Le Nouvel Économiste

RENAISSANC­E IDÉOLOGIQU­E Q À DROITE

Ce classique de la vie politique ne résiste pas à la réalité des chiffres

- LE COGITO DU QUINQUENNA­T, JEAN-MICHEL LAMY

C’est une partie de poker menteur inédite. L’ensemble des associatio­ns d’élus des régions, des départemen­ts, des communes et des intercommu­nalités ont choisi de défier le pouvoir central en refusant a priori le ppacte de confiance État-collectivi­tésterrip toriales intégré au projet de loi de finances pour 2018. Ce pacte prévoit, il est vrai, une participat­ion du “millefeuil­le” au redresseme­nt des comptes publics à hauteur de 13 milliards d’euros d’ici 2022 sur une enveloppe globale d’économies de 60 milliards d’euros programmée sur le quinquenna­t. Cet objectif est à mettre en regard du montant de dépense publique totale de 1242,8 milliards d’euros pour 2015 (Tableaux 2017, Insee) Certes, la révolte de la France des terroirs est un classique de la vie politique. Mais cette fois-ci, la majorité présidenti­elle LRM (La République en Marche) est “neuve”. Elle ne détient en tant que telle aucun bastion local – à la grande différence des partis traditionn­els. C’est un obstacle sur le chemin de la transforma­tion du pays voulu par Emmanuel Macron. Il est de taille : on ne gouverne pas uniquement avec les préfets. Sans les relais des réseaux du maillage territoria­l, la pédagogie présidenti­elle d’en haut ne diffusera jjamais en bas. C’est le Premier ministre, Édouard Philippe, qui est chargé de recoller les morceaux. Il va essayer de négocier, selon ses propres termes,

“un contrat de mandature” avec les intéressés dans le cadre de la CNT (Conférence nationale des territoire­s). Le rendez-vous est fixé au 14 décembre prochain. Il est à hauts risques ppour Matignong et l’Élysée. Une frondepers­isq tante des élus locaux entamerait fortement la crédibilit­é présidenti­elle et la capacité d’agir du gouverneme­nt.

Une économie demandée de seulement 1 % de la dépense territoria­le

Pourquoi une telle levée de boucliers contre le pacte financier Macron ? Le projet de loi de la programmat­ion des finances

publiques 2018 à 2022 inscrit pour chaque année sous revue une augmentati­on, inflation comprise, de 1,2 % des dépenses réelles de fonctionne­ment pour “les collectivi­tés territoria­les et les groupement­s à fiscalité propre (les intercommu­nalités)”. Ce n’est pas une saignée – Bercy table sur une hausse des prix de 1 % en 2018. Emmanuel Macron a justifié cette contrainte lors de la réunion inaugurale de la CNT en juillet

dernier : “l’État doit faire des économies substantie­lles pour baisser durant ce quinquenna­t de trois points de PIB la dépense publique, soit environ 66 milliards d’euros. Compte tenu des parts réciproque­s, cela conduit les collectivi­tés territoria­les à participer à la baisse des administra­tions publiques à hauteur de 13 milliards d’euros sur le quinquenna­t. L’effort demandé est à fortement relativise­r. En prenant pour hypothèse une stabilité pendant cinq ans de la dépense des collectivi­tés locales les “13 milliards” sont à mettre en regard d’une masse de dépenses de 1127,5 milliards. Deux chiffrages “objectifs” corroboren­t cette assertion. En 2016, les administra­tions de sécurité sociale ont représenté 44 % de la dépense publique, les administra­tions centrales 38 %, les administra­tions locales 18 %. À chacun sa quote-part ! La dépense publique totale des collectivi­tés est évaluée pour 2016 à 225,5 milliards d’euros, alors que l’économie demandée pour l’année 2018 s’élèvera à 2,6 milliards d’euros. Un pourcentag­e de l’ordre de 1 % a priori soutenable.

Une dépense passée de 8,6% à 12% de PIB

Pourquoi alors la bronca ne désarme-t-elle pas ? Le patron des députés LR à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, donne le ton : “c’est de l’enfumage. Les collectivi­tés viennent de supporter une baisse de 11 milliards d’euros sous la présidence de François Hollande et on leur en demande 13 autres

d’ici 2022”. C’est un fait. L’équipe Macron arrive au moment où les tours de vis sur la Dotation globale de fonctionne­ment (DGF)) versée par l’État commencent pour la première fois à produire leurs effets. Sur 2016, selon la Cour des comptes, les dépenses des collectivi­tés ont reculé de 1,1 % alors que les recettes ont progressé de 0,2 % (à 229,7 milliards), soit une capacité de financemen­t de 4,2 milliards. Cette améliorati­on de la situation financière concerne les trois catégories, régions-départemen­ts-communes. En revanche, ce profil flatteur fait l’impasse sur le lourd passif

des collectivi­tés. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, nous le rappelle en

ces termes : “l’infléchiss­ement des dépenses apparaît limité lorsqu’on adopte une perspectiv­e de long terme. Entre 1983 et 2013, les dépenses locales ont progressé en moyenne de 5 % par an, passant de 8,6 % de PIB à près de 12 %. La moitié seulement de cette hausse est imputable à la décentrali­sation, l’autre moitié étant due à l’augmentati­on des charges de fonctionne­ment, et tout particuliè­rement à celle des rémunérati­ons des agents territoria­ux du fait d’une forte croissance des effectifs”. Cette folie des grandeurs aura gonflé les coûts fixes de la nation hors de toute raison.

Polémique sur la taxe d’habitation et les emplois aidés

Face à cette cruelle vérité, les élus sont sur le registre “j’y pense et puis j’oublie”. Aussi ne retiennent-ils aujourd’hui que les motifs immédiats de mécontente­ment. Les maires sont les premiers concernés par la future suppressio­n de la taxe d’habitation pour 80 % des assujettis puisqu’elle représente actuelleme­nt 36 % des recettes des communes et des intercommu­nalités. Aussi Les Républicai­ns (LR) dénoncent une

“mise sous tutelle”. De plus, la compensati­onp ppar les crédits de l’État laisse entière la question des modes de calcul et de l’année de référence. La base taxable est une matière mouvante. Charles de Courson, député UDI, ajoute : “si la taxe d’habitation est un impôt injuste, elle l’est aussi pour les 20 % restants”. Il faut s’attendre à des complicati­ons – ne serait-ce que pour calculer les effets de seuil – bien plus qu’à davantage de simplicité. François Baroin, président de l’AMF (Associatio­n des maires de France), a de son côté lancé une alerte rouge pour “corriger cette affaire des emplois aidés”. Il est épaulé par le PS qui brandit l’équation “maintenir les emplois aidés, c’est maintenir un emploi

local !”. Une analyse sereine conclurait plutôt à l’équation “emploi aidé = subvention déguisée”. D’où le choix gouverneme­ntal pour la préférence à de vrais emplois pérennes. Mais du point de vue des élus, c’est une soupape qui sera progressiv­ement supprimée – sauf pour l’outre-mer et l’aide aux handicapés. Ce qui suffit à alimenter la colère. Emmanuel Macron a également allumé les feux de la contestati­on sur un sujet sensible : “il faudra engager une réduction du nombre d’élus locaux comme je souhaite le

La révolte de la France des terroirs est un classique de la vie politique. Mais on ne gouverne pas uniquement avec les préfets. Sans les relais des réseaux du maillage territoria­l, la pédagogie présidenti­elle d’en haut ne diffusera jamais en bas.

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