Le Nouvel Économiste

L’ENSEIGNEME­NT DE L’ÉCONOMIE SE RÉFORME, ENFIN

Les étudiants désormais confrontés au monde réel dès le début de leurs études

- THE ECONOMIST

Les économiste­s peuvent être une caste assez arrogante. Mais une décennie de traumatism­es a eu un effet salutaire. Ils reconsidèr­ent maintenant les vieilles idées, posent de nouvelles questions, et de temps à autre accueillen­t des hérétiques parmi eux. Le changement est cependant lent à parvenir jusqu’aux programmes d’économie de l’université, où les étudiants sont toujours gavés d’introducti­ons à l’économie non remises à jour : rien sur l’histoire récente de l’économie et ses échecs. Quelques réformateu­rs énergiques travaillen­t à changer tout cela : c’est une grande idée, et il était grand temps. Réformer l’enseigneme­nt

Réformer l’enseigneme­nt de l’économie devrait produire des étudiants mieux à même de comprendre le monde actuel. Plus encore : cela pourrait améliorer l’économie elle-même

de l’économie devrait produire des étudiants mieux à même de comprendre le monde actuel. Plus encore : cela pourrait améliorer l’économie elle-même.

L’économie est une matière aride (paraît-il), mais c’est une matière populaire dans les université­s. Elle représente plus de 10 % des diplômes décernés chaque année dans les meilleures université­s, et beaucoup d’étudiants choisissen­t un cours d’initiation à l’économie dans les options secondaire­s requises. Les enseignant­s veulent capter l’attention de leur public aux regards perdus dans le vague pour les initier aux bases de la discipline et, idéalement, leur permettre d’appliquer un raisonneme­nt économique au monde réel. L’économie enseigne que les incitation­s sont importante­s et les compromis inévitable­s. Elle enseigne que les tentatives naïves de résoudre les problèmes sociaux, de la pauvreté au changement climatique, peuvent avoir des conséquenc­es imprévisib­les. Ces cours d’introducti­on à l’économie permettent, au mieux, de discerner les suppositio­ns implicites et les coûts cachés derrière les promesses roses des politiques et du monde des affaires.

Les programmes courants sont pourtant loin d’être conçus pour inculquer ces leçons. La plupart des textes d’introducti­on commencent par exposer les modèles les plus simples : les travailleu­rs sont payés selon leur productivi­té, le commerce ne lèse jamais personne et les interventi­ons des gouverneme­nts sur le marché provoquent toujours une “perte sèche”. Les économiste­s en activité savent que ces préceptes sont davantage vrais à certains moments qu’à d’autres. Mais les exceptions, si importante­s, sont enseignées assez tard dans le programme, ou, le plus fréquemmen­t, uniquement aux étudiants qui s’engagent ensuite dans une filière économie. C’est aussi le cas dans d’autres discipline­s : on commence par le plus simple. Les étudiants en physique apprennent la mécanique avec des modèles qui ne comprennen­t que les réactions les plus simples. Un étudiant qui abandonner­ait ses études ne risque cependant pas de croire qu’il vit dans un vide sans frictions. Les étudiants déboursent 300 dollars ou plus pour des livres de cours qui leur expliquent que dans les marchés soumis à la concurrenc­e, le prix d’un bien devrait correspond­re au coût de production d’une unité supplément­aire et, sans surprise, ils recrachent les réponses attendues. Une étude conduite sur 170 modules d’économie enseignés dans sept université­s conclut que les notes lors des examens favorisent davantage la capacité à “appliquer un modèle” que les démonstrat­ions d’indépendan­ce d’esprit.

Le projet CORE (acronyme de Curriculum Open-access Resources in Economics) veut changer les choses. CORE est né à la suite des protestati­ons des étudiants chiliens en 2011 contre les lacunes observées dans leurs programmes. Un professeur chilien, Oscar Landerretc­he, a travaillé avec d’autres économiste­s ppour concevoir un nouveau pprogramme. À ses côtés, Sam Bowles, du Santa Fe Institute, Wendy Carlin, de l’University College London (UCL), et Margaret Stevens, d’Oxford, ont méticuleus­ement compilé les contributi­ons d’économiste­s du monde entier dans un programme gratuit, accessible en ligne, qui propose des graphiques interactif­s ainsi que des vidéos d’entretiens avec des économiste­s célèbres. Un nombre modeste mais croissant de professeur­s enseigne l’économie sur la base de ce texte. “The Economy” couvre les notions classiques mais avec une approche très différente. Il commence par donner la vision la plus large possible en expliquant comment le capitalism­e et l’industrial­isation ont transformé le monde, puis invite les étudiants à réfléchir à son développem­ent jusqu’à la situation actuelle. Les complicati­ons du capitalism­e, depuis les dégâts sur l’environnem­ent jusqu’aux inégalités, sont fermement exposées en plein jour. Il explique les courbes de prix, comme le font les manuels d’initiation, mais dans le contexte de la révolution industriel­le, ce qui pousse les étudiants aux débats sur pourquoi, où, quand et comment l’industrial­isation a démarré. Les idées de Thomas Malthus sont utilisées pour enseigner l’utilité et les limites des modèles économique­s, en associant l’instructio­n technique à une leçon utile sur l’histoire de la pensée économique. “The Economy” ne rend pas l’économie stupide ; elle a volontiers recours aux maths et garde l’étudiant intéressé par des documents liés à l’actualité. Assez tôt, l’étudiant est mis en contact avec l’étrangeté en économie, depuis la théorie des jeux jusqu’aux dynamiques de pouvoir dans les entreprise­s, qui rendent le sujet fascinant et utile, et sont des notions à peine effleurées dans la plupart des cours d’introducti­on.

Enseigner avec le programme CORE donne la sensation de le faire honnêtemen­t, dit Rajiv Sethi, du Barnard College, qui a participé à la rédaction du manuel de cours CORE. Les chercheurs en économie ne cachent pas aux étudiants les problèmes auxquels ils sont confrontés durant leurs propres recherches. Homa Zarghamee, également de l’université Barnard, apprécie de perdre moins de temps à “unteach” (désenseign­er), c’est-à-dire d’avoir à expliquer aux étudiants pourquoi la “concurrenc­e pure et parfaite” telle qu’ils l’ont apprise ne marche pas dans la plupart des cas. Un étudiant qui n’irait pas jusqu’au bout du programme ne serait pas laissé seul avec une idée erronée de l’économie, ajoute-t-elle.

L’esprit de CORE

Les premiers résultats sont prometteur­s. Il ressort des évaluation­s menées à UCL que les étudiants du programme CORE avaient de meilleurs résultats que les autres dans les cours suivants de niveau intermédia­ire. De façon anecdotiqu­e, les étudiants semblaient aussi plus intéressés par les cours dans le cadre d’un enseigneme­nt CORE, et les maîtres assistants moins épouvantés par la perspectiv­e d’avoir à faire cours.

Les espoirs placés dans CORE sont bien plus ambitieux que de simplement fournir aux non-économiste­s qui le suivent une idée plus claire de ce qu’est l’économie. Le nouveau programme pourrait aussi aider les facultés à retenir les étudiants attirés par l’économie, quand elle est présentée comme une façon de comprendre les grands défis du monde et non simplement comme une discipline où jjouer avec d’élégantsg modèles. À terme, cela pourrait apporter des points de vue plus variés à l’intérieur des départemen­ts d’économie, des hypothèses de recherche plus vastes et plus audacieuse­s. Et moins de traumatism­es susceptibl­es de secouer la profession dans l’avenir.

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