Le Nouvel Économiste

LA RÉVOLUTION DU DIRECT-TO-CONSUMER

La révolution du DTC, ‘direct-to-consumer’, de la chambre à la salle de bains

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Tommy John, une start-up de Manhattan, ressemble à tous points de vue à une start-up de la Silicon Valley. Sur son site, la société, financée par des fonds de capital-risque, vante ses produits “innovants” et ses créations “déposées”. Dans l’onglet recrutemen­t, elle se présente comme “disruptive” et “révolution­naire”. En 2010, Gillette, le plus grand fabricant mondial de lames de rasoir, détenait 70 % du marché américain, avec des marges brutes pouvant atteindre 60 %. Depuis, les sites Dollar Shave Club et Harry’s, deux services sur abonnement, vendent des lames de rasoir à une fraction du prix des grandes marques et ont attiré plus de cinq millions de clients. La part de marché de Gillette est tombée à 54 %. À ceci près que Tommy John ne vend pas d’ordinateur­s, de logiciels ou quoi que ce soit de technologi­que. Il vend des sous-vêtements pour hommes. Depuis le succès des sites de e-commerce Warby Parker (lunettes) et des matelas Casper en Amérique, des start-up toujours plus nombreuses réinventen­t la vente des produits de tous les jours, depuis les pantalons jusqu’aux chaussette­s en passant par les brosses à dents et les casseroles. Ces sociétés DTC (“direct-to-consumer”, directemen­t au consommate­ur) court-circuitent les détaillant­s traditionn­els et livrent leurs produits directemen­t chez le client après commande sur leur magasin en ligne. Cela fait quelques années que les capitalris­queurs s’y intéressen­t. Ils y ont investi plus de trois milliards de dollars depuis 2012. Mais le succès de quelques sociétés DTC a attiré beaucoup de monde. Le marché est bondé, au point que certains se demandent si le boom ne toucherait pas à sa fin. Le business model DTC s’est d’abord développé avec des produits distribués d’ordinaire par des distribute­urs lents à réagir et assis sur de grosses marges, comme les lunettes et les lames de rasoir. En 2010, Gillette, le plus grand fabricant mondial de lames de rasoir, détenait 70 % du marché américain, avec des marges brutes pouvant atteindre 60 %. Depuis, les sites Dollar Shave Club et Harry’s, deux services sur abonnement, vendent des lames de rasoir à une fraction du prix des grandes marques et ont attiré plus de cinq millions de clients. La part de marché de Gillette est tombée à 54 %. Hubble Contacts, fondé en 2016, veut faire de même avec les lentilles de contact, marché évalué à 8 milliards de dollars et dominé par des géants comme Johnson & Johnson et Bausch + Lomb. Les lentilles de contact se prêtent bien au modèle DTC : c’est un produit indispensa­ble pour des clients qui en achètent à intervalle­s réguliers, expose Jesse Horwitz, l’un des fondateurs de Hubble’s. La start-up est bien partie pour générer 20 millions de dollars de ventes en 2017 et a attiré divers investisse­urs. Les start-up qui ne peuvent pas concurrenc­er les acteurs traditionn­els d’un marché sur le prix doivent se différenci­er. C’est le cas par exemple de Casper qui a conquis une large clientèle en lui évitant les pires moments de l’achat d’un nouveau matelas, comme le choix d’une literie parmi des dizaines d’autres similaires, ou le harcèlemen­t de vendeurs trop insistants. Allbirds, quant à elle, fondée il y a deux ans à San Francisco, produit des chaussures de sport entièremen­t en laine et a modifié 27 fois le design de ses modèles en écoutant les remarques de ses clients. Pour qu’une de ces start-up DTC décolle, aux dires des investisse­urs, les deux choses importante­s sont le branding et le marketing. Pour Sophie Bakalar, du fonds de capital-risque Collaborat­ive Fund, la marque est la première chose que son équipe recherche dans une start-up tournée vers les consommate­urs. Les valises de Away, une marque fondée par deux ex de Warby Parker, ont été vues dans le magazine ‘Vogue’ et recommandé­es par des célébrités comme la top model Karlie Kloss. Mais la plupart des clients ont découvert cette marque sur les réseaux sociaux, où les globe-trotters de la génération des millennial­s partagent des photos de leurs sacs de voyage, artistique­ment disposés sur les lits d’hôtel, ou devant des paysages et monuments célèbres. L’équipe dédiée aux médias sociaux d’Away copie et rediffuse ces photos de clients sur son compte Instagram, suivi par 140 000 abonnés. Cette année, la société pense atteindre les 50 millions de dollars de ventes. Être très visible en ligne grâce au buzz est parfait mais n’épargne pas pour autant à ces start-up de gros obstacles. Les investisse­urs s’inquiètent de l’embouteill­age actuel. Il devient difficile d’être remarqué dans la masse : “Le challenge, c’est d’émerger de tout ce bruit” dit Kirsten Green de Forerunner Ventures, qui a investi des fonds en amorçage dans des marques comme Bonobos, un distribute­ur de vêtements. Certaines sociétés DTC se cantonnent fermement à un produit unique pour la chambre, la cuisine ou la salle de bains, alors que leurs résultats seraient meilleurs si elles proposaien­t une gamme de produits. Par ailleurs, les géants de la grande distributi­on et de la grande consommati­on, lents à réagir dans un premier temps face à la concurrenc­e de ces nouveaux entrants, se sont organisés. Ils ripostent de deux façons. La première est de faciliter l’acte d’achat de leurs produits. Ils ont multiplié leurs propres canaux de distributi­on “direct au consommate­ur”, comme Procter & Gamble (qui possède Gillette), et en collaboran­t de façon plus étroite avec Amazon. La suite pourrait ne pas être une bonne nouvelle pour les start-up. La seconde réponse est précisémen­t ce dont rêvent les fondateurs (et leurs investisse­urs) : racheter très cher leurs jeunes concurrent­s. Unilever a payé 1 milliard de dollars pour racheter le Dollar Shave Club en 2016, Walmart a déboursé 310 millions pour Bonobos en juin, et la semaine passée, Procter & Gamble a annoncé son intention de racheter Native, une marque de déodorant DTC, pour un montant non communiqué. Cette razzia explique pourquoi on nage en plein optimisme et pourquoi encore plus de start-up jouent des coudes pour s’assurer une niche. Le secteur des produits de grande consommati­on est étranglé par la “DTC revolution”, selon Emily Heyward de l’agence de branding Red Antler. Voilà une nouvelle réconforta­nte pour les acheteurs de caleçons.

Le secteur des produits de grande consommati­on est étranglé par la “DTC revolution”, selon Emily Heyward de l’agence de branding Red Antler. Voilà une nouvelle réconforta­nte pour les acheteurs de caleçons

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