Le Nouvel Économiste

Droits et devoirs de la vidéosurve­illance

En France, la protection des libertés individuel­les dicte sa loi sur les systèmes de surveillan­ce en entreprise. Et ça n’est que le début.

- JESSICA BERTHEREAU

Ces dernières années, les entreprise­s ont pris conscience que la sécurité n’était pas seulement un coût mais une véritable nécessité. Mettre en place un dispositif de vidéosurve­illance suppose toutefois de respecter un certain nombre de règles : informatio­n du personnel, déclaratio­n à la Cnil, demande d’une autorisati­on préfectora­le si l’espace public est filmé. En matière de contrôle d’accès, la Cnil se montre particuliè­rement vigilante pour les dispositif­s intégrant de la biométrie. Avec l’entrée en vigueur en 2018 du RGPD (règlement européen sur la protection des données personnell­es), les entreprise­s seront par ailleurs responsabl­es de la sécurisati­on des systèmes de sécurité eux-mêmes.

Suite aux attentats qui ont touché la France, beaucoup d’entreprise­s ont réalisé la nécessité d’assurer leur sécurité et celle de leurs employés. “Après ces événements, certains de nos clients nous ont dit clairement avoir pris conscience du risque et ont installé une protection à la hauteur”, rapporte Thierry Bobineau, directeur marketing chez Horoquartz, éditeur et intégrateu­r de solutions pour le contrôle d’accès, la vidéosurve­illance et la détection-intrusion. “Il y a eu une prise de conscience que se protéger n’est plus optionnel, que les risques sont élevés et qu’investir dans la sûreté est une bonne façon de protéger ses actifs

et son personnel.” Selon un sondage réalisé par En Toute Sécurité pour son Atlas 2017, les chantiers prioritair­es des directeurs sécurité pour 2018 sont le renforceme­nt de la vidéosurve­illance et la sécurisati­on accrue des bâtiments. Mais tout n’est pas permis en matière de vidéosurve­illance et de contrôle d’accès. Il faut donc s’assurer de respecter la réglementa­tion. “En France, tout ce qui est relatif aux données personnell­es des salariés est très encadré par rapport à d’autres pays où nous déployons aussi des installati­ons”, remarque Thierry Bobineau. Tout d’abord, il est interdit de se servir d’un dispositif de vidéosurve­illance pour contrôler ou piéger un salarié à son insu. “L’exemple classique est celui d’une grande surface qui avait mis une caméra au-dessus d’une caissière et qui a voulu l’utiliser par rapport aux pratiques de cette caissière. La Cnil (Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés) a demandé que cette caméra soit orientée différemme­nt de façon à ce que la sécurité de la caissière soit assurée sans que son travail ne soit contrôlé”, rapporte Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du syndicat Sûreté, vidéoprote­ction et détection incendie (SVDI), qui représente près de 600 entreprise­s.

La vie privée avant tout

L’installati­on d’un dispositif de vidéosurve­illance dans l’enceinte privée de l’entreprise doit “être communiqué­e au délégué du personnel, voire au CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), et faire l’objet d’une déclaratio­n auprès de la Cnil”, énumère Stéphanie Tucoulet. Le public doit également en être informé s’il a accès à ce lieu. Par ailleurs, l’entreprise doit justifier pourquoi elle met en place de la vidéosurve­illance,

limiter l’accès aux images à des personnes habilitées, et ne pas conserver les images plus d’un mois. “C’est extrêmemen­t encadré afin de trouver un équilibre entre le besoin de sécurité de l’entreprise et la protection de la vie privée des salariés”, résume Thierry Bobineau. Si la vidéosurve­illance se fait en partie sur l’espace public, sur une rue par exemple, l’entreprise doit obtenir une autorisati­on préfectora­le. “Il faut déposer un dossier qui sera étudié dans les commission­s préfectora­les. Si vous faites appel à une entreprise d’installati­on certifiée, notamment par Bureau Veritas Certificat­ion, vous pouvez bénéficier d’une procédure allégée et plus rapide”, précise Stéphanie Tucoulet. “Il faut être très vigilant sur la visualisat­ion extérieure, prévient Mickaël Fer, responsabl­e du bureau d’études chez Eryma, intégrateu­r de solutions de sûreté. Pour empêcher de visualiser une partie publique, on peut intégrer un

masque dans l’image.” Autre option : l’utilisatio­n d’une caméra thermique, qui pourra discerner une forme humaine, un véhicule ou un animal, mais pas identifier une personne en particulie­r. Le développem­ent de l’intelligen­ce artificiel­le permet d’augmenter les possibilit­és en matière de sécurité sans risquer de porter atteinte à la vie privée des salariés ou du public. “La vidéosurve­illance peut par exemple permettre de faire du comptage. C’est très utilisé en cas d’incendie, pour savoir exactement combien de personnes il faut évacuer. Il n’y a pas d’atteinte à la liberté personnell­e puisque les algorithme­s différenci­ent une personne d’un chariot, mais pas un individu d’un autre”, explique Stéphanie Tucoulet. L’intelligen­ce artificiel­le ouvre d’ailleurs un champ très vaste d’usage

de la vidéosurve­illance, qui va bien

au-delà de la sûreté. “Une caméra surveillan­t un rayon peut également faire de la business intelligen­ce : dire combien de temps en moyenne les clients sont restés devant la tête de gondole, quelle zone du rayon est la plus fréquentée, etc.”,

indique Mickaël Fer.

La question de la protection des données personnell­es se pose surtout

pour la biométrie. “Le contrôle d’accès basique avec un simple badge ne pose pas de problème. Il est simplement

interdit d’utiliser les données de contrôle d’accès à des fins de ressources humaines, par exemple pour le pointage horaire,

souligne Mickaël Fer. Pour ce qui est de la biométrie, la Cnil interdit de stocker les données biométriqu­es dans une base de données, qu’il s’agisse de l’empreinte digitale, du réseau veineux de la main, d’une reconnaiss­ance faciale ou de l’iris, afin de protéger les utilisateu­rs.” La Cnil exige aussi une véritable justificat­ion à la mise en place d’un contrôle d’accès biométriqu­e et préférera une autre solution si possible. “Dans un parc de lecteurs d’une entreprise, le contrôle d’accès biométriqu­e ne

concerne souvent qu’une petite partie, comme par exemple l’accès à la salle des serveurs informatiq­ues, où il est utilisé comme un second facteur d’authentifi­cation, souligne Martial Gonzalez, directeur des ventes Europe du sud

chez HID Global. Pour l’instant, cela reste un marché de niche même si l’on voit les demandes des entreprise­s augmenter.” Thierry Bobineau remarque “un changement de perception des salariés envers ces systèmes. Auparavant, ils pouvaient voir la mise en place d’une identifica­tion biométriqu­e ou d’un système de vidéosurve­illance comme une contrainte. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus réceptifs car ils comprennen­t qu’il ne s’agit pas seulement de protéger l’entreprise, mais que eux aussi bénéficier­ont de cette protection”.

RGPD, la responsabi­litép des entreprise­s renforcée

L’entrée en vigueur dans toute l’Union européenne du règlement général sur la protection des données personnell­es (RGPD) le 25 mai 2018 viendra encore renforcer les droits des salariés. “Le RGPD dit que tout le monde peut être victime d’une atteinte à sa vie privée simplement parce que les systèmes ne sont pas sécurisés”, explique Stéphanie Tucoulet, en prenant l’exemple d’un hacker qui volerait des images de vidéosurve­illance pour les exposer ou faire chanter les personnes concernées. “Or jusqu’ici, la sécurisati­on des systèmes n’a pas du tout été prise en compte.” Pour la secrétaire

générale du SVDI, il faut donc agir à

trois niveaux: “au niveau de l’installati­on elle-même, afin que le système soit sécurisé dès sa conception, au niveau du client qui devra nommer un référent Cnil, et enfin au niveau de l’entreprise d’installati­on qui devra sécuriser les données en interne.” Un vaste chantier

pour le secteur.

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“En France, tout ce qui est relatif aux données personnell­es des salariés est très encadré par rapport à d’autres pays où nous déployons aussi des installati­ons.” Thierry Bobineau, Horoquartz.
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“Il est simplement interdit d’utiliser les données de contrôle d’accès à des fins de ressources humaines, par exemple pour le pointage horaire.” Mickaël Fer, Eryma.

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