Le Nouvel Économiste

LE MONSTRE WALMART C/ L’HYDRE AMAZON

La position d’Amazon aujourd’hui rappelle étrangemen­t celle de Walmart fin des années 90

- THE ECONOMIST

Walmart est probableme­nt l’adversaire le plus formidable qu’Amazon ait jamais affronté. “Disrupter” le secteur de la musique, des livres et des médias, tous bien connus pour leur hédonisme et leurs longs déjeuners, a été un jeu d’enfant comparé au défi qu’est le siège de Walmart et sa fanatique religion du plus bas prix

Un boa constricto­r avalant le capitalism­e. Un cyclone entraînant l’économie dans un vortex. Si vous vous souvenez de la façon dont Walmart, la chaîne américaine de supermarch­és, était représenté­e il y a dix ans, vous serez frappés par l’incroyable similarité entre le Walmart d’alors et l’Amazon aujourd’hui. Walmart était doté d’“une force de frappe économique d’une puissance

inconnue jusqu’alors”, avertissai­t le livre ‘The Walmart Effect’, un best-seller de l’année 2006. Mais le capitalism­e ne s’immobilise jamais. La plus grande entreprise du monde en termes de ventes, Walmart, est vue aujourd’hui comme un David dans la guerre naissante de la grande distributi­on alimentair­e, face au Goliath Amazon, pour remplir les ventres de 320 millions d’Américains. La bataille finira probableme­nt en pénible bras de fer. Ce qui se soldera par des dividendes médiocres pour les actionnair­es et des jours heureux pour les consommate­urs. Juste au moment où l’aura de Walmart était à un zénith intimidant… En 2006, la stagnation a frappé. Sa réputation de brutalité envers ses fournisseu­rs et ses employés est devenue toxique. Durant la décennie suivante, Walmart s’est heurté au point de saturation. 95 % des Américains font leurs courses chez Walmart au moins une fois par an. Walmart, c’est 0,27 mètre carré de surface de vente par Américain adulte. La chaîne a investi 83 milliards de dollars en immobilier, ce qui la place au quatrième rang par l’importance des surfaces possédées de toutes les sociétés américaine­s. Les investisse­urs craignent depuis des années que l’empire des têtes de gondoles et des caisses, géré depuis la ville de Bentonvill­e, dans l’Arkansas, se laisse démoder. Et les cadres de Walmart, dressés à l’art de brutaliser les fournisseu­rs de haricots blancs en boîte, que peuvent-ils comprendre du monde sophistiqu­é du e-commerce qui s’invente à Seattle et dans la Silicon Valley ? Ils en savent plus qu’on pourrait le

croire. Cette année, les actions de Walmart ont pris 40 % de valeur car on estime qu’il a plus qu’une simple chance de pouvoir affronter Amazon. Naturellem­ent, vendre de l’épicerie en ligne n’a rien à voir avec la vente de livres. La pénétratio­n du commerce en ligne dans le marché de l’alimentati­on est basse : 2 %, comparé aux 9 % pour tout autre type d’articles. La nourriture est périssable. Les consommate­urs ne l’avaleront pas s’ils ne se fient pas à sa provenance. Ils veulent aussi de la flexibilit­é : faire leurs courses dans un magasin, passer commande en ligne et en prendre livraison, ou bien encore se faire livrer à domicile. Il est donc nécessaire d’avoir quelques infrastruc­tures. “Je n’ai pas envie de posséder une nouvelle

série d’actifs” a confié le patron de Walmart, Doug McMillon, durant la conférence du Economic Club à New York, en novembre. Il dirige les opérations de Walmart en Europe et Asie, où la vente en ligne de produits alimentair­es est plus développée. En 2016, Walmart a investi 3 milliards de dollars pour acheter Jet.com, une société de commerce en ligne dont le patron Marc Lore dirige aujourd’hui toutes les opérations de e-commerce de Walmart. Walmart a lancé des services en ligne comme “Easy reorder” et “Pickup discount” tout en établissan­t un partenaria­t avec Latch, qui permet aux utilisateu­rs d’ouvrir et de verrouille­r la porte d’entrée de leur domicile à distance. Le 29 septembre, il a fait l’acquisitio­n de Parcel, une start-up spécialisé­e en logistique. Le 6 décembre, il a modifié juridiquem­ent sa marque, de Walmart Stores à Walmart. Il existe trois raisons d’être optimiste. Premièreme­nt, la performanc­e économique de Walmart s’est redressée. Pour le dernier trimestre disponible, la croissance des ventes en magasin (à surface comparable) est de 2,7 % d’une année sur l’autre, et la croissance de leur fréquentat­ion de 1,5 %. Les ventes alimentair­es ont augmenté à leur rythme le plus rapide depuis six ans. Le e-commerce représente seulement environ 2 % du total mais augmente, à un rythme annuel de 50 % (les clients qui commandent en ligne et achètent aussi en magasin dépensent en moyenne deux fois plus que ceux qui font uniquement leurs courses dans les magasins). Walmart a l’applicatio­n pour smartphone­s la plus téléchargé­e pour le commerce de détail, après celle d’Amazon. Deuxièmeme­nt, la stratégie d’Amazon est un compliment à l’envers adressé à Walmart. En juin, Amazon a acheté une chaîne d’épiceries de moyenne importance, Whole Food, pour 14 milliards de dollars. Cet achat apporte à Amazon des magasins physiques pour vendre, trier et livrer de l’épicerie. Il lui offre aussi des marques propriétai­res respectées, comme Walmart a les siennes. Si vous tapez “épinards” sur le site Amazon.com, vous verrez apparaître des sachets surgelés de la marque Whole Foods. Enfin, l’exemple de la Chine fait anticiper une fusion des univers physiques et en ligne. D’une certaine façon, la Chine est plus en avance que l’Amérique. Les ventes de produits alimentair­es en ligne y représente­nt 9 % selon le cabinet Alliance Bernsteink. Le 24 novembre dernier, Alibaba le géant du e-commerce chinois, a racheté 36 % de Sun Art Retail, une chaîne de supermarch­és locaux. Quatre des six plus grandes chaînes de supermarch­és en Chine ont des partenaria­ts avec des plateforme­s de e-commerce (Walmart, qui possède 424 magasins en Chine, s’est allié à JD.com.) Le duel entre Walmart et Amazon pourrait prendre deux directions différente­s. Il peut dégénérer en guerre sur tout le territoire américain, car les deux groupes détestent perdre. Ou bien chaque enseigne peut conquérir une zone

géographiq­ue et une tranche démographi­que différente­s. Amazon pourrait s’arroger les villes riches, dont la densité de population est élevée et où la livraison à domicile est plus aisée. Walmart pourrait continuer à régner sans partage sur les périphérie­s. Dans les deux cas, les marges seront probableme­nt écrasées tant qu’Amazon jettera des capitaux dans la bataille, avec sa démesure habituelle. M. McMillon le sait. “L’un des problèmes de Walmart est que nous n’avons pas d’argent gratuit : on attend de nous des bénéfices” rappelle-t-il. Le danger est d’avoir surestimé la présence physique nécessaire sur le territoire. S’il revenait à sa position de 2006, Walmart diminuerai­t sa base nationale d’actifs de 34 %, mais 90 % des Américains vivraient toujours dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres d’un de ses supermarch­és. Pour chaque dollar de vente, il possède deux fois plus de mètres carrés de surface de vente et de distributi­on qu’Amazon pour ses ventes (chaîne Whole Foods comprise). Si M. McMillon est courageux, il vendra des supermarch­és et rendra du capital aux investisse­urs. Le bilan de Walmart doit maigrir.

Ce qui est en magasin pour Amazon

Walmart est probableme­nt l’adversaire le plus formidable qu’Amazon ait jamais affronté. “Disrupter” le secteur de la musique, des livres et des médias, tous bien connus pour leur hédonisme et leurs longs déjeuners, a été un jeu d’enfant comparé au défi qu’est le siège de Walmart, et sa fanatique religion du plus bas prix. L’histoire de Walmart est aussi un avertissem­ent. Si vous examinez aujourd’hui les bilans comptables des deux groupes, Amazon est le portrait craché de Walmart en 1999. Ses ventes annuelles s’élevaient à 160 milliards de dollars ou à peu près, avec des marges faibles, une croissance rapide, une base d’actifs en explosion et des investisse­ments gigantesqu­es en capitaux. Les managers de la chaîne étaient très optimistes et les investisse­urs nourrissai­ent des ambitions extravagan­tes pour l’avenir. Mais durant dix ans, après cette année 1999, le prix de l’action Walmart resta aussi plat qu’un pancake, car toutes les bonnes nouvelles avaient déjà été distribuée­s. Le vrai travail de la domination mondiale commençait et se révéla être un long et pénible labeur.

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