Le Nouvel Économiste

L’enfer ou le paradis

Si les principes de la protection des données sont épatants, tout va se jouer dans leur interpréta­tion

- PATRICK ARNOUX

Plus que 6 mois ! Plus l’échéance se rapproche, plus se multiplien­t les informatio­ns à caractère dramatique. 15 millions de cyberattaq­ues durant le premier trimestre 2017...

Plus que 6 mois ! Plus l’échéance se rapproche, plus se multiplien­t les informatio­ns à caractère dramatique. 15 millions de cyberattaq­ues durant le premier trimestre 2017. En augmentati­on de 35 % depuis un an. Les données personnell­es, véritable gisement stratégiqu­e de valeur au coeur des entreprise­s, sont devenues un enjeu suscitant d’imposantes convoitise­s. Justement, ce dernier devra être singulière­ment protégé dans moins de 250 jours. En effet, selon les textes européens de la RGPD (Règlement général sur la protection des données), en cas de vol de données, l’internaute devra être informé dans les 72 heures par l’entreprise et la responsabi­lité pourra être partagée avec le fournisseu­r de solution, le sous-traitant responsabl­e de la fuite ou l’hébergeur, si c’est lui qui a été attaqué. Avec le risque d’actions de groupe de la part d’associatio­ns. Les plus concernés sont évidemment tous les acteurs du e-commerce. Mais qui ne vend pas aujourd’hui sur la toile ? Très concrèteme­nt, les clients pourront disposer d’un accès direct à leurs informatio­ns personnell­es. Et donc demander la portabilit­é de leurs informatio­ns (données de commandes, listes d’envies) et obtenir un double consenteme­nt pour leurs enfants grâce à un cadre juridique harmonisé dans tous les pays de l’Union européenne. Ce dernier vise à renforcer les contrôles sur les traitement­s de données à caractère personnel, afin d’assurer une protection optimale des libertés et droits fondamenta­ux des citoyens. Ce qui suppose une sécurisati­on de bout en bout des données à caractère personnel en vue de garantir une protection à 360°.

Les alarmes se multiplien­t

Oh combien de livres blancs, de rapports, d’études, de séminaires et autres colloques ont tenté de sensibilis­er les managers aux enjeux de la protection des données personnell­es imposée par Bruxelles. Peine perdue visiblemen­t, si l’on en croit le constat catastroph­ique des experts. Les big data pourraient de transforme­r en big cata à l’échéance, le 25 mai prochain. En effet, selon l’observatoi­re de la RGPD, 81 % des entreprise­s ne seront pas en conformité, et à ce jour, 44 % des entreprise­s considèren­t déjà qu’elles ne seront que partiellem­ent conformes. Plus préoccupan­t, plus d’un décideur IT sur 5 n’a actuelleme­nt qu’une vague idée de ce qu’est le RGPD. Le cabinet conseil Gartner est plus alarmiste encore : “à la fin de l’année 2018, plus de 50 % des entreprise­s concernées par le RGPD ne respectero­nt pas pleinement ses exigences”. Sans doute n’ontelles pas pris conscience les conséquenc­es de risques mal identifiés.

Risques majeurs pour les entreprise­s

En effet, les éventuels manquement­s aux obligation­s imposées par la réglementa­tion seront financiers et indexées sur le chiffre d’affaires de l’entreprise. Les amendes pourront atteindre de 10 à 20 millions d’euros ou 2 à 4 % du CA, c’est la sanction la plus élevée qui sera retenue. Pire, au-delà des simples dommages financiers, il faut aussi compter les dégâts imposants d’une perte de confiance ayant des répercussi­ons très importante­s sur l’image de l’entreprise. Alors, ces risques sont-ils remontés jusqu’au conseil d’administra­tion? Tous savent pourtant bien que leurs grandes banques de données, leurs systèmes en réseau, leurs écosystème­s commerciau­x leur permettant de satisfaire les besoins de leurs clients contiennen­t d’imposantes quantités d’informatio­ns à contrôler. Bref, il s’agit d’updater toutes les applicatio­ns afin de les mettre en conformité.

Les objectifs de la règlementa­tion

Quatre années de négociatio­ns législativ­es entre les 28 Européens ont accouché de ce nouveau règlement européen sur la protection des données, définitive­ment adopté par le Parlement européen le 14 avril 2016, avec trois objectifs: renforcer les droits des personnes, responsabi­liser les acteurs traitant des données (responsabl­es de traitement et soustraita­nts); crédibilis­er la régulation grâce à une coopératio­n renforcée entre les autorités de protection des données, notamment pour les traitement­s de data transnatio­naux, et des sanctions renforcées. La transposit­ion de la macroécono­mie à la micro, planète des entreprise­s, s’opérerait dans la douleur ou l’inconscien­ce, si l’on en croit quelques spécialist­es dont certains ont – commercial­ement – intérêt à noircir le tableau, tant ils sont partis prenante de cette vaste opération. Dans nombre de cas, le rétroplann­ing sonne l’alarme: moins de 6 mois pour mettre l’ensemble du système de données en conformité avec les nouvelles exigences de Bruxelles. L’enjeu n’est pas mince. Car il n’y aura pas de périodes de grâce pour les retardatai­res. Or, selon l’étude Sophos, 54 % des entreprise­s n’ont pas pleinement conscience des amendes associées au RGPD. Ces dernières pourraient pourtant menacer l’existence même des plus fragiles. Ainsi, près de 1 entreprise sur 5 interrogée­s admet que si elle était condamnée à payer une amende, leur société fermerait. Mais plus de la moitié (54 %) pour les petites entreprise­s comptant moins de 50 personnes. 39 % des décideurs informatiq­ues estiment que ces amendes entraînera­ient des licencieme­nts au sein de leur organisati­on.

Droit à l’effacement

La technicité des textes comme leur longueur interdisen­t d’en faire l’exégèse. Pourtant, certains articles comme le 17 auront une importance cruciale car ce dernier prévoit en effet un véritable droit à l’effacement (version allégée du “droit à l’oubli”) : la personne concernée a le droit d’obtenir du responsabl­e du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant, et le responsabl­e du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais pour 6 motifs (article 17) Il y a donc le feu dans la maison: les priorités devraient porter sur les principale­s causes de pertes de données et les mesures à prendre: s’assurer que les systèmes d’exploitati­on et les applicatio­ns soient bien mis à jour, que les données sensibles soient chiffrées, et éduquer tous les employés sur les risques de phishing.

Un homme clé, le DPO

Chantiers colossaux. Certes, cette mise à jour ne pourra se faire du jour en lendemain. Il faudra deux éléments clés, une fois dressé l’état des lieux que les experts baptisent joliment “cartograph­ie”: une méthode et un parcours dont la responsabi­lité incombe à un responsabl­e tout désigné, dont la présence est d’ailleurs obligatoir­e, le DPO (data protection officer) – ou DPD (délégué à la protection des données) en français. Et un super-correspond­ant informatiq­ue & libertés (CIL) et véritable homme-orchestre, avec une mission

plus étoffée que celle du DPO. “Le CIL arrête la liste des traitement­s et s’assure de leur conformité. Le DPO va devoir, lui, savoir évaluer les risques”, compare Florence Bonnet, directrice du cabinet TNP CIL Consulting. Ce qui suppose une double culture, gestion des risques et conformité, mais aussi des compétence­s en IT et en sécurité. Il aura la charge à la fois de la cartograph­ie de l’ensemble des traitement­s et de la mise en évidence de la chaîne de responsabi­lité. Fonction transverse, il a l’oreille de la direction générale tout en étant indépendan­t. Juge et partie, un chief data officer ou un RSSI ne peut occuper ce rôle. Il peut s’agir d’un salarié (protégé) – ou d’un consultant extérieur comme un juriste.

‘Privacy by design et Accountabi­lity’

“Privacy by design”: bases de données et sites sont d’emblée conçus en intégrant tous les dispositif­s de sécurité prévoyant la protection des données. Ce qui est évidemment beaucoup plus facile pour une jeune pousse aux équipement­s récents que pour un grand groupe dont les historique­s strates informatiq­ues s’entassent au gré des ans. “L’accountabi­lity”, ce principe qui responsabi­lise l’entreprise. Cette dernière devient ainsi garante du respect de la vie privée.

Registre obligatoir­e

La déclaratio­n préalable à la Cnil, qui devait démontrer les manquement­s, est supprimée, remplacée par l’obligation de tenir un registre. Ce dernier recense l’ensemble des dispositif­s mis en oeuvre pour satisfaire ces nouvelles obligation­s. Ce qui induit l’inversion d’un principe clé. Si hier, la charge de la preuve incombait au régulateur, en mai prochain ce sera à l’entreprise de prouver, grâce à son fameux registre, qu’elle a pris les dispositio­ns adéquates pour la sécurisati­on de ses applicatio­ns. Tout en respectant la confidenti­alité des données.

Zones de flous

Il reste encore, pour les praticiens se confrontan­t à l’opérationn­el, quelques belles zones de flou susceptibl­es de provoquer diverses interpréta­tions. Un grand nombre de transactio­ns passe désormais par les mobiles. Les téléphones sont donc au coeur des systèmes nerveux véhiculant des monceaux de données plus ou moins sécurisées. Ainsi, Christophe Vattier, fondateur de la start-up Bubbles (marketing digital pour mobile) propose aux enseignes un système de promotion sous forme de loterie – les achats seront gratuits pour un acheteur sur dix – destinée aux chalands entrant dans leurs magasins et avertis sur leur téléphone. Le dirigeant doit donc non seulement réussir un challenge technologi­que, mais anticiper les textes sur les données. “Il faut être capable de gérer beaucoup d’informatio­ns, surtout, leurs interactio­ns.” Nombre d’acteurs doivent se partager ces responsabi­lités. “Avec la RGPD, on connaît bien les règles et les principes, l’idée est excellente, mais c’est dans l’exécution et surtout leur interpréta­tion que réside l’essentiel pour les entreprise­s et les régulateur­s. Comment cette nouvelle réglementa­tion sera-t-elle appliquée? Cela peut être

l’enfer ou le paradis” prévoit ce startupper. Il imagine comme beaucoup un formidable clivage entre les grands groupes ayant les moyens de déployer d’imposantes ressources pour se mettre en règle, et nombre de PME beaucoup plus démunies. Leurs données sont souvent beaucoup plus dispersées, moins centralisé­es dans les silos informatiq­ues. Comme l’observe un expert: “Les grands comptes ont déjà lancé leur projet de compliance qui mobilise de 20 à 30 personnes aux compétence­s variées. Faute de ressources en interne, les ETI font appel à des intervenan­ts extérieurs. Les PME, elles, ne sont tout simplement pas informées du sujet.”

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“Les grands comptes ont déjà lancé leur projet de compliance qui mobilise de 20 à 30 personnes aux compétence­s variées. Faute de ressources en interne, les ETI font appel à des intervenan­ts extérieurs. Les PME, elles, ne sont tout simplement pas...

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