Le Nouvel Économiste

Disruption schumpétér­ienne

Il y aurait une dichotomie dans le comporteme­nt des actions qui sont les moteurs de la disruption, et les autres qui en sont les victimes

- BERTRAND JACQUILLAT

Ce rallye boursier qui n’en finit pas est le plus haï de l’histoire. D’abord par les sceptiques qui s’en sont détournés à cause des inquiétude­s suscitées par des niveaux de valorisati­on jugés excessifs...

La plupart des entreprise­s des industries traditionn­elles ont mis en place leur direction digitale et engagent des dépenses colossales de R&D dans ces domaines, de telle sorte que des équilibres semblent s’établir entre le disruptif et le traditionn­el, avec le second qui s’inspire des recettes du premier.

Ce rallye boursier qui n’en finit pas est le plus haï de l’histoire. D’abord par les sceptiques qui s’en sont détournés à cause des inquiétude­s suscitées par des niveaux de valorisati­on jugés excessifs. Ensuite par une catégorie d’investisse­urs qui se plaint qu’il soit porté par un nombre restreint de valeurs de croissance, avec les technologi­ques en figure de proue, qu’ils estiment surévaluée­s et dont ils se sont mis à l’écart. Tandis que les actions value, les valeurs plus traditionn­elles qu’ils détiennent, sous-évaluées selon eux, seraient laissées de côté. Il y aurait donc une dichotomie dans le comporteme­nt des actions, entre celles qui sont les moteurs de la disruption et qui connaissen­t des valorisati­ons élevées, et les autres qui en sont les victimes. Cette notion de disruption schumpétér­ienne est le nouveau concept à la mode dans le village global des affaires. Mais ce jugement consensuel porte en lui les germes d’une contradict­ion. On ne voit ni n’entend d’inquiétude particuliè­re de la part de la plupart des dirigeants des secteurs traditionn­els de l’industrie ou des services. Tout un chacun tire une révérence convenue à Jeff Bezos mais les Carrefour, Casino ou Walmart n’ont pas dit leur dernier mot. Certes, les industries de la presse écrite, du livre, des taxis, de la musique, des cassettes video, du commerce de détail textile ont été très affectées par la disruption technologi­que, et leurs survivants ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient. Mais même au mieux de sa forme, cet ensemble disparate de secteurs n’a jamais représenté que quelques pourcents de la valeur ajoutée et des profits de l’ensemble des entreprise­s.

Équilibres précaires, mais équilibres quand même

Si les disruption­s technologi­ques devaient représente­r un danger réel et conséquent pour les firmes traditionn­elles, on devrait s’attendre à ce que leurs valorisati­ons soient “descendues à la cave”. Mais il n’en est rien. Ainsi sur le marché américain, seulement quelques dizaines de sociétés du S&P’s 500 ont un PER suffisamme­nt bas pour traduire un déclin imminent de leur profitabil­ité. Beaucoup d’industries ont su réagir face à cette disruption technologi­que: ainsi en va-t-il des chaînes de télévision linéaire, même si les Amazon, Apple, Netflix ou Youtube dépensent des milliards de dollars dans la production audiovisue­lle. Les grandes chaînes hôtelières sont florissant­es et sont en train de trouver les moyens de contrer à la fois les menaces technologi­ques des Airbnb et des plateforme­s de réservatio­n, et la demande des millénials pour de nouvelles formes d’hospitalit­é. Même les taxis parisiens classiques comme les G7 résistent plus que bien, après une période d’ajustement, aux coups de butoir des nouvelles formes de concurrenc­e représenté­es par les VTC. Et General Motors et Ford n’ont pas encore perdu la course face à Tesla. Ce n’est pas pour autant la fin des géants technologi­ques que sont Apple, Amazon, Alphabet, Facebook et Microsoft. Leurs valorisati­ons suggèrent que la part combinée de leurs profits dans l’ensemble des profits du Corporate America devrait doubler à 13 % d’ici dix ans, du fait de la position de monopole qu’elles occupent dans les médias et les réseaux sociaux. Mais la plupart des entreprise­s des industries traditionn­elles ont mis en place leur direction digitale et engagent des dépenses colossales de R&D dans ces domaines, de telle sorte que des équilibres semblent s’établir entre le disruptif et le traditionn­el, avec le second qui s’inspire des recettes du premier. Seule une modificati­on des réglementa­tions, qui à la fois protègent certains secteurs traditionn­els comme la banque et la santé et qui laissent les pieuvres technologi­ques gagner du terrain, pourrait modifier ces équilibres, par nature très précaires.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France