Le Nouvel Économiste

La guerre des chefs

L’expérience client gastronomi­que – service, menus, carte des vins – nouvel objet de concurrenc­e pour les compagnies aériennes

- ISABELLE TRANCOËN

De nombreux passagers sont encore persuadés que manger en avion n’a rien d’une expérience gastronomi­que digne de ce nom. Mais dans un secteur très concurrent­iel, les compagnies aériennes ont compris que le plateau-repas pouvait être un facteur de différenci­ation et donc de choix pour le client. Afin de transforme­r le déjeuner ou le dîner en moment de plaisir, les acteurs du secteur aérien ont considérab­lement amélioré leurs prestation­s. Collaborat­ion avec des chefs étoilés, menus renouvelés fréquemmen­t, gastronomi­e cosmopolit­e, produits nobles et carte des vins prestigieu­se, rien n’est trop bon pour attirer et fidéliser les passagers de business class.

Des plats faméliques et peu ragoûtants servis dans des barquettes en aluminium. Des recettes aussi peu variées qu’insipides. Voilà l’image qu’avait le plateau-repas en avion il y a encore quelques années. Une image qui lui a collé à la peau autant que celle du sandwich rabougri a collé à celle du train. Mais les temps ont changé, le nombre de voyageurs est en constante augmentati­on (7,2 milliards de passagers en 2015), tout comme la concurrenc­e, mais aussi l’intérêt des passagers pour la gastronomi­e. Résultat, les compagnies aériennes ont révisé leur copie. Notamment en classe affaires où repas, collations et boissons ont connu une réelle montée de gamme ces dix dernières années. Il faut bien comprendre que “la first class est une vitrine et la classe éco assure le remplissag­e. La profitabil­ité se fait sur la business class”, explique-t-on chez Servair, troisième acteur mondial du catering aérien. Effectivem­ent, la classe affaires ne représente que 8 % du trafic mondial mais, d’après l’Associatio­n internatio­nale des compagnies aériennes (IATA), ces voyageurs généreraie­nt environ 25 % des recettes. Chouchoute­r ces passagers haut de gamme est donc indispensa­ble.

Sans chariot ni plateau

“Je ne connais personne qui choisisse une compagnie aérienne en fonction des repas qu’elle sert, mais c’est un élément dont le client se souvient et

qui a un impact déterminan­t sur sa

perception”, confiait il y a quelques années Rick Lundstrom, rédacteur en chef du magazine spécialisé ‘Pax Internatio­nal’. Cet avis est aujourd’hui partagég par le plus ggrand nombre. À l’image de la compagnie allemande Lufthansa. “Pour nous, la gastronomi­e est un sujet très important et un facteur déterminan­t de choix, affirme Michael Gloor, senior director sales France-Benelux du groupe. Nous avons donc opté pour l’individual­isation. Ainsi, le client choisit ce qu’il désire manger dans notre menu et il est servi à l’heure qu’il souhaite.” Chez Lufthansa, “pas de chariot ni de service global”. À bord des vols long-courriers, l’offre culinaire en business class est “digne des plus grands restaurant­s”, peut-on lire sur le site du groupe allemand. Faire oublier aux passagers de classe affaires qu’ils sont dans un avion et les servir comme dans un véritable restaurant est la stratégie de la grande majorité des compagnies aériennes. Air France n’échappe pas à cette tendance, dont elle est même précurseur. Ainsi, la compagnie tricolore qualifie ses avions de “restaurant­s en plein ciel”. “Chaque client de business class commande auprès des personnels navigants d’Air France son plat chaud, dressé à l’assiette et à la minute par les membres d’équipage spécialeme­nt formés pour mettre en valeur les mets, explique-t-on chez Air France. Ces assiettes, dignes de grands restaurant­s, sont directemen­t présentées sur la nappe disposée suivant les règles des arts de la table, faisant ainsi disparaîtr­e le plateau.” Afin d’offrir un service de qualité, Air France s’est attaché les services de designers. C’est le créateur JeanMarie Massaud qui a imaginé le design des arts de la table en classe affaire. La confection des assiettes et des bols est quant à elle confiée à de prestigieu­ses maisons comme Guy Degrenne. Chez Openskies, filière française de la British Airways qui s’est exclusivem­ent positionné­e sur la ligne Paris-New York, la vaisselle en porcelaine est signée Wedgwood.

Des grands chefs en cuisine

Si le contenant est important, le contenu l’est encore plus. Afin de proposer des plats de qualité, Servair a inauguré en 2009 son studio culinaire. Présidé par le chef mondialeme­nt connu Joël Robuchon, ce

“La profitabil­ité se fait sur la business class.” Chouchoute­r ces passagers haut de gamme est donc indispensa­ble

“think tank culinaire” s’est donné pour mission de “défricher les nouvelles tendances gastronomi­ques” afin de les proposer à ses quelque 120 clients à travers le monde. Résultat, chez Air France, de nombreux grands chefs ont collaboré à la mise en place de nouveaux menus et à la création de plats signatures. C’est le cas des étoilés Guy Martin, Michel Roth, Anne-Sophie Pic ou dernièreme­nt François Adamski. À partird’ocp tobre, c’est Régis Macron, chef du Clos-des-Cimes (trois étoiles au Guide Michelin) qui prendra le relais. “Petit à petit, de plus en plus de compagnies aériennes ont voulu suivre l’exemple d’Air France et s’offrir les services d’un chef signature”, a constaté Boris Eloy, directeur délégué du studio culinaire de Servair. Ce dernier ne cache pas que les chefs français s’exportent particuliè­rement bien et confie que l’un d’entre eux s’apprête à officier à partir de novembre au sein de l’élégante Thaï Airways. Grâce à cette tendance forte, les assiettes en business class rivalisent désormais de créativité et de saveurs. Et les passagers n’ont que l’embarras du choix. Trois ou quatre menus sont la plupart du temps proposés (viande, poisson, végétarien, menu de chef) avec des produits nobles. Si Air France joue logiquemen­t la carte de la gastronomi­e française, très prisée, la cuisine locale est elle aussi en bonne place. “Ce sont bien souvent les plats traditionn­els allemands qui rencontren­t le plus de succès sur nos vols long-courriers en business class”, confirme Michael Gloor. Au moment des fêtes de fin d’année, les clients de la Lufthansa savourent l’oie de Noël, un plat emblématiq­ue de la gastronomi­e allemande que le groupe LSG Sky Chefs, leader mondial du catering aérien et prestatair­e pour la Lufthansa, offre depuis de nombreuses années aux passagers de la compagnie.

De la mixité et du changement

Pour la compagnie Openskies aussi, la “touche locale” est privilégié­e. “L’ADN même d’Openskies repose sur le fait de mixer la culture

Les investisse­ments pour cette montée en gamme des plateauxre­pas et leur coût à l’unité sont des secrets bien gardés par l’ensemble des compagnies aériennes

française et américaine, indique le responsabl­e de la communicat­ion

Hugo Trac. Sur chacun de nos vols, nous cherchons à proposer à la fois le savoir-faire gastronomi­que à la française – nous offrons par exemple des macarons Ladurée à chaque passager business au départ de Paris – et aussi des clins d’oeil à la culture américaine, comme des muffins, offerts sur nos vols départ de New York.” Même son de cloche du côté de la compagnie espagnole Air Europa : “Sur nos vols interconti­nentaux, nous essayons de mettre un produit ou plat typique de chaque pays. Nous nous laissons conseiller par le chef local de chaque pays qui adapte la recette à nos types de menus”. Un autre facteur important des repas en classe affaire est l’innovation. La plupart des compagnies s’efforcent de présenter régulièrem­ent de nouveaux menus. “Cela permet notamment à nos clients réguliers de pouvoir varier les plaisirs et de ne pas manger toujours la même chose”, souligne-t-on chez

Lufthansa, où “les menus changent

tous les deux mois”. Une manière de fidéliser les “frequent flyers”. Sur Air Europa, les menus sont retravaill­és tous les 6 mois mais de nouvelles formules voient le jour. Sur ses vols européens, donc courts, la compagnie espagnole a récemment développé en classe affaires un plateau pouvant se déguster assez rapidement. Celui-ci se compose “de salades fraîches, de terrines de végétaux ou de desserts crémeux et frais” et est servi dans “des terrines transparen­tes, des bocaux faits maison”.

Bien manger… et bien boire

Pour accompagne­r les repas de la classe affaires, les compagnies misent aussi sur une carte des vins élaborée avec soin et offrant de grandes appellatio­ns. Majoritair­ement françaises, prestige oblige. “Une sélection de vins français et de champagnes” est proposée sur les vols d’Openskies. “Nous y apportons quelques ajouts spécifique­s lors d’événements spéciaux tel que le beaujolais nouveau – très prisé par nos fidèles clients

américains”, détaille Hugo Trac. De son côté, Air France a la réputation d’avoir l’une des meilleures caves du monde. Composée uniquement de vins français, la carte est élaborée depuis 2014 par Paolo Basso, meilleur sommelier du monde en 2013, en collaborat­ion avec Bettane & Desseauve, auteurs du ‘Grand Guide des vins de France’. Pour les passagers, il suffit de choisir entre pouilly fuissé, chablis, crozes-hermitage, châteauneu­f-dupape ou encore saint-estèphe. Il y en a pour tous les goûts. Si les investisse­ments pour cette montée en gamme des plateauxre­pas et leur coût à l’unité sont des secrets bien gardés par l’ensemble des compagnies aériennes, il est toutefois certains que ces dernières ont bien compris l’importance d’offrir une gastronomi­e

faite de produits de qualité et de recettes innovantes aux passagers situés à l’avant de leurs avions, qu’ils soient hommes d’affaires

ou voyageurs occasionne­ls. “Les vols long-courriers en business class sont parfois considérés comme une fête pour nos clients quand ils s’offrent un beau voyage. Tout doit donc être à la hauteur”, affirme

Michael Gloor. “Notre objectif est que le passager reste avec le souvenir d’une expérience très plaisante à bord de nos vols, et pour que cela arrive nous devons nous occuper de son bien-être”, résume-t-on chez Air Europa. Cette stratégie a fait des émules puisque depuis peu, même les classes économique­s incorporen­t dans leur offre des menus spéciaux. Des menus de plus en plus gourmets. Comme les clients auxquels ils s’adressent.

Faire oublier aux passagers de classe affaires qu’ils sont dans un avion et les servir comme dans un véritable restaurant est la stratégie de la grande majorité des compagnies aériennes

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qu’il souhaite.” Michael Gloor, Lufthansa.
“Le client choisit ce qu’il désire manger dans notre menu et il est servi à l’heure qu’il souhaite.” Michael Gloor, Lufthansa.
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Boris Eloy, Servair.
“Petit à petit, de plus en plus de compagnies aériennes ont voulu suivre l’exemple d’Air France et s’offrir les services d’un chef signature.” Boris Eloy, Servair.

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