La bataille des compétences
De l’art et la manière de faire (beaucoup) mieux, parce que (très) différemment. De l’apprentissage à la reconversion des chômeurs, en passant par l’employabilité des salariés
D’un côté les rudes défis d’une économie française en mutation, soumise aux coups de boutoir de la mondialisation, du digital, et qui ne s’en sortira que par les innovations réalisées par les salariés mieux formés d’entreprises de plus en plus compétitives. De l’autre, un levier tristement inefficace pour atteindre ces objectifs si gourmands en compétences, savoir-faire, connaissances. Notre système de formation professionnelle – il coûte aussi cher que le budget de la Défense – n’est pas à la hauteur de ces enjeux. Euphémisme. D’où cette vaste réforme, actuellement en négociation du côté des partenaires sociaux. Une remise à plat qui va simultanément s’attaquer aux retards de l’apprentissage, au système si peu efficient mais trop complexe de la formation des salariés, ainsi qu’à la reconversion des chômeurs. Les partenaires sociaux ont jusqu’au 16 février pour finaliser leur copie. Elle se transformera, si tout va bien, en projet de loi quelques semaines plus tard.
Transformation digitale, mutation de l’industrie, mondialisation, évolution du statut du salarié sur fond de crise économique. On pourrait empiler à l’envi ces profonds facteurs de changement qui sollicite tant, selon un mot barbare, l’employabilité des salariés. Ou plutôt leur efficace adaptation ou leur reconversion pour cette révolution brutale, rapide, systémique. Afin de gagner cette guerre mondiale de la compétence, de l’intelligence et de la compétitivité par l’innovation. Un levier essentiel permettrait certes d’en sortir en vainqueur. Sans doute le seul, ce qui donne lui donne une écrasante responsabilité : la formation professionnelle. Cette évidence bute dramatiquement sur les graves dysfonctionnements du dispositif proposé par Jacques Delors dans les années 70. Complexe, labyrinthique, illisible, obsolète… bref, inefficace autant qu’inadapté.
Moult diagnostics et remèdes inopérants
Ô combien de rapports académiques, administratifs ou parlementaires, combien de colloques, de chantiers, de réformes se sont emparés de ces maux. Politiques et partenaires sociaux ont multiplié les diagnostics alarmistes sur cette obligation nationale imposée par le Code du travail. Nombreuses, les critiques sont largement documentées, avec à la clé des solutions bien trop timides, parcellaires voire lacunaires, pour faire évoluer ce mammouth. Des réponses-rustines bien trop limitées se sont succédées face à l’enjeu urgent que représente la mise à niveau et l’amélioration des salariés les moins qualifiés, des jeunes et des chômeurs. Même si la réforme de mars 2014 a – un peu – simplifié les dispositifs, et surtout injecté davantage de transparence dans l’opacité du système de financement.
La boîte noire
La formation professionnelle eut en effet longtemps la triste allure d’une boîte noire au rendement calamiteux. D’un côté entrait les 32 milliards – 1,6 % du PIB, soit le budget de la Défense – de l’autre quelques salariés, mais trop peu, en sortaient bien formés. Et entre les deux, une paralysante bureaucratie sociale aux tuyauteries labyrinthiques, avec des fuites en ligne, ruissellement récupéré pour le financement des partenaires sociaux. Et beaucoup – surtout les salariés moins qualifiés – n’en profitaient pas. En 2015, 40 % des salariés ont suivi une formation. Parmi eux, 68 % de cadres, 37 % d’ouvriers. Et à peine 10 % de demandeurs d’emploi, selon le ministère du Travail.
Une multiplicité de défauts
Grâce à l’un de ses intimes, l’économiste Marc Ferraci, professeur en sciences économiques à l’université Panthéon-Assas, chargé du cours d’économie et réglementation du marché du travail dans le master 2 Économie et droit, le président de la République a D’un côté entrait les 32 milliards – 1,6 % du PIB, soit le budget de la Défense – de l’autre quelques salariés, mais trop peu, en sortaient bien formés acquis quelques convictions sur ce sujet. Voilà en effet des années que cet expert, conseiller spécial de Muriel Pénicaud, travaille sur le sujet, notamment pour un think tank, l’Institut Montaigne. Dès 2011, il commettait une note avec Pierre Cahuc : ‘Pour en finir avec une réforme inaboutie’. Trois ans plus tard, l’Institut Montaigne détaillait les péchés majeurs du
dispositif : “Les défauts de ce système peuvent se résumer ainsi : 1) initiative limitée des individus dans le choix de leur formation ; 2) fortes inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés ; 3) rigidité d’un système très administré, dans lequel les organismes paritaires jouent un rôle prépondérant dans l’orientation des dépenses de formation ; 4) faible efficacité des dépenses de formation, en termes de retour à l’emploi, de salaire ou de gains de productivité”.
Un foisonnement de dispositifs
Ainsi, ce type de formation profite aux plus qualifiés, au détriment de ceux qui en ont le plus besoin. Si un salarié diplômé du supérieur a 34 % de chance de suivre une formation dans l’année, cette proportion chute à 10 % pour un salarié sans diplôme. Et pour ceux qui y accèdent, les formations tendent à devenir de plus en plus courtes. De surcroît, leur qualité fait rarement l’objet d’une certification fiable. Leur accès se fait via un éventail de dispositifs – DIF (droit individuel à la formation), largement sous-utilisé, CIF (congé individuel de formation), CPF (compte personnel de formation), VAE (validation des acquis de l’expérience), AIF (aide individuelle de formation), etc., – cauchemar des DRH. Et la complexité devient totalement dissuasive pour les moins qualifiés lorsqu’on ajoute la puissante intermédiation du système à travers une diversité foisonnante d’acteurs – OPCA, Fongecif (fonds de gestion des congés individuels à la formation), régions, Unedic, Pôle emploi. Un marché qui fait vivre 97 000 organismes privés réalisant un volume d’affaires de 13,5 milliards d’euros en 2015. Mais 8 000 prestataires s’en partagent 95 %, et seulement 1 % sont contrôlés.
Les convictions d’Emmanuel Macron
Bien avant son élection, Emmanuel Macron avait pris non seulement conscience de cette vaste problématique, mais l’avait alors transformée en ambitieux projet de réforme totale, globale, systémique. L’objectif ? mettre en place
une machinerie efficace pour la mise à niveau des compétences et la reconversion des salariés, mais aussi des actifs concernés par ces vastes mutations – travailleurs indépendants et salariés privés d’activité.
Trois volets pour trois publics
Cette clarification de grande ampleur passe par trois volets distincts ciblant chacun des publics spécifiques. Les jeunes avec l’apprentissage, les salariés avec notamment le CPF et les formations financées par les entreprises, et enfin les salariés privés d’emploi ainsi que les travailleurs indépendants. Le fléchage des ressources vers chacun des publics sera clairement identifié et responsabilisé pour davantage d’efficacité. Mais au-delà de ces aspects financiers, seront aussi chamboulés les aspects qualitatifs : certification des formations, labellisation des organismes, mise en place de conseillers…
Le calendrier du big bang
Emmanuel Macron a reçu les organisations syndicales les 12 et 13 octobre derniers pour des échanges préparatoires aux réformes de l’apprentissage, de la formation professionnelle p et de l’assurance chômage. Puis Édouard Philippe en a détaillé différents aspects le 25 octobre, après information des partenaires sociaux. Enfin un “document d’orientation” leur a été remis le 6 novembre par Muriel Pénicaud. Avec comme horizon, si tout se passe bien, la signature d’un accord national dans deux mois. Qui se transformera quelques semaines plus tard en un projet de loi soumis au vote au printemps 2018. Voilà pour ce fameux big bang qui doit dynamiter l’existant. Une remise à plat fondamentale. “Il n’y a pas de sujets tabous, tout sera mis sur la table avec les partenaires sociaux, les régions, les chambres consulaires, les praticiens de terrain…”, explique Muriel Pénicaud. Il va donc falloir tailler dans les tuyauteries, parler gros sous, certes, mais évoquer surtout la qualité des formations et leur adaptation aux besoins des salariés comme des entreprises. En conciliant les intérêts des deux, ce qui ne sera pas le dossier le plus facile. D’ailleurs, en dix pages, la feuille de route rédigée par les services du ministre “cadre” très précisément la négociation des partenaires sociaux. Ainsi, elle leur demande de travailler à une refonte du compte personnel de formation (CPF), qui affiche de bien piètres résultats car trop complexe pour être véritablement opérationnel. Il devrait être fusionné avec le congé individuel de formation (CIF) et ne plus être comptabilisé en heures mais dans une autre unité à trouver (en euros ?), pour le rendre moins inégalitaire. De la même façon, le carcan du financement imposé – le fameux 1 % – devrait être repensé, des organismes labellisant les offres de formation seraient créés et une structure – une agence ? – les supervisant évaluerait leur activité. Ce ne sont que quelques pistes, que les partenaires vont explorer au rythme d’une réunion hebdomadaire. Avec un étonnant consensus, ils ont commencé par “détricoter” l’exercice imposé, bousculant les priorités imposées. Afin de “reprendre les choses à leurs mains” selon l’expression d’un syndicaliste. Question de libre interprétation d’une partition imposée. La gouvernance a ainsi été gratifiée de dossier prioritaire, et l’accompagnement par la Conseil en évolution professionnelle (CEP), qui figurait en dernière place des points à traiter, s’est retrouvé propulsé au premier rang. De la même façon, la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), qui figurait de façon quasi-subliminale dans la lettre de cadrage, est placée parmi les priorités. Déjà, des sujets qui fâchent s’invitent aux discussions, comme la fusion CIFCFP contre laquelle la CGT a déjà actionné une pétition. Les interrogations sur le financement du compte personnel de formation, nouvelle clé de voûte du système, risquent aussi de susciter maintes frictions. Il reste jusqu’au 16 février pour trouver un terrain d’entente à ces réformes particulièrement techniques.
Le fléchage des ressources vers chacun des publics sera clairement identifié et responsabilisé pour davantage d’efficacité