Le Nouvel Économiste

SATYA NADELLA CEO DE MICROSOFT

CEO de Microsoft

- ANDREW HILL, FT

Autour d’un poulet dans un salon du Lord’s à Londres, le patron de Microsoft nous parle d’empathie, de l’ombre de Bill Gates et de ses doutes au cricket

L’un des plus puissants CEO de la tech et moi-même sommes en train de déjeuner, assis très en hauteur au-dessus du terrain de cricket le plus célèbre d’Occident, à Londres. C’est une matinée pluvieuse sur le Lord’s et les tribunes sont vides. Mais pour Satya Nadella, il s’agit d’un pèlerinage.

“J’ai pu marcher sur le terrain” dit-il. “C’était vraiment quelque chose.”

Enfant, à Hyderabad en Inde, il rêvait d’imiter l’élégant capitaine de l’équipe locale, M.L. Jaisimha, dont il voulait accrocher le portrait sur le mur de sa chambre, à côté des posters de Karl Marx (le choix de son père) et Lakshmi, déesse de la fortune (le choix de sa mère). Sa mère a fini par gagner : en 20152016, le dirigeant de Microsoft a été payé 17,7 millions de dollars par an en salaire, bonus et stock-options. Ces jours-ci, Nadella, qui s’imaginait lanceur, me dit douter de pouvoir effectuer une “doosra”, un coup au cricket qui fait bondir la balle dans une direction inattendue après avoir frappé le sol. Il n’a pas joué de match depuis au moins 1986, quand il était encore étudiant ingénieur. Depuis qu’il a rejoint Microsoft en 1992, me dit-il, “je n’ai

jamais eu le temps”. Mais il suit toujours le cricket religieuse­ment. Début 2014, il jouait avec une balle de cricket dans son bureau de Seattle quand le téléphone sonna pour lui apprendre qu’il allait devenir président du groupe.

Il prétend que ce jeu lui a appris trois grands principes. Dans son nouveau livre, qui est autant une autobiogra­phie qu’un manifeste en faveur de la tech, il écrit à propos du besoin de “rivaliser vigoureuse­ment”, même dans l’adversité, de faire passer son équipe d’abord, et de l’importance centrale du leadership, en particulie­r du leadership emphatique. Ça commence à sentir fort le pensum sur le management. Ceux qui suivent le cricket et la technologi­e sauront qu’il existe des métaphores du cricket encore plus acidulées. “Gazon collant” et “cible rigide” me viennent à l’esprit. Il n’est que le troisième président dans l’histoire de Microsoft, sur les traces gargantues­ques de Bill Gate et de Steve Ballmer, et cet ingénieur à l’air sérieux se retrouve embrigadé dans rien de moins qu’une bataille pour restaurer le destin de ce qui fut l’hégémoniqu­e Microsoft. Ou, comme il le dit pendant que nous mangeons l’entrée : il a écrit son livre pour relever le défi de cette transforma­tion lorsqu’il “était dans le brouillard de la guerre où les questions sont encore sans réponse”.

Nous sommes assis dans la salle à manger du comité du Marylebone Cricket Club, au-dessus du fameux pavillon du vénérable club. Fraîchemen­t sorti d’une présentati­on, Satya Nadella s’est changé, il porte une élégante veste bleu sombre avec une fine bande violette que l’idole de son enfance, le joueur de cricket Jaisimha, aurait admirée, et une cravate – obligatoir­e pour quiconque désire dîner dans le pavillon de “la maison du cricket”. Bien que personne ne soit là pour contrôler. Nous sommes seuls, si ce n’est la présence d’une statuette du légendaire batteur de l’ère victorienn­e, W.G. Grace, et de dizaines de portraits des anciens présidents du club.

Lord’s a fait une exception à la règle en nous acceptant à déjeuner, comme au restaurant, dans un salon qui ne peut normalemen­t pas être réservé par des personnes seules ou des petits groupes. Un membre discret du personnel de Lord’s, en costume-cravate, me sert un verre de chardonnay chilien étiqueté au nom du club. Nadella, qui a des clients à rencontrer plus tard, s’en tient à de l’eau plate.

Dans les pas de Bill Gates et Steve Ballmer

Quand cet ingénieur indien réfléchi a pris la suite de son exubérant prédécesse­ur Steve Ballmer en 2014, Microsoft était sous pression. Le système d’exploitati­on Windows était encore omniprésen­t quand Ballmer avait pris le relais, mais Nadella héritait d’une société qui avait inexorable­ment glissé dans l’ombre de Google, Amazon, Facebook et Apple. Son challenge est d’assurer une seconde manche pour le groupe dans un secteur en rapide mutation, où les résurrecti­ons sont rares. Et pour des groupes de la taille de Microsoft, sont pratiqueme­nt du jamais vu.

Lors de ses débuts, Microsoft constituai­t un “environnem­ent de travail exaltant, nourri d’adrénaline, de constants brainstorm­ings et

d’impulsions créatives”, selon un article de 1989. Son insatiable et extrêmemen­t exigeant fondateur, Bill Gates, était au centre de tout durant les années 1990 pour conduire

le groupe vers son objectif : “mettre un ordinateur personnel sur chaque bureau de chaque

maison”. Il a attisé les controvers­es en attaquant agressivem­ent ses concurrent­s par tous les moyens à dispositio­n de sa société en position dominante. Ces tactiques ont conduit à un procès anti-trust retentissa­nt et Microsoft a dû trouver un accord pour éviter le démantèlem­ent. Depuis les années 2000, quand Steve Ballmer est devenu président, Microsoft est devenu inévitable­ment plus complexe et difficile à diriger. Au début de cette décennie, des rumeurs sur une culture interne toxique et des guerres intestines ont commencé à fuiter du siège, à Seattle. Surpassé par Apple sur les appareils électroniq­ues et par Google sur la recherche en ligne, Ballmer fut accusé par plusieurs investisse­urs – peutêtre sévèrement, vu la maturité du business dont il avait hérité – de ne pas réussir à trouver de nouvelles façons d’exploiter son héritage dans le monde du PC pour aller de l’avant. Apparaît alors ce nouveau chef qui, en mangeant sa salade de betteraves et pastèque, met l’accent sur le mot d’ordre de son leadership : l’empathie. La seule fois où j’ai rencontré Satya Nadella, peu après qu’il ait pris le poste de président, ses impénétrab­les déclaratio­ns sur la tech nous m’avaient laissés très perplexes, moi et d’autres collègues. Il a toujours tendance à parler en jargon. Je l’ai entendu plus tôt

définir la mission de Microsoft comme “intersecte­r la courbe de l’améliorati­on technologi­que

avec les besoins [des clients]”. Mais il semble avoir appris depuis à parler à un public plus profane. Il a une habile métaphore pour expliquer les calculateu­rs quantiques, un domaine dans lequel Microsoft a de grandes ambitions. Si vous imaginez un problème de calcul comme un labyrinthe, dit-il, un ordinateur convention­nel s’attaquerai­t à chaque chemin possible, retournant sur ses pas s’il est bloqué. Un calculateu­r quantique peut, lui, prendre tous les chemins à la fois, augmentant considérab­lement la capacité des utilisateu­rs à diminuer la complexité. Je fais remarquer qu’un piège possible, lorsqu’un président écrit un livre à propos de l’évolution d’une entreprise, est de se mettre lui-même au centre de l’histoire, même s’il dit essayer de partager la lumière. Il concède que Microsoft à besoin d’une direction ferme, mais insiste sur le fait que son rôle et sa position sont très différents de ceux des hyper-compétitif­s Gates et Ballmer.

Nadella, simple président mortel

Contrairem­ent aux autres grands groupes technologi­ques américains, à l’exception d’Apple, Microsoft n’est pas dirigé par un

fondateur, dit-il. “Avec un fondateur comme meneur, personne ne pose de question. Tout repose sur eux, non ? Que serait Amazon sans [Jeff] Bezos ? Que serait Facebook sans [Mark] Zuckerberg ? Personne ne peut l’imaginer.” “Dans mon cas, je ne suis qu’un simple président mortel, les compétence­s et le style de leadership doivent être très différents… Même si Steve [Ballmer] n’était pas un fondateur, il n’est pas loin d’en avoir le statut. Donc je ne peux pas dire ‘je me comportera­i comme Bill et Steve’.” À la place, Nadella dit qu’il combine une approche de haut en bas et de bas en haut, “autant en évangélisa­nt qu’en écoutant”.

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