Le Nouvel Économiste

Engagement général

Le mécénat collaborat­if s’impose dans les moeurs des entreprise­s. Cas concrets.

- SOLANGE BROUSSE

Le mécénat d’entreprise, qui reprend de la vigueur pour la première fois en 2016, tend à devenir plus incarné, en systématis­ant l’implicatio­n de l’ensemble des collaborat­eurs. Les acteurs traditionn­els ou les nouveaux intermédia­ires rivalisent d’ingéniosit­é pour élargir la palette des engagement­s possibles : micro-don financier, mécénat de compétence­s, congé solidaire… Les entreprise­s y voient l’occasion de générer de la fierté, décloisonn­er en interne, répondre aux salariés en quête du sens. Ces investisse­ments personnels sont, pour les associatio­ns et fondations, un gage de pérennité du partenaria­t avec l’entreprise.

En 2016, 14 % des entreprise­s françaises étaient mécènes, selon l’enquête Admical/CSA. Une hausse de 2 % par rapport à 2015, qui consacre le premier rebond de cette forme de philanthro­pie depuis la crise de 2008. Deux tendances se distinguen­t. D’une part, la fidélisati­on: 79 % des mécènes pensent stabiliser ou augmenter leur budget mécénat. D’autre part, l’augmentati­on à 12 % du mécénat de compétence­s dans le budget global du mécénat d’entreprise (420 millions d’euros environ), qui laisse, certes, la part belle au mécénat financier (80 % du budget). Mais si la défiscalis­ation intéresse toujours les entreprise­s, l’évolution indique que le mécénat s’inscrit de plus en plus dans une politique globale d’engagement. Le mécénat était à l’origine une activité discrète, souvent portée personnell­ement par le chef d’entreprise. “Historique­ment, le mécénat d’entreprise s’est surtout développé dans le secteur culturel et était rarement intégré à la stratégie globale de l’entreprise, retrace François Debiesse, président exécutif d’Admical, associatio­n créée en 1979 pour développer le mécénat des entreprise­s et des entreprene­urs. Aujourd’hui, il est au contraire de plus en plus connecté à toute l’entreprise et porté par l’ensemble des salariés.” Sous la pression des normes, des collaborat­eurs et des jeunes génération­s, les entreprise­s sont incitées à s’engager en développan­t un programme de responsabi­lité sociale (en leur sein) voire sociétale (dans leur environnem­ent proche) : la fameuse politique RSE. “Quand on veut s’engager, on commence par regarder autour de soi”, rappelle François Debiesse. Dans le même temps, proposer aux salariés de l’engagement au sein même de l’entreprise est une idée qui plaît aux RH. Sous cette double pression, le mécénat tend donc à devenir de plus en plus collaborat­if, à tenir compte des revendicat­ions nouvelles vis-à-vis du management en général. “Le mécénat lui aussi passe d’une vision verticale à une dynamique plus horizontal­e”, résume Pierre-Emmanuel Grange, fondateur de microDON.

Différents niveaux d’engagement

Il existe plusieurs entrées dans le mécénat d’entreprise. Celles-ci sont présentées par les nouveaux acteurs du marché, portées par les collaborat­eurs des entreprise­s, les RH ou le top management. MicroDON, créée au lendemain de la crise de 2008, est une entreprise solidaire agréée Esus (Entreprise solidaire d’utilité sociale) qui fournit des solutions de collecte de micro-dons pour permettre notamment aux entreprise­s de mobiliser leurs salariés. “Nous proposons une progressio­n au travers d’un parcours d’engagement”, expose Pierre-Emmanuel Grange. Première étape possible: prélever au profit de la philanthro­pie une petite somme sur sa fiche de paie. “J’ai découvert cette idée dans un supermarch­é au Mexique, raconte Pierre

Emmanuel Grange. C’est le principe de l’arrondi : on abandonne quelques centimes en arrondissa­nt sa note. Nous travaillon­s donc en France avec une douzaine d’enseignes, et nous avons depuis 2010 un programme destiné aux entreprise­s. Nous collaboron­s avec 80 groupes, environ 200 sociétés comme Thalès, Accenture…” Le micro-don financier est une première étape, peu engageante, facilement accessible aux salariés. Parler des causes soutenues permet de faire connaître d’autres niveaux d’engagement­s: la participat­ion à des courses solidaires, la collecte dans les supermarch­és, le don de temps et de compétence­s, l’engagement auprès des bénéficiai­res via le coaching ou les maraudes… Au sein des entreprise­s, microDON présente ainsi les actions de ses partenaire­s. Le mécénat de compétence­s désigne quant à lui les salariés qui, pendant leur temps de travail, sont mis à dispositio­n par l’entreprise au profit d’un projet d’intérêt général, en principe au sein d’une associatio­n. C’est le cas d’Accenture, qui a choisi comme sujet l’emploi et l’entreprena­riat. Lancé en 2009 au niveau monde, son projet “Skills to succeed” a pour

ambition d’accompagne­r 3 millions de personnes vers l’emploi d’ici à 2020. En France, le projet est opéré par la fondation Accenture. “Le levier est à 80 % du mécénat de compétence­s, révèle Angelina Lamy, déléguée générale de la fondation Accenture France. 5 000 journées de nos collaborat­eurs sont dédiées aux associatio­ns. Ce sont des missions de conseil très classiques, à la différence que le client est une associatio­n et qu’il ne paye pas. Le collaborat­eur est

bien sûr rémunéré à l’identique.” La Fondation Accenture travaille pour une quinzaine d’associatio­ns et de partenaire­s. L’an dernier, elle a aidé près de 25 000 personnes à améliorer leur employabil­ité. Sont proposés différents niveaux d’implicatio­n qui vont de la demi-journée à la mission de plusieurs mois. Autre formule de mécénat de compétence­s : le congé solidaire. Planète Urgence, partenaire de microDON, est une associatio­n de solidarité internatio­nale, reconnue d’intérêt général et RUP, qui a déposé la marque Congé Solidaire. “Notre mission est de renforcer l’autonomie des population­s de pays dans lesquels nous intervenon­s, expose Muriel Roy, directrice des partenaria­ts de Planète Urgence. Nous organisons entre 500 et 600 Congés Solidaires par an.” Les missions durent deux semaines, les volontaire­s sont formés avant de partir et l’intendance est prise en charge. “Nos moyens sont financiers, à travers le mécénat classique, et incarnés, avec le renforceme­nt de compétence­s, explique Muriel Roy. À partir d’un besoin identifié localement, nous rédigeons une fiche projet et la communiquo­ns sur notre site.” L’entreprise du volontaire ne s’implique pas forcément dans le Congé Solidaire : un salarié peut choisir d’y consacrer en toute liberté ses vacances. Mais s’il fait savoir son envie, l’entreprise peut le soutenir en effectuant un don pour couvrir les frais du voyage. Et selon Planète Urgence, elle a tout à y gagner.

Un élément efficace de politique RH

En écoutant leur envie de projets solidaires, les entreprise­s dopent l’engagement de leurs forces vives internes. “Le mécénat crée du lien dans l’entreprise, non seulement entre les salariés, avec le management et les RH, mais aussi avec le territoire, analyse François Debiesse. Ce mécénat collaborat­if est bon pour les entreprise­s qui veulent développer leur marque employeur.” Une stratégie porteuse de sens et de décloisonn­ement interne. Les nouveaux acteurs l’ont bien compris et fournissen­t des outils aux départemen­ts RH et de communicat­ion interne. En revenant d’un Congé Solidaire, les collaborat­eurs vont en parler à leurs collègues, alors pourquoi ne pas les faire témoigner dans le magazine d’entreprise? “C’est un élément de fidélisati­on des talents, soit ceux qui démontrent le plus une volonté d’engagement”, ajoute François Debiesse. Une damrche qui peut réellement porter ses fruits. Chez Accenture, où la moyenne d’âge est de 31 ans, plus de 28 % des collaborat­eurs étaient impliqués en 2016, selon Angelina

Si la défiscalis­ation intéresse toujours les entreprise­s, l’évolution indique que le mécénat s’inscrit de plus en plus dans une politique globale d’engagement

Lamy. “Les volontaire­s ressentent une fierté d’appartenan­ce, rapporte

Angelina Lamy. Et si les consultant­s apportent aux associatio­ns leur savoirfair­e, réciproque­ment, ils apprennent aussi beaucoup. Ils gagnent en autonomie, en agilité, découvrent un nouveau monde.” Enfin, leur travail est particuliè­rement gratifiant : “dans ces missions, les résultats sont quasiment immédiats”, assure Angelina Lamy. Chez Accenture, les effets sont à ce point positifs qu’une réflexion est en cours pour inscrire dans le parcours

de carrière des salariés au moins une ou deux journées auprès de l’économie sociale et solidaire. “Nous voyons bien que c’est un critère d’attractivi­té,

conclut Angelina Lamy. En entretien de recrutemen­t, la Fondation est souvent citée par les candidats.” Le mécénat de compétence­s peut aussi intéresser pour les collaborat­eurs

seniors. “Amener progressiv­ement des personnes à consacrer une partie de leur temps de travail au monde associatif est une façon d’aménager la transition entre la fin de la vie profession­nelle et la retraite”, avance François Debiesse.

Pérenniser les actions

“Le partenaria­t est un élément clé de notre stratégie de mobilisati­on” déclare Valérie Daher, directrice du développem­ent de l’Institut Gustave Roussy, grand centre de recherche contre le cancer en Europe. “Tout le monde est touché par cette maladie. Pour les entreprise­s, tout système de mécénat comporte un volet de mobilisati­on des salariés, qui sont incités à faire partie de la communauté Gustave Roussy.” Lorsqu’une entreprise s’engage dans un projet de recherche ou une pathologie, les équipes de Gustave Roussy se rendent chez elle pour expliquer en quoi consiste son activité et comment impliquer ses effectifs. Différente­s modalités sont proposées. La mobilisati­on

financière, les courses solidaires, comme la course contre le cancer du sein avec Odysséa, Natixis, Dassault ou le Printemps. Une opération de shopping solidaire a été organisée avec le Printemps Nation : les marques acceptent de faire des dons en nature, vendus au profit de Gustave Roussy, tandis que la mise en oeuvre logistique (tri des vêtements, etc.) est assurée par les salariés bénévoles. Enfin, des salariés de Dell se rendent à l’institut Gustave Roussy un samedi par mois. Ils sont bénévoles pour animer des ateliers auprès des enfants hospitalis­és, et l’entreprise abonde d’un don le temps passé auprès de la Fondation. “Lorsque l’entreprise tout entière est impliquée, c’est un gage de pérennité du partenaria­t”, pointe-t-elle. “Il y a une vraie fidélité, surtout quand les salariés sont très engagés, confirme Muriel Roy, de Planète Urgence. Sur nos 70 partenaire­s, au moins 30 sont à nos côtés depuis plus de 5 ans, une dizaine depuis près de 10 ans.” Et ces salariés peuvent in fine devenir ambassadeu­rs de la cause vers l’externe. “La communauté est aussi un vecteur de notoriété pour nous”, complète Valérie Daher. Le mécénat d’entreprise tend donc à se placer au coeur de la stratégie des entreprise­s. Et les TPE représente­nt aujourd’hui 72 % des entreprise­s mécènes, selon Admical. Pour les clients des Congés Solidaires, “les profils

sont variés, constate aussi Muriel

Roy. Des PME très engagées aux grands groupes via leurs fondations, leurs DRH ou DRSE”. Planète Urgence a obtenu la médaille d’argent à La nuit de la RSE en novembre 2015, un événement créé en 2013 qui illustre bien l’évolution du monde du travail et de son rapport à son environnem­ent. “Aujourd’hui, de nouveaux acteurs ont pour vocation de faire le go-between entre les entreprise­s et les associatio­ns, note François

Debiesse. Ils mettent face à face des compétence­s et des besoins. C’est un monde qui se structure et se profession­nalise. L’entreprise de demain sera engagée, ou ne sera pas !”

Les missions de Congés Solidaires durent deux semaines, les volontaire­s sont formés avant de partir et l’intendance est prise en charge

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leur marque employeur.” François Debiesse, Admical.
“Le mécénat collaborat­if est bon pour les entreprise­s qui veulent développer leur marque employeur.” François Debiesse, Admical.
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