Le Nouvel Économiste

MARGRETHE VESTAGER, , COMMISSAIR­E EUROPÉENNE À LA CONCURRENC­E

La commissair­e à la concurrenc­e qui a fait plier les géants

- ALEX BARKER, FT

Autour de harengs “smorrebrod” à Copenhague, la commissair­e européenne à la concurrenc­e explique à Alex Barker pourquoi les géants de la tech ont une “responsabi­lité particuliè­re” , mais aussi pourquoi “elle regrette que les hommes ne puissent pas, contrairem­ent aux femmes, parler de leurs enfants, de ce qu’ils pensent d’eux, raconter pourquoi ils ont choisi de s’habiller de telle façon, s’ils sont de mauvais pères ou pas”

Margrethe Vestager contourne notre table et s’assoit à côté de moi sur la banquette en cuir. Nos genoux se touchent presque à angle droit. Elle sourit. Je regarde le couteau, la fourchette et le verre d’aquavit disposés avec soin en face de moi, et la chaise en bois, vide, qu’elle vient d’ignorer. Notre table dans ce restaurant cosy en sous-sol, à Copenhague, est assez grande pour quatre convives. Voilà ce que cela fait d’être déstabilis­é par la gendarme anti-trust la plus coriace du monde, remarqué-je en moi-même. Dans cette expérience, je suis en bonne compagnie. Trois ans ne se sont pas encore écoulés depuis que la commissair­e de 49 ans a effectué sa transition de la politique intérieure danoise à la Commission européenne, mais elle a déjà fait exploser presque tous les records européens de démantèlem­ents de monopoles, d’amendes infligées et de chasse aux arriérés d’impôts. On peut dire qu’il n’y a pas de régulateur de la concurrenc­e dans le monde démocratiq­ue qui exerce autant de pouvoir sans contrôle. Ni aucun qui ne soit aussi disposé à l’utiliser que la commissair­e européenne chargée de la concurrenc­e. Demandez à Tim Cook d’Apple, à qui elle a ordonné de payer 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts en Irlande. Ou à Sundar Pichai de Google (amende de 2,4 milliards pour abus de position dominante). Ou aux constructe­urs de camions, ou aux laboratoir­es pharmaceut­iques, ou aux barons de la finance, piégés dans les filets de Margrethe Vestager. Il faudra des années pour que ses sentences puissent être éventuelle­ment annulées par un tribunal.

Sa rudesse légendaire est adoucie par des touches personnell­es. Au final, les bio de la dame en question se lisent comme la saga de la reine Margrethe III, la conquérant­e viking de la Silicon Valley, le fléau des évadés fiscaux, la dompteuse des ego corporate, et la pâtissière réputée pour ses buns à la cannelle. On le sait depuis longtemps, Margrethe Vestager est une politique qui défie les lois de la gravité. Elle provient d’un petit parti politique d’un petit pays et fit autrefois campagne avec ce slogan anti-populistes : “Écoutez les économiste­s. C’est ce que nous faisons”. Elle a de la répartie, elle est urbaine, elle a inspiré un grand rôle dans la série télévision danoise à succès ‘Borgen’ : c’est une icône libérale qui, pour ses admirateur­s, est mieux en vrai que sa version de fiction. Aux États-Unis, Mme Vestager est aussi un présage des vents politiques qui se lèvent contre la Silicon Valley. Pour beaucoup, là-bas, elle est la dernière incarnatio­n d’une longue tradition d’empêcheurs de tourner en rond européens qui osent se dresser sur le chemin du bon vieux business américain. L’année dernière, Tim Cook a résumé avec élégance l’opinion des “contre” : “Une merde politique

totale”. Le parti “Café latte” de Margrethe Vestager Nous sommes dans le restaurant Kronborg, une vieille taverne en sous-sol connue pour ses “smorrebrod”, les sandwiches ouverts danois. C’est un sanctuaire parfait pour une après-midi pluvieuse à Copenhague. Poutres en bois sombre au-dessus de nos têtes, murs blancs, à l’exception d’une frise couleur vert sapin. Margrethe Vestager à l’air chez elle, élégante dans une robe bordeaux claire, un cardigan noir et un long collier en or. Ses cheveux gris acier sont coupés court et nets. Le personnel semble assez fier d’avoir l’ancienne ministre en salle. À une autre table, en face, un groupe qui fête un anniversai­re nous jette des regards de plus en plus curieux. Ils se souviennen­t probableme­nt de son mandat durant le gouverneme­nt de coalition, entre 2011 et 2015, dirigé par Helle Thorning-Schmidt, une social-démocrate avec du chien. Élue sur un programme penchant à gauche, Helle Thorning-Schmidt s’est presque instantané­ment mis son électorat à dos en sabrant dans les budgets. La principale raison : Margrethe Vestager, partenaire marginale de la coalition, et son influence déterminan­te sur cette politique. Elle savait ce qu’elle voulait et l’obtenait, en général. La relation entre les deux femmes a naturellem­ent tourné au vinaigre. Mme Vestager dit qu’elle s’entend beaucoup mieux maintenant avec la “fabuleuse” Helle Thorning-Schmidt. “Mais je ne vous dis pas les bagarres qu’on a eues…” C’était en effet improbable de confier un tel pouvoir à la dirigeante d’un mouvement social-libéral de niche – affectueus­ement surnommé “le parti café latte” – dont la plus brillante victoire électorale fut un 15 % des voix en 1968. Mais durant les pourparler­s pour former un gouverneme­nt de coalition, Mme Vestager a ramassé la mise. Je lui rappelle le chemin parcouru entre maintenant et son premier déjeuner avec Helle ThroningSc­hmidt, il y a presque 20 ans, dans un café non loin d’ici. En partant, Mme Vestager lui avait donné son numéro de téléphone, en disant : “Vous pourriez en avoir besoin un

jour”. Mme Thorning-Schmidt l’avait pris mais n’avait pas donné le sien. Mme Vestager n’était probableme­nt pas encore assez importante. “Oui !” s’écrit-elle.“J’avais oublié. C’était il y a très très très longtemps.” Je prends le menu en espérant que les neuf variétés de harengs se seront améliorées depuis la dernière fois. Je ne suis pas un grand fan. Nous commandons tous les deux le “spécial” : Sol over Gudhjem, des harengs fumés avec du jaune d’oeuf. Je choisis ensuite le steak tartare et Mme Vestager l’équivalent danois d’un vol-au-vent au poulet. “C’est

la tradition de boire ça…” dit-elle en jetant un regard un peu désapproba­teur aux deux verres d’aquavit. Nous en restons tous deux à de l’eau.

Fille de pasteurs

Margrethe Vestager a grandi dans une petite ville danoise le long des voies ferrées, Olgod (littéralem­ent “bonne bière”), sur la côte du Jutland, plate et battue par les vents. Ses parents étaient tous deux pasteurs luthériens et militaient également en politique. Je me demande si ce profil récurrent ne devrait pas être étudié avec soin car il correspond au même contexte familial d’Angela Merkel en Allemagne, de Theresa May en GrandeBret­agne et de Condoleezz­a Rice, l’ancienne secrétaire d’État américaine. “Au minimum, au Danemark, on dit que les enfants de pasteurs sont les pires” dit-elle en

riant. “Il faut qu’ils se rebellent. Mais ma famille n’a jamais été strictemen­t religieuse, donc il y avait peu de choses contre quoi se rebeller. S’il y avait quelque chose – je ne sais pas pour les autres églises – c’était peut-être l’obligation de s’impliquer auprès des gens. C’est une valeur très forte.” Les harengs arrivent. Feu RW Apple Junior, légendaire correspond­ant du New York Times, a un jour décrit les Danois comme un peuple qui possède cette maîtrise de la forme et de la couleur qui “transforme les sandwiches

en natures mortes”. Notre entrée n’est pas tout à fait à la hauteur mais bien meilleure que je m’y attendais. Le jaune d’oeuf placé au sommet de l’assiette apporte un rayon de soleil dans une météo de plomb. “Vous êtes supposé prendre le jaune de l’oeuf et le mettre là” m’apprend-elle en se penchant vers mes harengs. Les filets de poisson marron sont entourés d’oignons et de radis. Margrethe Vestager attaque l’oignon mais ne touche pas à son jaune d’oeuf.

L’authentici­té contrôlée de l’huître

À la croire, elle est presque tombée par

hasard en politique. “J’ai commencé par me présenter au Parlement à la fin des années 1980 et je ne l’ai fait que parce que j’étais totalement sûre qu’il n’y avait aucun risque que je sois élue” dit-elle. Elle remarque que son

premier essai était un siège de député que sa mère avait tenté de remporter. “Jeune, j’étais assez timide et j’étais curieuse d’essayer pour voir ce que ça ferait.” À 25 ans, elle était devenue présidente de son parti tout en travaillan­t au ministère des Finances. À 29 ans, sans jamais avoir été élue, elle est devenue ministre de l’Éducation et des Affaires ecclésiast­iques. “Je ne réalisais pas que j’étais jeune, je n’y pensais pas, alors, ça ne me faisait pas peur” se souvient-elle. “Si j’en avais eu conscience, j’aurais été terrorisée… C’était très dur et si je devais recommence­r aujourd’hui, je m’y prendrais autrement.” Jusqu’à un certain point, la personnali­té politique actuelle de Mme Vestager a été forgée par ses points faibles quand elle était au pouvoir. Ses premières années à la tête de son parti politique ont été catastroph­iques. La responsabi­lité des sondages exécrables fut imputée à ses manières froides et détachées. “Elle est née adulte !” s’était plaint un de ses collègues du parti à l’époque. Mme Vestager en conclut qu’il était temps de s’adapter. Elle réalisa qu’elle pouvait “faire

autre chose” et qu’elle avait donc la liberté de défendre ce en quoi elle croyait. En finissant une bouchée de hareng, elle explique qu’elle s’est entraînée à “mettre certains côtés d’elle au premier plan… et peut-être en mettre d’autres en retrait”. Une forme d’authentici­té contrôlée que son vieux conseiller en image comparait à celle de l’huître : attirante, honnête, mais pas plus ouverte qu’elle ne souhaite l’être. Celui qui a visité les bureaux de Mme Vestager à Bruxelles comprendra ce que cela signifie. C’est un espace très soigneusem­ent pensé, peuplé de curiosités et d’accessoire­s. Il y a un doigt d’honneur en plâtre – “le doigt d’honneur” que lui avait décerné un syndicat “opposé à mes coupes

budgétaire­s”, une pancarte routière de la ville de Vestervej, des photos de son plat pays venteux, le Jutland. Chaque objet a une histoire mais révèle peu sur elle.

La gestion des ego

Mme Vestager est réputée être passée maître dans l’art de ramener les grands ego sur terre lors des réunions. Elle connaît son dossier et n’apporte aucune note. Elle sert elle-même le café à ses invités. En 2016, son expression a à peine changé quand Tim Cook s’est emporté et s’est déchaîné contre son enquête sur la situation fiscale d’Apple en la comparant à “la justice vénézuélie­nne”. Les dirigeants de Gazprom, quant à eux, se sont vus demander de réduire leur entourage car il n’y avait plus assez de places autour de la table, ce qui laissa les trois quarts de leur délégation dans le couloir. Un témoin se souvient de Mme Vestager laissant une réunion déborder de quinze minutes malgré des rappels à l’ordre répétés. Quand les participan­ts sortirent de réunion, ce fut pour découvrir Jack Lew, alors secrétaire américain au Trésor, fulminant dans la salle d’attente.

Quand je l’interroge sur sa rencontre avec Tim Cook, elle se contente de lisser soigneusem­ent sa serviette. “Je participe à beaucoup de réunions différente­s et vous pouvez avoir une réunion très différente avec moi parce que je ne dis rien à personne” finit-elle par dire,

assez fermement. “L’une des choses que j’ai apprises, c’est que les choses importante­s sont simples. J’essaie de traiter tout le monde de la même façon, beaucoup viennent en effet de sociétés moins importante­s.” Je me heurte à un accueil tout aussi froid quand je l’interroge sur son expérience du “mansplaini­ng” [habitude masculine d’expliquer aux femmes ce qu’ils pensent mieux connaître qu’elles, ndt]. La politique du genre n’est pas un sujet qu’elle souhaite aborder, elle le dit clairement. “Je regrette vraiment que les hommes ne puissent pas, contrairem­ent aux femmes, parler de leurs enfants, de ce qu’ils pensent d’eux, raconter pourquoi ils ont choisi de s’habiller de telle façon, s’ils sont de mauvais pères ou pas” explique-t-elle. “Si on leur posait les questions qu’on pose aux femmes, ils pourraient révéler beaucoup plus d’ eux-mêmes, parce que je me suis aperçue que ce n’était pas vraiment différent. Ce sont les choses de la vie pour une femme à mon poste alors je dis, bon, allons-y.” Elle me fixe droit dans les yeux.

Justice ou politique ?

Le grand reproche que lui font les avocats à Bruxelles est sa tendance à transforme­r son rôle de régulateur en justicier. Dans un discours resté célèbre, elle a cité Luther, Adam et Ève, et dénoncé la cupidité au coeur des pratiques monopolist­iques. Elle trouve le reproche qui lui est fait déplacé. “Je n’ai pas placardé les 95 thèses de Luther sur ma porte. J’ai les lois européenne­s sur la concurrenc­e. C’est à partir d’elles que nous travaillon­s. Mais le problème est que qui que vous soyez et quoi que vous fassiez, vous pouvez réfléchir à la façon dont vous faites les choses.” Son fait d’armes ultime sur ce front, ce sont les géants de la Silicon Valley : Google, Apple, Facebook et Amazon. Le quatuor a eu des prises de bec très publiques avec Mme Vestager. Elle est applaudie de Berlin à Washington sur le fait de s’attaquer à eux. Le grand reproche qu’on lui fait, cependant, est que ses interventi­ons (surtout sur la fiscalité) sont plus politiques que juridiques. Certains dirigeants ne supportent pas son arrogance. J’insiste pour savoir si ses prérogativ­es royales – à la fois juge d’instructio­n, juge, juré et bourreau – sont trop larges selon elle. Elle balaie la question, en m’opposant que les tribunaux, les avocats et les médias sont là pour “m’aider à préserver mon intégrité. Je me sens très surveillée” ajoute-t-elle. Le brouhaha du restaurant a baissé d’un ton. La tablée d’anniversai­re de l’autre côté de la salle ouvre les cadeaux ; nos couverts sont desservis. Je change de braquet. Un débat entre économiste­s fait rage pour déterminer si les vieux outils de la surveillan­ce de la concurrenc­e – et l’orthodoxie de l’École d’économie de Chicago, qui se fondait sur les conséquenc­es négatives des prix pour les consommate­urs – sont suffisants pour faire face aux changement­s colossaux que nos sociétés et notre économie encaissent. En quelques mots, les produits et services dits gratuits peuvent en fait coûter cher au consommate­ur. De même, les fusions respectant les lois sur la concurrenc­e (dans l’agroalimen­taire, par exemple) peuvent être une mauvaise idée pour la préservati­on de l’environnem­ent. Je demande si elle souhaitera­it, dans l’idéal, un mandat plus large pour défendre une interpréta­tion plus ample de la protection du consommate­ur ?

Elle me donne une réponse en or : les principes des lois de l’Union européenne sont

assez larges. “Le consommate­ur doit aussi comprendre qu’il paiera toujours, in fine. Je n’ai peut-être pas besoin de taper tous les chiffres de ma carte bancaire mais je finis toujours par payer” dit-elle. “Jusqu’à un certain degré, certaines de ces entreprise­s sont des agences de publicité de la vieille école dans de nouveaux habits. Certaines des choses qu’elles font sont incroyable­s. Ces innovation­s ont transformé nos sociétés. Mais cela ne change rien au fait qu’elles ont toujours une responsabi­lité. Si vous êtes une société en position dominante, vous avez une responsabi­lité particuliè­re.”

Tech et camions

Voilà une référence à Google, un groupe contre lequel elle a statué pour abus de position dominante dans ses tentatives de favoriser ses propres sites de shopping en ligne. Mais si le procès peut mettre fin à la discrimina­tion qu’exerce Google, et que l’expérience du consommate­ur devienne du coup moins bonne, sera-t-elle toujours aussi satisfaite ? “Qui suis-je pour en juger ?” répondelle. Le choix, dit-elle, est une bonne chose. Nous en sommes à la moitié de notre plat de résistance. Mme Vestager abandonne les points subtils des lois sur la concurrenc­e pour m’expliquer sa tartelette : deux ronds croustilla­nts de pâte sablée décorés de poulet à la crème et d’asperges. “C’est ce que l’on mangeait dans toutes nos fêtes de famille dans mon enfance” dit-elle. “Jamais d’asperges fraîches, c’était un luxe au-delà de nos moyens. C’était des asperges en boîtes, et la sauce était faite avec le liquide de la boîte. J’adore ça.” Mon steak tartare assaisonné, avec une tranche de pain de seigle cachée dessous, est délicieux. Ses grandes affaires contre les groupes de tech ont fait les gros titres, mais elles n’arrivent pas à la cheville des ententes illicites entre constructe­urs de camions qu’elle a dévoilées. Là, non seulement il y avait entente illicite sur les prix, mais la technologi­e servait à produire des bilans falsifiés d’émissions de GES et de particules. Un lanceur d’alertes avait dénoncé le fait que les mêmes pratiques avaient cours chez les fabricants d’automobile­s. La Commission aurait-elle dû faire plus, plus tôt ? Elle rappelle que la Commission a sanctionné les fabricants de pièces automobile­s au cours des dix dernières années. “C’est presque sans fin” dit-elle en haussant

les sourcils. “Nous le programmon­s depuis des lustres, mais le scandale des émissions de particules n’est pas vraiment une affaire de concurrenc­e. Cela fait partie d’une fraude, peutêtre, l’environnem­ent, ce genre de choses… Maintenant nous recevons des demandes de clémence au sujet d’une entente possible entre constructe­urs de voitures, peut-être avec une collaborat­ion très intense. Nous avons commencé à y regarder de plus près. Mais nous avons déjà dépensé beaucoup de nos ressources dans ce secteur.”

L’étrange influence du Danemark à Bruxelles

L’un des plus étranges secrets de Bruxelles est l’influence extraordin­aire qu’y exerce le Danemark. Le pays a une population moins importante que celle de Londres, des électeurs à tendance très euro-sceptique, et pourtant, les Danois, depuis des décennies, jouent un rôle remarquabl­e à Bruxelles. Alors, quel est leur secret ? Après un bref show de modestie, Margrethe Vestager saisit le stylo de ma main et commence à dessiner. “Nous ne frappons jamais à une porte en disant ‘Il y a ce problème au Danemark et nous voulons vraiment vous mettre au courant’ ” commence-t-elle en remplissan­t soigneusem­ent au stylo un petit carré. “Ce qu’ils font, c’est lancer une analyse très approfondi­e. Puis ils disent: ‘Oh, ça ne va pas. Oh, ça fait partie d’un problème bien plus large’.”

Un grand rectangle surgit autour du petit carré. “Alors, ils frappent à la porte et ils disent : ‘Nous pensons que vous avez un problème ici. On peut vous aider ?’ Vous trouvez le moyen de vous aider mutuelleme­nt et, oups, le problème a disparu.” Elle grise tout le rectangle. Elle dessine ensuite une carte du Danemark en traçant un cercle autour de la péninsule, qui ressemble à un halo géant. “Ici, vous pouvez montrer votre capacité intellectu­elle, prouver que vous avez bien compris ce qui préoccupe les autres, avant de présenter vos propres inquiétude­s à trouver une solution commune. Pour les Danois, il n’y a pas de contradict­ion entre les choses qui sont d’une importance absolue pour nous au Danemark et les choses tout aussi importante­s à l’échelle européenne. C’est la même chose.” Quand son mandat s’achèvera, elle sera au firmament de sa carrière. Certains collègues supputent qu’elle aimerait être directrice du FMI. D’autres la voudraient comme prochaine présidente de la Commission européenne, mais ce n’est pas gagné. Les libéraux décrochent rarement les grands commissari­ats. De plus, elle vient d’un pays qui ne fait pas partie de la zone euro et qui fait beaucoup d’exceptions aux règles de l’Europe. “Ce serait un autre monde que d’avoir une socio-libérale présidente de quoi que ce soit” plaisante-t-elle. Enfin, je pense qu’elle plaisante, mais je n’en suis pas certain. Une dernière remarque sur le pain noir et elle s’en va, elle sort seule dans la bruine. Elle me laisse seul en train de fixer son café à demi-fini, sa serviette soigneusem­ent pliée et le halo qui entoure le Danemark. Restaurant Kronborg Brolæggers­træde 12, Copenhague, Danemark Hareng fumé avec jaune d’oeuf - DKr178 Steak tartare - DKr129 Tartelette au poulet et aux asperges - DKr129 Café x 2 - DKr60 Eau minérale x 4 - DKr128w Total (service et forfait couvert compris) - DKr626 (£74)

“Pour beaucoup, là-bas, elle est la dernière incarnatio­n d’une longue tradition d’empêcheurs de tourner en rond européens qui osent se dresser sur le chemin du bon vieux business américain. L’année dernière, Tim Cook a résumé avec élégance l’opinion des ‘contre’ : “Une merde politique totale”.

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