Le Nouvel Économiste

Économie sociale

La transforma­tion de l’ISF en IFI inquiète les acteurs de la générosité, même si le nouveau dispositif devrait (en principe) continuer à leur profiter

- EZZEDINE EL MESTIRI

Les associatio­ns et la réforme de l’ISF

Institué par la loi TEPA d’août 2007, l’ISF-dons a ouvert des opportunit­és philanthro­piques à des contribuab­les jusque-là peu investis, en leur offrant notamment la possibilit­é d’organiser stratégiqu­ement leurs dons. Or, cette ressource qui profite au monde de la solidarité pourrait diminuer à l’avenir avec la réforme de l’ISF entamée par le gouverneme­nt.

Chaque année, 43 000 contribuab­les ont recours au don ISF, qui leur permet de bénéficier d’une réduction de leur ISF à hauteur de 75 % du montant de leur don à une associatio­n ou une fondation reconnue d’utilité publique, dans la limite de 50 000 euros. Le don ISF peut prendre la forme d’un don en pleine propriété ou d’une donation temporaire d’usufruit. Il peut aussi profiter à une oeuvre dont le siège est situé dans un autre pays de l’Union européenne. Mais la réforme en cours de l’ISF inquiète profondéme­nt les acteurs de la philanthro­pie.

“Cela va se traduire de fait par une baisse de nos ressources. Sur notre budget annuel de 17 millions d’euros, 800 000 euros viennent de la collecte de dons ISF. Ce n’est pas énorme, mais la transforma­tion La transforma­tion de l’ISF en IFI sortira de fait de l’assujettis­sement la moitié des personnes qui le payent aujourd’hui de l’ISF est un mauvais signe pour le monde de la générosité, note Dominique Vienne, responsabl­e des dons et legs chez ATD Quart Monde. Cela va se traduire par une baisse de notre collecte.” Mais même si son assiette est réduite à la seule fortune immobilièr­e, la suppressio­n du dispositif d’investisse­ment en faveur des PME laisse encore un peu espoir. Dans le cadre de la future réforme, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, vient d’annoncer le transfert des dispositif­s de réductions fiscales dits “ISF-dons” vers le futur impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) à même périmètre, taux et bénéficiai­res. “La réforme redéfinit l’assiette de l’impôt aux seuls biens immobilier­s. Le gouverneme­nt a annoncé que la déduction au profit des fondations serait maintenue alors que celles au profit de l’entreprise seraient supprimées, remarque Antoine Vaccaro, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthro­pie.

Les fondations reconnues d’utilité

publique (FRUP) risquent toutefois d’être impactées en raison de la

réduction de l’assiette.” L’assiette du futur IFI étant considérab­lement restreinte par rapport à celle de l’ISF, puisque les placements financiers, l’épargne et autres valeurs mobilières sortiraien­t du patrimoine taxable de l’ISF, et ce afin d’encourager l’investisse­ment dans la croissance des entreprise­s.

Bonne ou mauvaise nouvelle ?

La transforma­tion de l’ISF sortira de fait de l’assujettis­sement la moitié des personnes qui le payent aujourd’hui. D’après les chiffres fournis par le ministère du Budget, les dons ISF en 2016 représenta­ient 254 millions d’euros, alors que l’investisse­ment ISF dans les PME représenta­it 500 millions d’euros. Si ce dispositif disparaît, la philanthro­pie devient le seul moyen pour réduire l’ISF, et ceux qui investissa­ient dans les PME pourraient se reporter de fait sur un don ISF. “Il semblerait que le dispositif de réduction fiscale dit ISF-PME ne sera pas transposé sur l’IFI ; on peut donc espérer un meilleur report des

Si le dispositif ISFPME disparaît, la philanthro­pie devient le seul moyen pour réduire l’ISF, et ceux qui investissa­ient dans les PME pourraient se reporter de fait sur un don ISF

contribuab­les sur le dispositif d’encouragem­ent à la générosité. Mais, rappelons-le, donner coûte toujours plus que de s’acquitter uniquement de son impôt, souligne Béatrice de Durfort, déléguée générale du Centre français des fonds et fondations. Comme les choses peuvent encore évoluer durant le débat parlementa­ire de cet automne, il convient de rester vigilant sur la question, tout en poursuivan­t notre réflexion sur les alternativ­es au manque à gagner prévu par le passageg de l’ISF à l’IFI.” À la Fondation des petits frères des pauvres, les dons représenta­ient en 2016 près de la moitié des ressources. La très grande majorité provient des dons ISF.

En effet, sa collecte a très fortement augmenté avec la loi TEPA, passant de 200 000 euros en 2007 à près de 6 millions

euros en 2016. “L’annonce faite par le ministre de l’Economie et des Finances de supprimer le dispositif ISF-PME nous donne espoir. Faire de l’IFI-dons l’unique dispositif de réduction du futur IFI est une

bonne nouvelle pour nous, indique Martine Borgomano, directrice de la Fondation des petits frères

des pauvres. La fortune de nos donateurs est largement composée de patrimoine immobilier. Certains vont sortir du seuil d’imposition, mais la plupart resteront encore assujettis. Nous sommes rassurés parce qu’à la première annonce de

“Les donateurs sont avant tout des philanthro­pes. Ils utilisent ensuite la fiscalité comme levier pour optimiser leur générosité. Il faut cesser d’appréhende­r la philanthro­pie uniquement sous l’angle fiscal”

la transforma­tion de l’ISF, nous avions craint de perdre la plus grande partie de nos ressources.”

Fidélisati­on nécessaire, plus que jamais

Depuis cinq ans, le nombre de grands donateurs assujettis à l’ISF est en progressio­n grâce à la prise de conscience de l’utilité du don par ces contribuab­les, mais aussi au travail des associatio­ns, qui identifien­t de mieux en mieux ces grands donateurs en développan­t des arguments pour les convaincre. Mais l’enjeu pour les acteurs de la générosité est de s’adapter à cette nouvelle donne et de réinventer une approche pour continuer à intéresser ces grands donateurs. “La concurrenc­e va être très vive. Dès que le dispositif IFI sera connu et stabilisé, les fondations vont devoir faire preuve d’esprit d’initiative pour encourager leurs donateurs à renouveler, voire augmenter leur don, constate Antoine Vaccaro. Cela passe par des ‘offres’ des projets d’intérêt public encore plus affûtées, et une promesse d’informatio­ns sur le bon usage et l’impact de ces dons.” Avec les restrictio­ns budgétaire­s et la réforme fiscales annoncées, l’année 2017 s’annonce difficile pour l’ensemble des acteurs de l’intérêt général. Associatio­ns et fondations ont à resserrer le lien avec leurs grands donateurs pour les fidéliser. “Les donateurs sont avant tout des philanthro­pes. Ils utilisent ensuite la fiscalité comme levier pour optimiser leur générosité. Les donateurs sont avant tout des philanthro­pes. Ils utilisent ensuite la fiscalité comme levier pour optimiser leur générosité. Il faut cesser d’appréhende­r la philanthro­pie uniquement sous l’angle fiscal Il faut cesser d’appréhende­r la philanthro­pie uniquement sous l’angle fiscal. Dans notre communicat­ion envers nos donateurs, nous évoquons nos projets et le sens du soutien apporté à des population­s fragilisée­s, explique Martine

Borgomano. Nos donateurs veulent être à nos côtés pour contribuer à la résolution de problèmes comme la pauvreté, la précarité des personnes âgées…” Les acteurs de la générosité doivent donc imaginer des alternativ­es pour sécuriser leur financemen­t, en faire des “donacteurs”. “Les personnes qui ont été véritablem­ent associées, et guidées dans leurs choix, auront développé non seulement une forme de générosité, mais aussi le goût de l’engagement qui va avec, indique Béatrice de

Durfort. Par contre, les structures qui auront essentiell­ement argumenté leur levée de fonds sur l’attrait fiscal sont plus à risque dans la pérennisat­ion de la relation avec leurs donateurs.”

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français des fonds et fondations.
“Les choses peuvent encore évoluer durant le débat parlementa­ire de cet automne, il convient de rester vigilant sur la question.” Béatrice de Durfort, Centre français des fonds et fondations.
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“Le gouverneme­nt a annoncé que la déduction au profit des fondations serait maintenue alors que celles au profit de l’entreprise seraient supprimées.” Antoine Vaccaro, Cerphi.
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“La fortune de nos donateurs est largement composée de patrimoine immobilier. Certains vont sortir du seuil d’imposition, mais la plupart resteront encore assujettis.” Martine Borgomano, Fondation des petits frères des pauvres.

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