Le Nouvel Économiste

GILLES LE GENDRE DÉPUTÉ LRM

Député de Paris, vice-président du groupe parlementa­ire La République En Marche

- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-MICHEL LAMY

Tous les députés et députées de La République En Marche restent toujours un peu interloqué­s par le moment politique extraordin­aire qu’ils viennent de vivre. Gilles Le Gendre, issu de la société civile, comme il est convenu de dire, n’échappepp ppas à la règle.g Dans cet entretien, il résume la démarche du chef de l’État par ce trait : “Macron, c’est Paul Ricoeur plus les startup”.p Ce mélangeg de retenue pphilosoph­iquepq et d’extrême modernité est en effet inédit. À partir de là, le député de Paris replace les vieux logiciels politiques dans le cadre du macronisme.

La pédagogie du programme présidenti­el et législatif et la poursuite du travail doctrinal engagé pendant la campagne électorale sont deux enjeux essentiels pour notre jeune mouvement La République En Marche. La convention nationale qui a désigné Christophe Castaner délégué général du Avec ce président de la République, l’action précède la doctrine. Priorité à la pédagogie par l’action ! Ce qui se décline en cinq axes de réforme anti-pensée magique. Ce qui permet aussi au député de Paris de plaider pour le dépassemen­t du clivage gauche-droite. Une opportunit­é,pp affirme-t-il, ppour remiser les qquerelles stériles entre marché et État. En voici la formulatio­n: “pplus de marché ppour libérer les énergies et plus d’État pour protéger les plus vulnérable­s”. Les sceptiques diront qu’il s’agit d’une ambition toujours recommencé­e. mouvement a consacré le règlement des questions d’organisati­on, de statut et de gouvernanc­e. La République En Marche peut ainsi prendre un nouvel élan, s’inscrire dans la durée et consolider un socle doctrinal encore étroit, compte tenu de notre histoire exceptionn­ellement courte. Le mouvement représente le cas inédit d’un parti qui n’existait pas il y a dix- huit mois et qui a su tout faire “en même temps” : créer l’organisati­on, élaborer un programme, faire élire un chef de l’État de 39 ans et envoyer une majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est sans précédent en France et même dans le monde !

Les marqueurs doctrinaux Pendant ce court laps de temps, nous n’avons pas été dépourvus de repères doctrinaux. Le livre d’Emmanuel Macron, ‘ Révolution’, publié en novembre 2016, en a défini un certain nombre, sur lesquels notre programme présidenti­el et législatif a pris racine. C’est ce qui fait l’originalit­é du livre, à la fois profession de foi personnell­e à forte empreinte philosophi­que, historique et littéraire, pour faire connaître le candidat, et plan d’actions programmat­ique pour engager la France dans des transforma­tions qui lui permettron­t de retrouver son leadership dans un monde lui-même en mutation. Cette confiance dans le progrès, au coeur de la démarche du futur chef de l’État, a été résumée avec humour par cette formule : “Macron, c’est Paul Ricoeur, plus les startup !” Le marqueur doctrinal peut-être le plus novateur concerne la place de la personne humaine dans la société. Cette dernière doit permettre à l’individu de s’épanouir et de retrouver la maîtrise de son destin. La fin de cette “assignatio­n à résidence”, l’une des trouvaille­s sémantique­s les plus fortes de la campagne. Au passage, cet aspect fait litière des critiques adressées à Emmanuel Macron sur un prétendu esprit de classe. Le président, tout en professant une laïcité sans concession, s’inscrit dans une filiation judéochrét­ienne qui le rend imperméabl­e à toute forme de mépris social. La société doit se mettre au service de l’individu pour que celui-ci, quelle que soit son origine, puisse y tenter sa chance. Chacun peut trouver les moyens de son émancipati­on, mais ces moyens, il faut que la société l’aide à les obtenir. Balancemen­t complexe, qui met au défi à peu près toutes les politiques publiques de se réformer. C’est, par exemple, ce que nous réalisons pour favoriser les parcours profession­nels : un individu doit pouvoir développer ses compétence­s tout en bénéfician­t d’une protection sociale pendant les inévitable­s périodes de transition.

Le dépassemen­t du clivage gauche-droite Le dépassemen­t du clivage droite- gauche n’est pas un marqueur doctrinal aussi fort. Il revêt une dimension plus tactique, qui entérine le fait que la droite et la gauche, en tant que forces politiques, sont à bout de souffle, qu’elles ne répondent plus aux attentes des Français et que ces derniers, du coup, sont prêts à prêter l’oreille à une propositio­n politique qui ne s’inscrit plus dans ce cadre. Mais, s’il n’est pas la négation de la droite et de la gauche, le macronisme va mettre fin à une autre opposition, qui en est la réplique et qui a empoisonné la vie publique de querelles stériles depuis des lustres : entre le marché et l’État. Le plus bel exemple du fameux “en même temps” est bien celui- ci : plus de marché, pour libérer les énergies, mettre fin aux rentes et créer de la richesse ; et plus d’État, pour protéger les plus vulnérable­s, organiser les transition­s et contribuer aux grands investisse­ments, notamment technologi­ques, numériques, écologique­s.

L’animation du groupe parlementa­ire LRM Dans notre groupe parlementa­ire à l’Assemblée nationale, certains d’entre nous sont

“La pédagogie d’aujourd’hui est moins une pédagogie de la doctrine qu’une pédagogie de l’action”

imprégnés de valeurs de gauche et d’autres portent des valeurs de droite. L’animation du groupe, sous l’impulsion de notre président Richard Ferrand, passe par la reconnaiss­ance de ces origines variées et par leur expression. Si nous les refoulons, nous risquons de graves difficulté­s. Il faut au contraire en débattre. La pédagogie commence à l’intérieur du groupe des députés LRM. Exemple : la suppressio­n de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ce totem de la gauche que la droite n’avait jamais osé supprimer. Si l’on s’arrête au totem, c’est en effet un “cadeau aux riches”. Au contraire, si l’on explique que l’ISF a été un facteur aggravant du chômage en France, en pénalisant l’épargne et donc les fonds propres des entreprise­s, la perspectiv­e s’inverse et l’homme ou la femme de sensibilit­é de gauche peut réviser son premier jugement. Ce chemin, c’est vrai, est plus facile à parcourir pour les citoyens qui ont été associés, comme la plupart de nos députés, à la fabricatio­n de notre projet, que pour tous les Français ! Les vieux logiciels ont la vie dure.

La promesse de l’efficacité Pour être honnête, les Français ne se réveillent pas tous les matins en se demandant : “Quelle est la doctrine du macronisme ?” Pour l’instant, ils veulent des résultats très concrets. C’est sur cette promesse que converge toute notre action. Le député qui a du mal à “digérer” la suppressio­n de l’ISF y consentira au nom de l’efficacité économique. Le parlementa­ire qui trouve que la sortie de l’état d’urgence représente un risque l’acceptera au nom de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est aussi l’efficacité qui explique une pratique verticale du pouvoir. La fermeté dans la conduite des affaires de l’État se justifie pleinement par l’obsession de l’efficacité, que nous assumons tous : le président, le gouverneme­nt, la majorité, les marcheurs… Rien qui ne puisse nous faire dévier de notre cap, courir le risque de l’enlisement ou du compromis qui deviendrai­t compromiss­ion. Une rupture radicale par rapport au passé.

Cinq leviers ‘en même temps’

Qu’est-ce qui rend notre action crédible ? Le fait que nous tournons le dos à la pensée magique selon laquelle la lutte contre le chômage, combat le plus décisif, résulterai­t d’une mesure providenti­elle. Notre force est d’attaquer “le mal” sur tous les fronts à la fois. Cinq axes majeurs, en réalité : - La réforme du droit du travail pour que les entreprise­s puissent s’adapter aux évolutions de leurs marchés, dans un dialogue social renforcé. - La baisse des impôts et des charges pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés et restaurer les marges des entreprise­s et leur capacité d’investisse­ment. - L’ensemble assurance-chômage, formation, apprentiss­age, dont nous engageons la réforme en ce moment même. - L’innovation, sous toutes ses formes : technologi­que, numérique, écologique, compétence­s. - Enfin, la réforme de la fiscalité du capital, pour renforcer les fonds propres des entreprise­s, notamment les plus petites d’entre elles. Quand nos opposants nous demandent de démontrer qu’une seule de ces réformes réussira à réduire le chômage, ils font fausse route. Comment prouver que les ordonnance­s sur le dialogue social vont faire baisser le chômage tout de suite ? Réponse : impossible à prouver à coup sûr ! Quand l’ISF est supprimé, comment prouver que l’épargne libérée s’investira dans l’économie productive ? Réponse : impossible à démontrer, du moins scientifiq­uement. Et ainsi de suite. Mais en actionnant les cinq leviers “en même temps”, nous multiplion­s par beaucoup plus que cinq les chances que le chômage recule. La cohérence de la politique économique, c’est un autre marqueur de la doctrine Macron. Certes, les sondages en témoignent, nous n’avons pas encore convaincu tous les Français : on ne met pas fin en six mois à des décennies de défiance pour l’action publique. Ce qui change radicaleme­nt, c’est la posture. Les mêmes sondages nous disent que les Français sont de plus en plus nombreux à reconnaîtr­e qu’ils n’ont jamais été gouvernés, depuis très longtemps, avec autant de déterminat­ion et avec le souci de la cohérence et de l’efficacité poussé à ce point. Nos concitoyen­s comprennen­t que la méthode, le rythme, la philosophi­e du pouvoir ont changé. Ils sont aussi sensibles au fait que le monde porte sur la France un regard intéressé et parfois admiratif. C’est très réconforta­nt. La pédagogie d’aujourd’hui est moins une pédagogie de la doctrine qu’une pédagogie de l’action.

Dix ans, cinq ans, deux ans C’est un paradoxe : nous réformons à toute allure, mais notre politique, parce qu’elle transforme le pays dans ses soubasseme­nts les plus profonds, ne portera ses fruits que progressiv­ement. En réalité, nous avons trois horizons devant nous. Premier horizon : dix ans. C’est le temps qu’il faudra pour que la France ait accompli la totalité des transforma­tions qui lui redonneron­t un leadership sur la scène mondiale qu’elle n’aurait jamais dû perdre, et pour que l’Europe elle-même ait corrigé les déséquilib­res qui ont encalminé sa constructi­on. Deuxième horizon : cinq ans. Le terme naturel pour que la majorité puisse se présenter devant les Français avec un bilan et des résultats solides et solliciter à nouveau leurs suffrages. Troisième horizon, enfin : approximat­ivement deux ans, jusqu’à l’été 2019. C’est l’horizon le plus proche et l’enjeu le plus crucial, qui consiste à transforme­r le cercle de la défiance en cercle de la confiance. Dans deux ans, nous tous, politiques et citoyens, respireron­s mieux. Les divergence­s et les opposition­s n’auront pas disparu, heureuseme­nt ! Mais nous aurons contribué, par une pratique de la politique différente, fondée sur des promesses claires et tenues, à réconcilie­r les Français avec l’action publique.

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