Le Nouvel Économiste

Le voeu ppieu de la souveraine­té industriel­le européenne

Les champions européens voulus par Macron ne sont pas pour demain

- JEAN-MICHEL LAMY

Les traces laissées par une campagne électorale, ça compte. Dans sa plaquette-programme, Emmanuel Macron n’abordait l’industrie que sous l’angle européen. “Nous construiro­ns une Europe qui protège

nos industries stratégiqu­es”,q , lisait-on. Depuis son arrivée à l’Élysée, le prég sident de la République poursuit avec constance sur cette lancée. Il plaide auprès de nos partenaire­s en faveur d’une “souveraine­té européenne” censée abriter l’éclosion de grands groupes industriel­s aux fins de concurrenc­er leurs homologues chinois ou américains. Mais à Bruxelles, lors du Conseil européen du 20 octobre, Berlin “et les autres” ont commencé, en douceur, à canaliser le volontaris­me de Paris.

Les traces laissées par une campagne électorale, ça compte. Dans sa plaquette-programme, Emmanuel Macron n’abordait l’industrie que sous l’angle européen. “Nous construiro­ns une Europe qui protègeg nos industries stratégiqu­es”, gq lisait-on. Depuis son arrivée à l’Élyp sée, le président de la République poursuit avec constance sur cette lancée. Il plaide auprès de nos partenaire­s en faveur d’une “souveraine­té européenne” censée abriter l’éclosion de grands groupes industriel­s aux fins de concurrenc­er leurs homologues chinois ou américains. Mais à Bruxelles, lors du Conseil européen du 20 octobre, Berlin “et les autres” ont commencé, en douceur, à canaliser le volontaris­me de Paris.

La légendaire inertie européenne Certes, la légendaire inertie européenne n’est pas pour intimider Emmanuel Macron. Il a pourtant devant sa route des obstacles objectifs. La chancelièr­e Angela Merkel est empêtrée dans de longues tractation­s pour bâtir un contrat de coalition où la souveraine­té purement européenne tiendra peu de place. Madrid a pour seul agenda de trouver une solution à la question catalane. Rome pense déjà aux prochaines élections. Londres est ailleurs. Aux confins de l’Union, Autriche, République tchèque, À l’origine, le modèle Airbus est né d’une décision stratégiqu­e de chefs d’entreprise sur la base d’une fusion entre égaux. Le pouvoir est totalement partagé. Rien à voir avec les opérations actuelles. Hongrie, Pologne… refusent par avance toute extension du domaine communauta­ire et récusent le déblocage à la “Macron” d’une Europe à plusieurs vitesses. Comment dans ces conditions croire à la possibilit­é d’une dynamique porteuse pour des champions européens ? Paris ne se décourage pas et entend lever les freins en dupliquant le modèle Airbus. C’est largement un abus de langage. Ce qui ne veut pas dire qque tout soit pperdu. Il y a du changement dans l’air. À Bruxelles, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, pousse les feux d’une révolution copernicie­nne sur la concurrenc­e et la défense des frontières commercial­es. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économiste­s, confirme : “Il s’est passé quelque chose le 13 septembre, le jour du discours de JeanClaude Juncker devant le Parlement. Il s’est déclaré en faveur d’une sorte de réindustri­alisation de l’Europe”. Attention, ce nouveau terreau ne sera labourable pour la France qu’à la condition expresse qu’elle mette en place sa propre stratégie de redresseme­nt industriel. Il faut d’urgence combler cet “oubli” de l’élection présidenti­elle. L’endémique fragilité des fleurons tricolores De récents soubresaut­s dans de grands groupes ont jeté une lumière crue sur la fragilité de nombre de fleurons tricolores. Le plus emblématiq­ue aura concerné Alstom. Ce seul nom évoque l’agonie sans fin de la lointaine CGE (Compagnie générale d’électricit­é), congloméra­t sans capital qui a pour descendant les locomotive­s Alstom. Que s’est-il passé ? Le gouverneme­nt a laissé Alstom fusionner avec l’allemand Siemens tout en sortant du capital. L’accord ouvre d’ici quelques années la porte à la prise de contrôle effective par Siemens. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Industrie, a ce jugement : “on nous vante la prétendue souveraine­té européenne, mais personne ne garantit que les dirigeants de Siemens préféreron­t les intérêts européens à ceux du reste du monde. À la fin, c’est toujours le propriétai­re du capital qui décide”. Bercy s’est défendu de deux façons. ç Premier argument : l’État gardera un moyen de contrôle bien plus important par les commandes publiques que par la conservati­on de 10 ou 20 % du capital. Second argument : ce sont les prémices d’un Airbus du ferroviair­e. Las, comparaiso­n n’est pas raison. À l’origine, le modèle Airbus est né d’une décision stratégiqu­e de chefs d’entreprise sur la base d’une fusion entre égaux. Le pouvoir est totalement partagé. Rien à voir avec les opérations actuelles. Aujourd’hui, c’est un Alstom sans solide carnet de commandes et sans trésorerie qui avait besoin d’un partenaire protecteur. Ces effets de manche cachent mal le sempiterne­l débat franco-français entre partisans de l’interventi­onnisme étatique à la Chevènemen­t et adeptes à la Macron de champions économique­s à l’abri d’une Union garantissa­nt l’équilibre des forces dans la compétitio­n avec Pékin et Washington. Ce match est décliné à l’envi dans de multiples domaines. En voici un recensemen­t.

Le mythe Airbus à toutes les sauces Le “mythe” Airbus est servi à toutes les sauces ! Il a resurgi à l’occasion de la reprise des chantiers navals STX France (ex-Chantiers de l’Atlantique,

ex-propriété de la CGE) par l’italien Fincantier­i – sous la contrainte de quelques clauses. C’est dans ce cadre qu’est envisagé une alliance entre le tricolore Naval Group (ex-DCNS, constructe­ur naval militaire) et Fincantier­i pour créer un “champion mondial dans le naval”, autrement dit un ci-devant “Airbus des mers”. À ce stade, il ne s’agirait que “de projets conjoints portés par des acteurs

industriel­s”. Précision apportée par Emmanuel Macron en personne en marge du 34e sommet franco-italien ! Le mythe d’un “Airbus de l’armement terrestre” avait également été évoqué lors du rapprochem­ent en 2015 entre le français Nexter et l’allemand KMW. En l’occurrence, les deux entités industriel­les envisagent de produire conjointem­ent le “char de combat du futur” –toujours sur la base de coopératio­ns. Aux dernières nouvelles, la Commission européenne prône de son côté un “Airbus des batteries automobile­s” et se dit prête à poser sur la table deux milliards d’euros de subvention. La preuve “qu’il se passe quelque chose”… Là encore, le but est de contrer la domination chinoise à venir sur les batteries destinées aux voitures électrique­s. Des batteries qui vont mettre au rancart le bon vieux moteur à explosion! D’autant plus vite que la Chine construit d’immenses usines pour écraser les prix dans le secteur – qui concerne aussi l’électromén­ager et les appareils connectés. Le commissair­e européen à l’énergie, Maros Sefcovic, entend présenter en février 2018 une feuille de route traçant les contours d’une “Alliance pour les batteries dans l’Union”. L’objectif de Bruxelles est que l’Union devienne le numéro un dans la technologi­e révolution­naire du stockage de l’énergie. L’ancestrale politique européenne de la concurrenc­e

Ce retourneme­nt de conception prend appui sur une transforma­tion radicale de l’ancestrale politique de la concurrenc­e qui traquait toute émergence de champions européens, au nom, disait-on, des traités de Rome et de Maastricht. “Fini cette vieille politique, il faut réconcilie­r politique industriel­le et concurrenc­e. Au lieu d’aider une entreprise, accordons des aides dans un secteur sans empêcher

la concurrenc­e”, commente Philippe Aghion au nom du Cercle des économiste­s. En redécouvra­nt le précepte “là où il y a une volonté politique, il y a un chemin”, Bruxelles a exhumé la possibilit­é d’aides d’État pour les “Projets importants d’intérêt commun” – sans changer les traités. C’est une Danoise, Margrethe Vestager, la commissair­e à la concurrenc­e, qui orchestre cette prise de conscience. Tout cela correspond à des petits pas allant dans le sens de la vision

européenne­p d’Emmanuel Macron. Simplement, le chef de l’État voit les choses en grand. Dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre, il a enfoncé le clou en soulignant qu’une des six clefs de la souveraine­té européenne passe par la puissance industriel­le, et que c’est à partir de la zone euro “que nous pouvons créer le coeur

d’une Europe intégrée”. Sans doute, mais au sein des 18 partenaire­s de l’Union économique et monétaire, tous n’en sont pas là et les neuf autres de l’UE encore moins. Dégager un intérêt général européen pour toutes les parties prenantes est encore de l’ordre du voeu pieux. C’est pourquoi faute de vraies perspectiv­es fédérative­s au niveau de l’Union, l’urgence est de muscler par tous les moyens ce qui reste de tissu industriel à ce pays (voir tableau). Ne serait-ce que pour participer, tête haute, aux futures alliances concoctées à Bruxelles.

Le désastre de l’idée d’un monde post-industriel

Pour l’heure, Emmanuel Macron a déjà ouvert beaucoup de fronts. Le pari élyséen reste que les réformes phare du Code du travail et de l’imposition du capital ramenée (presque) à la moyenne européenne donneront le coup de fouet nécessaire. L’institut Coe-Rexecode évalue ainsi le relèvement à terme de la croissance potentiell­e à 0,5 point de PIB. Par contre, aucun institut ne se risque à évaluer l’impact des réformes sur l’industrie au sens strict. Le consensus se limite à considérer que le financemen­t de l’investisse­ment en sera facilité. Jean Pisani-Ferry, un des grands concepteur­s du programme Macron, conteste pour sa part un quelconque “oubli” dans la campagne présidenti­elle. “La politique de l’offre, c’est de la politique industriel­le. Le souci du renforceme­nt de la compétitiv­ité et des compétence­s, questions très présentes, c’est largement glargement la même chose”, affirmetMa­is Christian Saint-Étienne, Cercle des économiste­s, est beaucoup plus dubitatif. Il rappelle ce désastre intellectu­el, signé des élites de droite comme de gauche, qui, au milieu des années 90, a imposé l’idée que nous étions entrés dans un monde post-industriel. “Les 35 heures étaient censées y répondre, et nous n’en sommes jamais sortis parce que nous ne sommes jamais sortis de cette idée”, assènetDe fait, rien n’a vraiment été corrigé alors que l’on passait de la deuxième à la troisième révolution industriel­le. Puis Christian Saint-Étienne se fait procureur : “aujourd’hui, je ne vois pas de mesure centrale qui permette de réindustri­aliser massivemen­t ce pays. Je regrette qu’on mette 10 milliards d’euros sur la suppressio­n de la taxe d’habitation. Avec cet argent, on pouvait mettre des moyens sur la robotisati­on et l’intelligen­ce artificiel­le”. Et de recommande­r de prendre à témoin les Français au sein d’un Comité stratégiqu­e à la réindustri­alisation. Pour que le corps social adhère à des mesures fortes.

La chance à saisir de la numérisati­on des industries

Foin de recettes institutio­nnelles, l’Alliance Industrie du futur (AIF) – en liaison avec le Cercle de l’Industrie, le CNI (Conseil national de l’industrie) et le GFI (Groupe des fédération­s industriel­les) – mise tout sur le basculemen­t numérique. Tout en rappelant que la valeur ajoutée de l’industrie française fait du surplace depuis les années 2000, et qu’elle souffre d’un outil obsolète, de 19 ans d’âge moyen, l’AIF plaide pour l’accélérati­on du déploiemen­t des technologi­es et des compétence­s du futur dans une série de filières. Ce sera un peu l’équivalent de “l’Industrie 4.0” allemand focalisé sur des fabricatio­ns automatisé­es plus flexibles. Dans le cas français, le projet AIF est beaucoup plus ambitieux puisqu’il s’agit de transforme­r par les nouvelles technologi­es de production l’ensemble de la chaîne de valeur – pas seulement la composante digitale, qui est majeure. Les mises en oeuvre opérationn­elles des solutions proposées se feront sur la base du volontaria­t. La création de labels French Tech et French Fab, vitrines des savoir-faire industriel­s français, participen­t également de ce mouvement de rénovation. C’est particuliè­rement précieux pour la visibilité à l’internatio­nal. Cette numérisati­on des industries est la chance à saisir pour les couleurs tricolores. Ce le sera d’autant plus si le paysage européen s’éclaircit et se renforce avec la mise au pas fiscale des géants américains du Net. Seule l’UE peut combattre ce type de concurrenc­e déloyale. L’optimiste invétéré Jean-Hervé Lorenzi veut y croire : “les acteurs européens peuvent devenir non pas des champions mais des leaders !” Et dans cette course à la transforma­tion, la France industriel­le retrouva son rang…

Christian SaintÉtien­ne, Cercle des économiste­s, est beaucoup plus dubitatif. Il rappelle ce désastre intellectu­el, signé des élites de droite comme de gauche, qui, au milieu des années 90, a imposé l’idée que nous étions entrés dans un monde post-industriel. “Les 35 heures étaient censées y répondre, et nous n’en sommes jamais sortis parce que nous ne sommes jamais sortis de cette idée”. De fait, rien n’a vraiment été corrigé alors que l’on passait de la deuxième à la troisième révolution industriel­le.

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