Disruption schumpétérienne
Il y aurait une dichotomie dans le comportement des actions qui sont les moteurs de la disruption, et les autres qui en sont les victimes
Ce rallye boursier qui n’en finit pas est le plus haï de l’histoire. D’abord par les sceptiques qui s’en sont détournés à cause des inquiétudes suscitées par des niveaux de valorisation jugés excessifs...
La plupart des entreprises des industries traditionnelles ont mis en place leur direction digitale et engagent des dépenses colossales de R&D dans ces domaines, de telle sorte que des équilibres semblent s’établir entre le disruptif et le traditionnel, avec le second qui s’inspire des recettes du premier.
Ce rallye boursier qui n’en finit pas est le plus haï de l’histoire. D’abord par les sceptiques qui s’en sont détournés à cause des inquiétudes suscitées par des niveaux de valorisation jugés excessifs. Ensuite par une catégorie d’investisseurs qui se plaint qu’il soit porté par un nombre restreint de valeurs de croissance, avec les technologiques en figure de proue, qu’ils estiment surévaluées et dont ils se sont mis à l’écart. Tandis que les actions value, les valeurs plus traditionnelles qu’ils détiennent, sous-évaluées selon eux, seraient laissées de côté. Il y aurait donc une dichotomie dans le comportement des actions, entre celles qui sont les moteurs de la disruption et qui connaissent des valorisations élevées, et les autres qui en sont les victimes. Cette notion de disruption schumpétérienne est le nouveau concept à la mode dans le village global des affaires. Mais ce jugement consensuel porte en lui les germes d’une contradiction. On ne voit ni n’entend d’inquiétude particulière de la part de la plupart des dirigeants des secteurs traditionnels de l’industrie ou des services. Tout un chacun tire une révérence convenue à Jeff Bezos mais les Carrefour, Casino ou Walmart n’ont pas dit leur dernier mot. Certes, les industries de la presse écrite, du livre, des taxis, de la musique, des cassettes video, du commerce de détail textile ont été très affectées par la disruption technologique, et leurs survivants ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient. Mais même au mieux de sa forme, cet ensemble disparate de secteurs n’a jamais représenté que quelques pourcents de la valeur ajoutée et des profits de l’ensemble des entreprises.
Équilibres précaires, mais équilibres quand même
Si les disruptions technologiques devaient représenter un danger réel et conséquent pour les firmes traditionnelles, on devrait s’attendre à ce que leurs valorisations soient “descendues à la cave”. Mais il n’en est rien. Ainsi sur le marché américain, seulement quelques dizaines de sociétés du S&P’s 500 ont un PER suffisamment bas pour traduire un déclin imminent de leur profitabilité. Beaucoup d’industries ont su réagir face à cette disruption technologique: ainsi en va-t-il des chaînes de télévision linéaire, même si les Amazon, Apple, Netflix ou Youtube dépensent des milliards de dollars dans la production audiovisuelle. Les grandes chaînes hôtelières sont florissantes et sont en train de trouver les moyens de contrer à la fois les menaces technologiques des Airbnb et des plateformes de réservation, et la demande des millénials pour de nouvelles formes d’hospitalité. Même les taxis parisiens classiques comme les G7 résistent plus que bien, après une période d’ajustement, aux coups de butoir des nouvelles formes de concurrence représentées par les VTC. Et General Motors et Ford n’ont pas encore perdu la course face à Tesla. Ce n’est pas pour autant la fin des géants technologiques que sont Apple, Amazon, Alphabet, Facebook et Microsoft. Leurs valorisations suggèrent que la part combinée de leurs profits dans l’ensemble des profits du Corporate America devrait doubler à 13 % d’ici dix ans, du fait de la position de monopole qu’elles occupent dans les médias et les réseaux sociaux. Mais la plupart des entreprises des industries traditionnelles ont mis en place leur direction digitale et engagent des dépenses colossales de R&D dans ces domaines, de telle sorte que des équilibres semblent s’établir entre le disruptif et le traditionnel, avec le second qui s’inspire des recettes du premier. Seule une modification des réglementations, qui à la fois protègent certains secteurs traditionnels comme la banque et la santé et qui laissent les pieuvres technologiques gagner du terrain, pourrait modifier ces équilibres, par nature très précaires.