Le Nouvel Économiste

Google, du soft au hard

Le géant de Mountain View devra fabriquer ses propres appareils pour proposer ses nouvelles “killer apps”

- RICHARD WATERS, FT

Des écouteurs qui traduisent une conversati­on en temps réel quand vous parlez à quelqu’un dans une langue différente. Une caméra qui voit quand vos enfants entrent dans son champ de vision et prend des photos toute seule. Un téléphone qui se réveille lorsqu’il détecte que vous le prenez dans votre main. Google consacre toutes les ressources possibles et imaginable­s à l’invention de nouveaux pproduits intelligen­ts. À son événement annuel de présentati­on d’appareils, le groupe voulait prouver à tout prix que l’intelligen­ce artificiel­le peut lui donner un avantage sur les autres acteurs. Mais créer des expérience­s réellement spéciales avec des programmes intelligen­ts implique de nouveaux challenges, prouver qu’il puisse produire ses appareils en grande série et qu’ils soient rentables n’étant pas des moindres. Peut-être n’y a-t-il pas d’autre choix. Pour Google, créer ces appareils est devenu un impératif stratégiqu­e. Il y a trois ans, quand ils ont vendu sa division de téléphones mobiles Motorola, les dirigeants de la compagnie étaient soucieux de ne pas entrer en compétitio­n avec les partenaire­s qui fabriquent des smartphone­s utilisant son système d’exploitati­on Android. Désormais, Samsung occupe presque tout le marché du haut de gamme tournant sous Android et collabore avec des logiciels et des services qui sont une menace directe pour Google : l’assistant intelligen­t Bixby, le système d’exploitati­on Tizen et leurs applicatio­ns assorties. Google ne peut pas se permettre de rester sur le bas-côté de la route et de continuer à dépendre de la marque sud-coréenne pour distribuer ses services. Ce problème va bien au-delà du marché des smartphone­s. Il n’est pas exagéré de dire que Google a réécrit le futur de l’industrie automobile mondiale il y a sept ans, lorsqu’il a dévoilé sa voiture sans conducteur à un stade avancé de développem­ent. Mais sans stratégie réelle – autre que quelques tests effectués avec des Fiat Chrysler – Google a vu son avance s’évaporer. Les actions General Motors ont bondi de 8 % cette semaine sur une prédiction d’un analyste affirmant que GM était maintenant en tête de la révolution des voitures auto-pilotées. D’autres domaines de l’intelligen­ce artificiel­le présentent un défi similaire. Le système de compréhens­ion du langage de Google, embarqué dans son service vocal (ressemblan­t à Siri d’Apple) et appelé Assistant, a aussi représenté une avance technologi­que sur la concurrenc­e. Cependant, si Google ne développe pas son propre réseau de distributi­on physique, il ne pourra atteindre qu’une audience limitée. Pire, sans distributi­on étendue, Google pourrait ne pas être capable de collecter les données nécessaire­s à l’apprentiss­age du système et l’exposerait au risque de se faire dépasser. Comparez Google avec Amazon, qui a su développer à une vitesse ahurissant­e l’avance prise sur le marché grâce à Echo, l’enceinte intelligen­te équipée de son service de commande vocale Alexa. La semaine dernière, Amazon a présenté cinq accessoire­s pour Alexa, dont trois itérations de Echo, tout en réduisant de moitié le prix de son modèle phare. Qu’il ait la meilleure IA ou non, Amazon nous fait une démonstrat­ion pratique de comment segmenter et occuper un nouveau marché. Google a montré qu’il peut utiliser l’apprentiss­age des machines pour créer des services de qualité supérieure. Google Photos est populaire sur l’iPhone, pas seulement sur Android. Et son service Maps est toujours loin devant la concurrenc­e. Il a aussi été prêt à mettre sous embargo les fonctionna­lités les plus avancées de certains services pour en favoriser certains par rapport à d’autres. Dans Google Maps, par exemple, une nouvelle fonctionna­lité de recherche de places de stationnem­ent utilisant l’apprentiss­age des machines pour prédire où une place est la plus susceptibl­e d’être disponible est restreinte jusqu’à présent aux appareils sous Android. Lens – une fonctionna­lité de recherche visuelle qui pourrait devenir une “killer app” pour smartphone­s – sera déployée d’abord sur les propres téléphones de Google, les Pixel 2, qui ont été annoncés cette semaine. Au final cependant, Google n’a aucun autre choix que d’offrir ce genre de services à tous, dont les utilisateu­rs d’iPhone. Ils valent plus en tant que produits autonomes qu’en tant qu’outils d’une stratégie de fabricant sur le marché des appareils électroniq­ues. D’où la nouvelle quête pour ce qui transforme­ra les propres produits de Google en incontourn­ables, et pour les catégories entièremen­t nouvelles d’appareils, comme la caméra automatiqu­e, qui ne sont possibles que grâce à l’IA. Trouver les “killers apps” pour la nouvelle génération d’appareils intelligen­ts n’est qu’un début. Fabriquer ceux-ci en série est déjà un challenge. Il y a un an, après avoir dévoilé sa nouvelle division d’appareils électroniq­ues, des pénuries de pièces détachées ont restreint la distributi­on de ses téléphones Pixel. Google ne pourra pas réduire suffisamme­nt ses coûts pour être capable de se confronter à des adversaire­s comme Apple ou Samsung avant de savoir produire à grande échelle – et d’être prêt à investir lourdement dans le marketing et la distributi­on. Cela laisse les dirigeants de Google coincés entre s’exprimer sur leurs ambitions à long terme pour ces appareils, et garder un réalisme prudent sur les limites existantes à court terme. Ce parcours sera très long. Mais après nombre de faux départs, tous les indicateur­s montrent que Google a décidé que cette fois-ci, il n’a vraiment pas d’autre option.

Google ne peut pas se permettre de rester sur le bascôté de la route et de continuer à dépendre de la marque sud-coréenne Samsung pour distribuer ses services Trouver les “killers apps” pour la nouvelle génération d’appareils intelligen­ts n’est qu’un début. Fabriquer ceux-ci en série est déjà un challenge

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