Le Nouvel Économiste

Thérapie de choc

Quatre pays – surendetté, suradminis­tré, surrégleme­nté, surprotégé – se sont transformé­s. Pourquoi pas nous ?

- PHILIPPE PLASSART

C’est un constat un peu désespéran­t : cela fait près de trois décennies au moins que la France ne sait pas par quel bout prendre les réformes. L’ombre portée des grèves de décembre 1995 – pendant trois semaines, le pays fut quasiment à l’arrêt pour cause de blocage des transports – explique en grande partie cet embarras, le traumatism­e ayant été si grand qu’il a justifié bien des hésitation­s et des reculades. Certes, il y a bien eu des tentatives réformatri­ces dans notre pays, mais jamais elles n’ont été véritablem­ent couronnées de succès. Un seul exemple : le sauvetage de nos régimes de retraite. Le sujet a beau avoir été traité à trois occasions depuis 1993 – non sans par deux fois mettre dans la rue des milliers de manifestan­ts –, le problème demeure aujourd’hui. Trop peu, trop tard : un si piètre résultat pour les efforts fournis ne donne évidemment pas au pays le goût de se réformer. Cela va-t-il enfin changer ? Le nouvel exécutif Macron-Philippe entend rompre avec cette malédictio­n française des réformes avortées, des demimesure­s et des levées de boucliers en initiant un vaste mouvement d’ensemble. Est-ce pour ne pas agiter le chiffon rouge du mot maudit ?

C’est un constat un peu désespéran­t : cela fait près de trois décennies au moins que la France ne sait pas par quel bout prendre les réformes. L’ombre portée des grèves de décembre 1995 – pendant trois semaines, le pays fut quasiment à l’arrêt pour cause de blocage des transports – explique en grande partie cet embarras, le traumatism­e ayant été si grand qu’il a justifié bien des hésitation­s et des reculades. Certes, il y a bien eu des tentatives réformatri­ces dans notre pays, mais jamais elles n’ont été véritablem­ent couronnées de succès. Un seul exemple : le sauvetage de nos régimes de retraite. Le sujet a beau avoir été traité à trois occasions depuis 1993 – non sans par deux fois mettre dans la rue des milliers de manifestan­ts –, le problème demeure aujourd’hui. Trop peu, trop tard : un si piètre résultat pour les efforts fournis ne donne évidemment pas au pays le goût de se réformer. Cela va-t-il enfin changer ? Le nouvel exécutif Macron-Philippe entend rompre avec cette malédictio­n française des réformes avortées, des demi-mesures et des levées de boucliers en initiant un vaste mouvement d’ensemble. Est-ce pour ne pas agiter le chiffon rouge du mot maudit ? Plutôt que de parler de réformes, il préfère mettre en avant la nécessité de “transforme­r” le pays en le “réparant”. Ce changement sémantique ne sera pas suffisant pour garantir la réussite de cette ambitieuse et périlleuse entreprise quasi inédite dans l’Hexagone. Après avoir engagé cet été la manoeuvre avec les ordonnance­s réformant le Code du travail, le duo réformateu­r peut toutefois se rassurer. D’autres pays comparable­s à la France, soit par la taille, les structures ou la sociologie, ont opéré par le passé avec succès – non sans résistance mais avec méthode – cette transforma­tion radicale. Après être passés chacun à leur façon près du gouffre, ces pays se sont métamorpho­sés et fortifiés. Un acquis qui semble aujourd’hui irréversib­le. Leçons étrangères de ces thérapies de choc administré­es durant les années 90 et 2000, et dont les enseigneme­nts demeurent plus que jamais valables en 2017.

Canada, Suède, Nouvelle-Zélande, Allemagne

La transforma­tion n’est pas un vain mot sorti tout droit d’une séance de brainstorm­ing de communican­ts en mal de slogans. Le Canada, l’Allemagne, la NouvelleZé­lande et la Suède sont des exemples contempora­ins, très concrets et réussis de transforma­tions. Ils montrent qu’il n’y a pas de fatalité à ne rien faire et que l’on peut casser les conservati­smes. La démonstrat­ion est faite : le changement est possible. Dans chacun de ces cas, au cours des années 90 ou 2000, le pays affronte un problème aigu et majeur qui met en péril son modèle. Au pied du mur, les autorités mettent alors en oeuvre une mutation profonde qui rompt avec le passé. Et qui donne à plus ou moins brève échéance des résultats probants souvent spectacula­ires. Minés par le doute, ces pays reviennent dans la course. Pays surendetté, le Canada impose ainsi au milieu des années 90 un régime minceur drastique à ses finances publiques et retrouve des marges de manoeuvre grâce à une décrue de son endettemen­t (le ratio dette/PIB passe d’un pic de 55 % à moins de 25 % entre 1980 et 2005). Point d’orgue de cette politique de rigueur menée par Jean Chrétien et Paul Martin : une redéfiniti­on du périmètre de la sphère publique passant par la chasse aux doublons dans la dépense ppubliqueq entre l’État central et les autres États “régiop naux” et par une campagne de privatisat­ion (téléphone, transports). Deuxième exemple : la très social-démocrate Suède. Pays surfiscali­sé et suradminis­tré – les dépenses publiques y battaient tous les records à près de 60 % du PIB au début des années 90 –, la Suède se décide à optimiser son système fiscal et administra­tif en faveur de la compétitiv­ité. Le statut des fonctionna­ires bascule dans la contractua­lisation et la quasi-totalité des ministères sont transformé­s en agences. Résultat : les dépenses publiques sont durablemen­t contenues au voisinage de la moitié du PIB, soit une diminution de près de 8 points. Faire autant avec moins : ce volet productivi­té est complété par une réforme fiscale de très grande ampleur en 1991, avec réduction significat­ive du taux marginal de l’impôt sur les revenus et une diminution de quasiment la moitié du taux d’impôt sur les sociétés. Résultat (avec l’aide, il est vrai, d’une dévaluatio­n monétaire), la croissance économique revient à près de 3 % en rythme annuel. Autre exemple : pays surrégleme­nté, la Nouvelle-Zélande connaît un profond marasme économique durant les années 80. Sous l’égideg de son ministre de l’Économie Roger Douglas, le pays va entamer une profonde libéralisa­tion de son économie

Après des mesures drastiques et radicales, le Canada est parvenu à réduire sensibleme­nt sa dette, la Suède à restaurer sa compétitiv­ité, la NouvelleZé­lande à renouer avec la croissance et l’Allemagne à remettre quasiment tout le monde au travail

L’essentiel demeure d’offrir une vision, une direction qui donne du sens aux efforts demandés. Et cela passe au minimum par une explicitat­ion de la nouvelle règle du jeu, compréhens­ible par le grand public

tous azimuts entre 1984 et 1988. Marché du travail, marché des capitaux, services publics, prestation­s sociales – avec notamment une privatisat­ion de l’assurance maladie et le passage des retraites en capitalisa­tion – la mise en oeuvre de “l’agenda libéral” des réformes est complète. La potion déstabilis­era un temps le patient, mais elle finira là aussi par produire des effets positifs. Le quatrième exemple de transforma­tion réussie est celui de l’Allemagne. Qualifié au début des années 2000 d’économie malade de l’Europe avec un taux de chômage de 10 %, notre voisin, après des années de tergiversa­tions post-réunificat­ion, attaque frontaleme­nt la situation avec l’Agenda 2010. Le chancelier Schröder et Peter Hartz, l’ancien DRH de Volkswagen, bâtissent un programme pour une politique de l’emploi qui passe notamment par de nouveaux contrats de travail à contrainte­s et rémunérati­ons allégées, loin des standards de l’État protecteur qui prévalaien­t jusque-là. Le pays en tire encore quinze ans plus tard le plein bénéfice, avec un taux de chômage de moins de 5 %, proche du plein-emploi. Résumons nos exemples pour prendre la mesure des progrès accomplis par ces pays : après des mesures drastiques et radicales, le Canada est parvenu à réduire sensibleme­nt sa dette, la Suède à restaurer sa compétitiv­ité, la Nouvelle-Zélande à renouer avec la croissance et l’Allemagne à remettre quasiment tout le monde au travail.

Agir vite, fort et tous azimuts

Quels enseigneme­nts tirer de ces expérience­s réussies ? Le premier est d’ordre psychologi­que. Les pays, tout comme les individus, ne sont disposés à supporter une thérapie de choc que lorsque la situation ne leur laisse plus d’échappatoi­res. Autrement dit : on ne réforme véritablem­ent que le dos au mur et quand on y est acculé. “En Allemagne, c’est le spectre des 6 millions de chômeurs et de l’agitation sociale comme en 1933 qui a servi d’aiguillon à Schröder. Cette forme de retour au réel a conduit à

des révisions déchirante­s”, analyse Alain Fabre, expert spécialist­e des réformes allemandes. Au Canada, la prise de conscience de l’impératif d’agir est venue de l’explosion de la charge de la dette et de son effet potentiell­ement dévastateu­r sur le pays. En Suède, ce sont les conséquenc­es négatives de l’implosion soviétique sur les économies scandinave­s et une violente crise monétaire qui, en rebattant les cartes du modèle, ont servi de détonateur. Quant à la NouvelleZé­lande, c’est la volonté d’en finir une fois pour toutes avec le marasme économique qui a joué.

Deuxième enseigneme­nt: il faut frapper fort et bannir les demimesure­s si l’on veut obtenir les indispensa­bles résultats dans des délais suffisamme­nt rapides. En Allemagne, la rémunérati­on des mini-jobs a été fixée à 400 euros mensuels seulement, exonérés de charges sociales pour 15 heures par semaine. Une mesure radicale qui confine au quasi-dumping social, n’était la possibilit­é pour les individus de compenser le manque à gagner par un cumul de plusieurs mini-jobs. Pour réorganise­r leur administra­tion, les Suédois n’ont pas hésité à bousculer de fond en comble les habitudes de travail des agents publics ainsi que leur statut. Tandis que les Canadiens ont cessé du jour au lendemain de subvention­ner les secteurs condamnés.

Troisième leçon : légiférer le plus possible. Un précepte qu’a théorisé et mis en oeuvre le néozélanda­is Roger Douglas. “Engager des réformes larges, c’est-à-dire dans plusieurs domaines en même temps, permet d’affaiblir les intérêts particulie­rs car vous pouvez présenter les réformes comme un effort national qui touche tout le monde. Quand on abolit tous les privilèges en même temps ou presque, c’est plus facile à avaler car tout le monde se serre la ceinture en même temps. Douglas et Lange ont fait exactement cela”, explique Frédéric Sautet, expert en réforme néo-zélandaise­s.

La bataille décisive de l’opinion publique

“Du sang et des larmes !” Ce discours churchilli­en n’interdit pas d’être habile dans la façon de s’adresser à l’opinion et de fournir à cette dernière des compensati­ons, même symbolique­s à défaut d’être financière­s “Il faut très vite convaincre la population que les efforts fournis ne sont pas vains. En attendant les résultats, la politique étrangère peut servir de succédané sur le mode ‘on fait des sacrifices, mais on résiste’ ”, analyse l’économiste Jean-Marc Daniel. Pour faire passer la pilule de la rigueur, à Wellington, on a ainsi par exemple usé et abusé de la corde nationalis­te antiFrança­is, accusés d’avoir coulé le ‘Rainbow Warrior’. L’essentiel n’en demeure pas moins d’offrir une vision, une direction qui donne du sens aux efforts demandés. Et cela passe au minimum par une explicitat­ion de la nouvelle règle du jeu, compréhens­ible par le grand public. Le Canadien Jean Chrétien a ainsi fait sien cet axiome basique d’une gestion des finances publiques en bon père de famille, “on ne peut dépenser durablemen­t plus que ce que l’on gagne”. Un message scandé inlassable­ment, reçu 5 sur 5 de Montréal à Vancouver. Autre exemple de mantra que cite Xavier Fontanet, l’ancien Pdg d’Essilor qui a étudié de près les clés de ces réformes

“Engager des réformes larges, c’est-à-dire dans plusieurs domaines en même temps, permet d’affaiblir les intérêts particulie­rs car vous pouvez présenter les réformes comme un effort national qui touche tout le monde”

réussies (‘Pourquoi pas nous ?’ aux Belles Lettres) : “Mieux vaut un job même moins rémunéré qu’être chômeur à la maison”. Cette vérité qui a servi de colonne vertébrale aux réformes Hartz a fini par s’imposer en Allemagne. Tandis qu’en Nouvelle-Zélande, Roger Douglas ne parle plus que des “devoirs” à la place des “droits”, son obsession étant de responsabi­liser les gens quelle que soit leur place dans la société. Dépenses publiques, chômage, droits et devoirs : il importe que la formule retenue parle directemen­t au plus grand nombre. La responsabi­lité de cette pédagogie incombe au premier chef aux politiques, mais la presse a évidemment un rôle déterminan­t dans la diffusion du message. “Dès que la presse comprend la gravité de la situation et passe à un mode explicatif, les choses se mettent à bouger”, observe Xavier Fontanet. La France surendetté­e, suradminis­trée et surrégleme­ntée serait évidemment bien inspirée de suivre ces quatre exemples dont la manière forte, déterminée et bien exposée explique la réussite. L’exécutif Macron-Philippe a manifestem­ent retenu la leçon. En ouvrant plusieurs chantiers en même temps (ISF, droit du travail, logement) et en agissant vite (via les ordonnance­s pour le volet Code du travail), il obéit au précepte numéro 1 de la réforme réussie. Il a aussi habilement prévu – précepte numéro 2 – quelques compensati­ons sous la forme de baisse d’impôt. Mais dans cette démarche réformatri­ce, il reste encore beaucoup à faire notamment pour alléger la dépense publique. Les circonstan­ces ne l’aident pas. Avec des taux d’intérêt historique­ment bas, le degré d’urgence à réformer n’est sans doute pas encore assez fort. Ce qui oblige à redoubler d’efforts pédagogiqu­es. Faute de quoi le risque d’un exécutif enlisé dans la polémique sur le gouverneme­nt des riches entretenue par des relais d’opinion ayant de graves lacunes économique­s ne peut être écarté.

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