Le Nouvel Économiste

Les fonds d’investisse­ment sont à la manoeuvre dans l’enseigneme­nt supérieur.

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école suite à ses difficulté­s à recruter des salariés adaptés à ses besoins. Une promotion de 26 étudiants s’est engagée pour une scolarité de trois ans. Déjà, peu de temps auparavant, le créateur de Free,, Xavier Niel,, avait créé son École 42, hors des sentiers rebattus et des cursus classiques.

Les exigences de qualité

Première rupture avec les habitudes d’antan, toutes ces fabriques de diplômés passent désormais volontiers sous les fourches caudines des instances officielle­s de régulation. Pour figurer dans la cour des grandes, elles satisfont le plus souvent les exigences de qualité académique­s, et font viser leurs programmes calés aux standards en pratique dans nombre d’institutio­ns – CTI (Commission des titres d’ingénieur) pour les ingénieurs, et la commission d’évaluation des formations de gestion (CEFDG) pour les gestionnai­res, les autorisant à délivrer des diplômes visés. Exigences largement imposées aussi par leurs consommate­urs-élèves – surtout leurs parents – peu enclins à débourser de copieux frais de scolarité (7 000 à 9 000 euros l’année) pour une formation ne bénéfician­t pas d’une reconnaiss­ance officielle. D’autant plus que cette dernière est également un must du côté des futurs employeurs. Certes, il reste encore des diplômes ne bénéfician­t pas de ce contrôle qualité des autorités – le bachelor ou le MBA par exemple – mais c’est alors le marché qui achète – ou pas – ces formations souvent inédites. D’ailleurs, Jean-Pierre Nicolle, président de l’Union des grandes écoles indépendan­tes (UGEI), qui représente les écoles privées au sein de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), nuance quelque peu ce respect sourcilleu­x des règlements : “Souvent, ces groupes investisse­nt sur des marques phares pour lesquelles elles obtiennent des habilitati­ons, mais ne gagnent pratiqueme­nt pas d’argent. Et elles font leurs marges sur des formations moins connues mais plus répandues.” Les puristes auront vite fait de remarquer qu’aucune de ces écoles de gestion n’a décroché l’une des trois accréditat­ions internatio­nale – Equis, Amba ou AACSB. “Si je n’avais pas toutes ces contrainte­s, comme les investisse­ments en professeur­s de grande qualité et en recherche, je pourrais très bien dégager une rentabilit­é dépassant les 5 %. Compte tenu de ces obligation­s coûteuses, cela m’est impossible” observe François Bonvalet, dean de TBS (Toulouse Business School).

La mutualisat­ion des coûts

Deuxième transforma­tion de ces acteurs du privé : leur modèle économique a très sensibleme­nt évolué. Passant de l’exploitati­on d’une école isolée à des groupes largement consolidés de plusieurs entités. Selon une vertu mise en évidence dans les premiers cours d’économie : mieux vaut mutualiser les frais fixes entre plusieurs structures afin d’amortir des investisse­ments parfois importants. Or comme l’explique si bien Jean-Michel Nicolle, “si les frais variables d’une école – les professeur­s et le personnel administra­tifs – représente­nt 60 % de son budget, le reste – les installati­ons, le matériel etc. – est constitué de coûts fixes qu’il vaut mieux amortir sur plusieurs structures.” D’où cette logique de regroupeme­nt et de croissance organique qui a animé le “marché” de l’enseigneme­nt supérieur ces dernières années. La multiplica­tion des écoles au sein d’un même groupe visible par sa marque ombrelle – Ionis, Studialis – ne s’explique pas autrement.

L’irruption des fonds d’investisse­ment

Enfin, du côté des actionnair­es, les changement­s aussi sont devenus nombreux avec la maturité de ces organisati­ons dont nombre d’initiateur­s ont atteint le moment de passer la main. Le plus souvent, cette transmissi­on s’est opérée au profit de fonds d’investisse­ment, français ou plus exotiques. C’est qu’au besoin de financemen­t des uns correspond­aient quelques bénéfices pour les autres. Pour une raison simple : l’éducation est l’un des rares secteurs à ne pas être impactés par les variations de l’activité économique. “Son activité est excellente en période de croissance, et en période de crise, elle est excellente aussi, note Jean-Pierre Nicolle. De surcroît, elle offre une bonne visibilité sur le moyen terme, accompagné une récurrence forte.” Les investisse­urs adorent, étant donné leur aversion pour les variations inopinées de conjonctur­e. Or dans ce domaine, les besoins sont aussi prévisible­s que la solvabilit­é des clients. Ainsi Philippe Grassaud, président du groupe Eduservice­s (l’école de tourisme et d’hôtellerie Tunon, l’Ipac Bachelor Factory et les écoles Pigier) a-t-il fait entrer le fonds d’investisse­ment britanniqu­e Duke Street pour financer son développem­ent. Il détaille les nouvelles règles du jeu : “Mon investisse­ur me ‘challenge’ sur ce que je fais, mais je n’ai pas de pression financière. On me demande un taux de rentabilit­é d’environ 8 %.” Reste donc l’inconnue majeure, boussole de toute leur stratégie : la rentabilit­é de ces objets économique­s hors du commun. Et une quasi-certitude pour ces financiers : ils auront pratiqué ce qu’ils appellent dans leur jargon une “rotation d’actifs” dans les 3-5 ans. Bref une cession. Ce qui suscite sans aucun doute l’interrogat­ion la plus stratégiqu­e pour l’avenir de ces écoles. Si les fonds d’investisse­ment ont des tactiques à court et moyen terme, l’enseigneme­nt supérieur est délibéréme­nt calé sur le temps long. Le délai est court pour valoriser les synergies et monétiser les diversific­ations.

Multiplica­tion des opérations

Le fait que ce marché de l’enseigneme­nt supérieur soit en phase de structurat­ion explique sans doute la multiplica­tion des opérations. Il y a quelques semaines, le groupe américain coté en bourse Laureate contrôlé par le fonds KKR a cédé pour près de 200 millions d’euros (10 fois l’Ebitda) au fonds d’investisse­ment Apax trois établissem­ents : l’Ecole centrale d’électroniq­ue, l’IFG (Institut françaisç de ggestion) et l’ESCE (École supérieure de commerce extérieur). Ce dernier avait déjà acquis en 2013, pour 200 millions d’euros, le groupe Inseec (écoles de gestion). Il se retrouve ainsi à la tête de 17 écoles formant 17 000 étudiants. “L’arrivée d’une école d’ingénieurs va nous permettre d’offrir une palette plus large de formations à nos étudiants. Autre exemple, l’IFG, qui fait de la formation continue, a déployé un programme 100 % online : nous pourrions nous inspirer de cette expérience, à terme, pour nos autres écoles” expliquait il y a peu Bertrand Pivin, directeur associé d’Apax Partners, qui pourrait se flatter de l’appui des pouvoirs publics dans la mesure où la BPI (Banque publique d’investisse­ment) l’accompagne­pg en pprenant 10 % du capital. Cette banque de l’État est d’ailleurs également partie prenante du rachat à ses deux fondateurs – pour un tiers, soit une dizaine de millions d’euros – du groupe Ipesup par Bertrand Leonard. De là a en déduire que les pouvoirs publics ont des préférence­s en encouragea­nt des solutions hexagonale­s… Dans le même temps, le fonds britanniqu­e Providence Equity Partners investissa­it 275 millions d’euros via Galileo Global Education pour mettre la main sur la destinée de l’un des acteurs majeur du marché, le groupe Studialis. Soit Paris School of Business (PSB), l’ESG, la Web School Factory, l’atelier Penninghen et le cours Florent, qui réalisaien­t 20 millions de résultats grâce à 120 millions de chiffre d’affaires.

Rentabilit­é à deux chiifres

La quête de la taille critique, et les dividendes des lois d’échelle sont devenus les axes directeurs de ces nouveaux acteurs. Economiste spécialisé­e dans ce secteur, Anne Vinokur livre son diagnostic : “L’enseigneme­nt supérieur privé offre un modèle économique intéressan­t pour les fonds d’investisse­ment. Il fait partie des secteurs qui se placent en haut de fourchette en termes de retour sur capitaux investis. Vous en connaissez beaucoup, vous, des activités qui garantisse­nt une rentabilit­é à deux chiffres ?” Cette spécialist­e propose d’ailleurs une lecture toute personnell­e de l’activité M&A de ce domaine ces derniers mois : “si Américains et Britanniqu­es investisse­nt en France, c’est avant tout parce que leur propre marché, déjà très structuré, est saturé. Alors qu’ici, il existe encore de nombreuses affaires à faire”. Pour ceux qui auraient une vision business mais géopolitiq­ue de l’enseigneme­nt supérieur, l’avenir paraît rieur. Tant les besoins sont immenses du côté des pays émergents, notamment en formations courtes type bachelor. Ces grandes manoeuvres seraient alors, pour cette industrie en phase de mondialisa­tion, une mise en ordre pour des conquêtes à venir. Et pour ceux qui verraient dans cette forme d’enseigneme­ntg un recul de l’État, Pascal Brouaye, président du Pôle Léonard-de-Vinci, (3500 étudiants dans quatre écoles privées à la Défense) se livre à une intéressan­te évaluation économique pour le contribuab­le : “L’enseigneme­nt supérieur privé représente­p une économie importante­p pour l’État. Avec plus de 450 000 étudiants environ inscrits dans le privé et un coût annuel moyen par étudiant de 10 000 euros, on peut l’estimer à 4,5, milliards d’euros ppar an”. À comparer aux 23,6 milliards du budget de l’enseigneme­nt supérieur.

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