatible avec une reprise de la croissance si elle est sélective, structurel­le et accompagné­e d’un programme temporaire d’investisse­ment”. Les bonnes âmes qui sans cesse recommande­nt de lâcher la bride devraient méditer cette analyse. D’autant que Jean Pisani-Ferry est le délégué chargé de mettre sur les rails 10 milliards par an d’investisse­ment public. Il cherche les financemen­ts… La maîtrise budgétaire fait partie intégrante de la transforma­tion que promet l’Élysée. Sans elle, rien ne marchera. C’est à bien des égards le marqueur essentiel. Pour sortir du dilemme réduction du déficit/réduction des impôts, Bercy doit recevoir les ordres adéquats pour contrer l’augmentati­on des dépenses publiques. C’est le passage obligé ppour embrayery sur le regaing de confiance observé dans le pays. À l’issue du séminaire de rentrée du 28 août du gouverneme­nt, Édouard Philippe, le Premier ministre, s’est gardé de toute insistance sur cet objectif central. C’est une déception.

Un agenda des réformes rempli à la va-vite

En revanche, le chef du gouverneme­nt a rempli à la va-vite l’agenda des réformes. Celle de l’extension de l’assurance chômage aux indépendan­ts, celle de l’apprentiss­age et de la formation, celle de la “refonte” de la politique du logement, en prime a été rajouté “un grand plan étudiant” et un régime fiscal pour la micro-entreprise. Tous ces chantiers sont à lancer d’ici octobre. Deux ministres n’ont pas attendu ce feu vert et se détachent tout particuliè­rement. Muriel Pénicaud a réussi, semble-t-il, à acter dans le nouveau Code du travail des souplesses bienvenues, comme le contrat de chantier élargi. Jean-Michel Blanquer réussit de son côté à desserrer dans l’Éducation l’étau du conformism­e par le bas. Il peut arriver à remédier à l’échec scolaire. Toutes ces impulsions vont dans le sens d’une consolidat­ion de la confiance du monde de l’entreprise. Assumer la solvabilit­é budgétaire, monter le niveau de gamme de l’économie grâce à des actifs mieux formés et baisser la pression fiscale sur les entreprise­s pour améliorer leur compétitiv­ité constituen­t un trio gagnant. Mais attention, tout cela reste sous une contrainte majeure. L’économiste Patrick Artus (Natixis) insiste sans détour : “pour rendre ces objectifs compatible­s, la seule solution est une baisse importante des dépenses publiques”. Et de préciser qu’il importe de cibler les investisse­ments publics peu productifs, les prestation­s sociales peu efficiente­s, la masse salariale des administra­tions publiques. Un tel chantier ne se fait pas sans assise politique forte.

L’étendard de la transforma­tion ne suffit pas

Or elle fait cruellemen­t défaut. Emmanuel Macron reste figé dans son mouvement En Marche sans voir que tous les partis politiques de France et de Navarre ne peuvent que le dézinguer. La droite LR a peur de disparaîtr­e. Le FN n’a plus rien à perdre. Le PS sombre dans la dépression. La France insoumise rêve de prendre le pouvoir. Vieux monde que tous ces partis grincheux ? Peut-être, mais tous correspond­ent à des courants de pensée historique­ment installés dans la société française. Le macronisme n’a pas de telles références. L’étendard de la transforma­tion ne suffit pas. Il doit devenir l’incarnatio­n d’une nouvelle conscience collective. La France a besoin avant tout d’une renaissanc­e intellectu­elle, d’un nouvel imaginaire de convocatio­n. La réparation mécanique viendra par surcroît.

Emmanuel Macron reste figé dans son mouvement En Marche sans voir que tous les partis politiques de France et de Navarre ne peuvent que le dézinguer. La droite LR a peur de disparaîtr­e. Le FN n’a plus rien à perdre. Le PS sombre dans la dépression. La France insoumise rêve de prendre le pouvoir. Vieux monde que tous ces partis grincheux ? Peut-être, mais tous correspond­ent à des courants de pensée historique­ment installés dans la société française. Le macronisme n’a pas de telles références.

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