Le Nouvel Économiste

LE DILEMME DE LA SUISSE

- RALPH ATKINS, FT

Le mois dernier, à 8 heures du matin, une queue s’était formée à l’entrée de l’imposant siège de la Banque nationale suisse à Zurich. Heureuseme­nt, ce n’était pas une panique des épargnants : la foule était en fait attirée par une nouvelle série de billets de 10 francs suisses. Le spectacle rappelait la popularité persistant­e dont jouissent les monnaies physiques, particuliè­rement dans les parties germanopho­nes et conservatr­ices de l’Europe. À l’intérieur de la Banquecenp trale suisse, quelques employés ont dû se demander : pendant combien de temps encore ? La petite ville suisse de Zug, à 20 minutes en TGV de Zurich, est devenue un des centres névralgiqu­es des crypto-monnaies. Elle rassemble des experts de la technologi­e des monnaies virtuelles, des spécialist­es de la finance et des capitaux. Les autorités de Zug acceptent les paiements en bitcoins et une fondation locale est à l’origine d’Ethereum, la deuxième monnaie numérique la plus importante actuelleme­nt derrière le bitcoin. La Suisse a été le théâtre de quatre des six plus grands “Initial coins offering” (ICO) grâce auxquels des start-up ont levé des fonds en vendant des jetons numériques de futures cryptomonn­aies à des investisse­urs. Les politiques suisses, pendant ce temps, désirent développer un environnem­ent réglementa­ire qui donnera un avantage concurrent­iel aux technologi­es financière­s, en capitalisa­nt sur la réputation pro-business de la Suisse et celle de son gouverneme­nt, connu pour sa non-ingénrence. D’ici quelques années, il est fort possible que même les consommate­urs suisses les plus prudents aient opté pour un porte-monnaie électroniq­ue. Cette perspectiv­e crée un dilemme pour la Banque centrale suisse. Traditionn­ellement prudente, elle devra peut-être bientôt devoir choisir entre laisser la main au secteur privé pour gérer de nouvelles monnaies, ou créer une version ‘crypto’ du franc suisse – un e-franc suisse – en tant qu’alternativ­e électroniq­ue efficace aux billets de banques.Le bitcoin et ses rivaux ont capturé l’imaginatio­n populaire, et sûrement créé une frénésie spéculativ­e. Les crypto-monnaies issues par la Banque centrale seraient différente­s. Comme un billet de banque, elle représente­rait une créance envers la Banque centrale, et devrait donc agir comme une réserve de valeurs fiables (contrairem­ent au bitcoin) et fournir un moyen de paiement sûr et efficace. En Europe, la banque suédoise Riksbank est la plus avancée sur ce sujet, tout au moins publiqueme­nt. Un rapport de la Riksbank du mois dernier soutenait que le “e-krona” (la e-couronne), qui donnerait accès aux consommate­urs à une monnaie bancaire “sans risque”, n’était pas seulement possible mais nécessaire. Alors que l’utilisatio­n des espèces décline, les systèmes de paiement électroniq­ue risquent si rien n’est fait de se concentrer dans les mains de quelques acteurs du secteur privé, les rendant plus vulnérable­s à des perturbati­ons. La Riksbank a estimé que la e-krona pourrait être conçue pour autoriser les transactio­ns anonymes jusqu’à un certain niveau – préservant une caractéris­tique importante des espèces physiques – tout en respectant les lois contre l’évasion fiscale et le blanchimen­t d’argent. La Riksbank ne perdrait pas pour autant le contrôle de sa réglementa­tion monétaire, même si la e-krona pourrait circuler au-delà du système bancaire traditionn­el. Mais en Suisse, il est difficile d’imaginer la SNB, la Banque nationale Suisse, se presser de copier la Riksbank. Il ne s’agit pas uniquement de préoccupat­ions provoquées par des possibles cyberattaq­ues. Dans l’environnem­ent déflationn­iste actuel, les Suisses pourraient être inquiets, à juste titre, que le e-franc suisse soit un moyen facile d’imposer des taux d’intérêt négatifs en érodant électroniq­uement leur valeur. Une préoccupat­ion plus grande des régulateur­s financiers serait l’impact sur le système bancaire convention­nel, spécialeme­nt en temps de crise. En temps normal, les comptes bancaires traditionn­els devraient offrir de meilleurs taux d’intérêt si les e-francs suisses offraient plus de facilité d’utilisatio­n. Mais en cas de mouvements de panique, les banques pourraient subir des retraits considérab­les et soudains (quels que soient les taux d’intérêt) alors que les fonds seraient transférés en e-francs suisses, plus sûrs. Dit autrement, les crises financière­s pourraient devenir plus dures. Mais si les billets et les pièces de monnaies disparaiss­ent, des systèmes financiers dominés par le secteur privé pourraient s’avérer tout aussi dangereux. Il s’agit de problèmes auxquels font face toutes les banques q centrales. À la différence des autres, la SNB n’a pas encore abordé ce sujet publiqueme­nt. Contrairem­ent à la Suède, l’utilisatio­n d’espèces physiques reste très courante dans ce riche pays alpin. Cela pourrait cependant changer rapidement. Il ne faudra peut-être pas longtemps avant que les Suisses réclament non pas de nouveaux billets mais de savoir quand (et si) les e-francs suisses vont arriver. D’ici quelques années, il est fort possible que même les consommate­urs suisses les plus prudents aient opté pour un portemonna­ie électroniq­ue

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