Le Nouvel Économiste

POURQUOI NOUS NE POUVONS PAS DORMIR TRANQUILLE

Et c’est malheureus­ement une volonté délibérée

- JANAN GANESH, FT

Les bilans des banques ne présentent toujours pas ce qui est nécessaire pour résister par gros temps. C’était le cas en 2007. C’est toujours le cas aujourd’hui. Ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire.

Il y a tout juste 10 ans, le RoyaumeUni a connu sa première panique bancaire en un siècle et demi avec la faillite de la banque Northern Rock. Ce ne fut qu’un problème mineur au milieu d’une énorme crise. Mais cet anniversai­re soulève des questions dont la plus simple est : avons-nous maintenant un système financier sûr? Hélas, la réponse est non. Les banques sont toujours moins sûres qu’elles ne devraient l’être, sans raison De la liquidité inattaquab­le, voilà toute la raison d’être de l’argent. Pourtant, l’argent des banques a atteint son plus faible niveau de sécurité quand la finance est à son plus haut niveau de fragilité. apparente. C’est une volonté délibérée. L’argent que créent les banques est un produit dérivé de leurs activités de prêt. Par nature, celles-ci sont risquées. C’est l’essence même du prêt. Mais le passif des banques est principale­ment de l’argent. La fonction première de l’argent est d’être une source sûre de pouvoir d’achat dans un monde incertain. De la liquidité inattaquab­le, voilà toute la raison d’être de l’argent. Pourtant, l’argent des banques a atteint son plus faible niveau de sécurité quand la finance est à son plus haut niveau de fragilité. Les banques ne peuvent pas fournir ce que ses clients veulent – de l’argent – quand les clients veulent absolument qu’elles le fassent. Ce système est voué à l’échec. Pour parer à cette difficulté, source de tant d’instabilit­é depuis des siècles, les gouverneme­nts imposent toujours plus d’assurances et de réglementa­tions, pour faire contrepoid­s. L’assurance pousse les banques à prendre toujours plus de risques. Les régulateur­s peinent à réguler car les banquiers ont beaucoup plus de motivation, de ressources et d’influence qu’eux. Un nombre non négligeabl­e de gens sérieux a pproposép des réformes radicales. Les économiste­s de l’École de Chicago ont recommandé la suppressio­n du système de réserves fractionna­ires dans les années 1930. Mervyn King, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, a soutenu que les banques centrales devraient devenir des “pawnbroker­s for all seasons” (des Monts-de-piété pour toutes les saisons) : de cette façon, les passifs liquides des banques ne pourraient pas dépasser la valeur collatéral­e spécifiée de leurs actifs. ‘The End of Banking’ de Jonathan McMillan, un livre qui encourage à la réflexion, recommande la désintermé­diation complète de la finance. Toutes ces propositio­ns tentent de séparer la prise de risques des avoirs de la population, qui sont des actifs liquides absolument sûrs. Associer ces deux fonctions dans un seul type d’institutio­n est le plus court chemin vers la catastroph­e, car la première fonction compromet la seconde et exige donc des interventi­ons complexes p d’envergureg de la ppart de l’État. Ce n’est tout simplement pas une solution de marché. Des réformes radicales sont souhaitabl­es. Mais de nos jours, c’est politiquem­ent impossible. En lieu et place, nous devons influer sur les réformes déjà effectuées depuis la crise. J’ai été consulté pour les recommanda­tions de la Commission indépendan­te britanniqu­e sur les banques (Independen­t Commission on Banking, ou ICB) au sujet du plafond d’absorption des pertes et de la protection des banques de détail britanniqu­es. Les deux connaissen­t des progrès qui vont dans la bonne direction. Mais même ainsi, comme le président de l’ICB Sir John Vickers l’a souligné dernièreme­nt dans un discours, les réformes n’ont pas encore rendu le rôle des banques (vues comme intermédia­ires qui prennent des risques) compatible avec celui de fournisseu­rs de passifs sûrs. C’est en grande partie parce qu’elles restent sous-capitalisé­es par rapport aux risques qu’elles prennent.p De grands commis de l’État affirment que les niveaux de capitalisa­tion imposés aux banques ont décuplé. Mais ce n’est vrai que si l’on se fie à l’alchimie de 25 pour 1. En d’autres termes, le niveau est passé d’insensé à ridicule. Plus les actifs d’une banque sont faibles, moins elle peut se permettre de perdre avant de devenir insolvable. Une banque proche de l’insolvabil­ité ne doit pas être autorisée à fonctionne­r puisque les actionnair­es, n’ayant plus rien à perdre, peuvent se risquer à faire d’énormes paris. Pourtant, il existe un moyen simple d’augmenter la confiance des créanciers dans la valeur du passif d’une banque sans avoir recours à l’aide du gouverneme­nt. Il suffit de réduire son effet de levier de 25 pour 1 à, disons, 5 pour 1, comme le proposent Anat Admati et Martin Hellwig dans leur ouvrage ‘The Bankers’ New Clothes’ (Les habits neufs des banquiers). Comme le note Sir John Vickers, cela entraînera­it des coûts pour les banquiers. C’est pourquoi ils détestent cette idée. Mais ce prix ne serait pas excessif pour la société dans son ensemble. Oui, il y aurait une légère augmentati­on du coût du crédit bancaire, mais le crédit bancaire est probableme­nt trop peu onéreux. Oui, la croissance de l’argent créée par la banque pourrait se tasser mais il existe d’excellents autres moyens pour créer de l’argent, en particulie­r les bilans des banques centrales. Oui, mais les actionnair­es ne seraient pas contents. Or la banque est une chose trop dangereuse pour être laissée dans les seules mains des actionnair­es. Et oui, on peut inventer des passifs d’emprunt destinés à être convertis en capitaux propres en cas de crise. Mais ils peuvent se révéler difficiles à utiliser en cas de crise et sont, dans tous les cas, un substitut inutile aux actifs. La conclusion est simple. Les banques sont en meilleure forme, par bien des aspects, qu’elles ne l’étaient il y a 10 ans, même si le traitement contestabl­e des revenus et des actifs dans leurs bilans fait toujours fortement douter de leur solidité financière. Mais leurs bilans ne présentent toujours pas ce qui est nécessaire pour résister par gros temps. C’était le cas en 2007. C’est toujours le cas aujourd’hui. Ne croyez pas ceux qui vous disent le contraire.

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