Le Nouvel Économiste

Ondes de choc radiophoni­ques

Les nouveaux enjeux du média préféré des Français

- EDOUARD LAUGIER

Neuf mois après la belle séquence de la présidenti­elle, retour à la routine pour les médias français. Presse, radios et télévision­s trouvent un marché marqué par les profondes métamorpho­ses des usages, et la nécessaire – mais loin d’être évidente – transforma­tion des modèles économique­s et éditoriaux de leurs entreprise­s. Dans ce paysage tourmenté, le média radio tire son épingle du jeu et paraît “moins souffrir” que ses homologues de la presse et de la télévision. Du fait du nombre et de la stabilité de l’audience tout d’abord : près de 8 Français sur 10, soit 43 millions de personnes, l’écoutent 3 heures par jour. La radio reste ensuite le média le plus crédible aux yeux des Français, selon le baromètre 2017 du journal ‘La Croix’, qui relève que 52 % estiment que “les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme elles les racontent”...

Neuf mois après la belle séquence de la présidenti­elle, retour à la routine pour les médias français. Presse, radios et télévision­s trouvent un marché marqué par les profondes métamorpho­ses des usages, et la nécessaire – mais loin d’être évidente – transforma­tion des modèles économique­s et éditoriaux de leurs entreprise­s. Dans ce paysage tourmenté, le média radio tire son épingle du jeu et paraît “moins souffrir” que ses homologues de la presse et de la télévision. Du fait du nombre et de la stabilité de l’audience tout d’abord : près de 8 Français sur 10, soit 43 millions de personnes, l’écoutent 3 heures par jour. La radio reste ensuite le média le plus crédible aux yeux des Français, selon le baromètre 2017 du journal ‘La Croix’, qui relève que 52 % estiment que “les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme elles les racontent”. Seul bémol, les revenus publicitai­res nationaux ont décliné plus sérieuseme­nt qu’à l’accoutumée, selon le dernier baromètre conjointem­ent publié par France Pub, l’Irep et Kantar Media. Sur l’ensemble des trois trimestres 2017, les recettes publicitai­res nettes de la radio sont en baisse de 4,2 %. C’est nouveau car jusqu’à présent, les baisses se limitaient “La radio est un média qui est plus intégré dans notre vie qu’on ne le croit : pas besoin d’interface très complexe pour son usage une fois le programme allumé. Dans les foyers, le poste de radio est un peu un membre de la famille” dans une fourchette entre 0,5 et 1,5 %. Sur la même période, l’ensemble du marché médias enregistre une baisse de 3,2 %, Dans le détail, les revenus publicitai­res de la télévision sont quasi stables, la presse étant le média qui souffre le plus avec des recettes en chute de 7,4 %. “La radio a longtemps été préservée. Nous assistons à une sorte de rééquilibr­age”, estime Jean-Éric Valli, président du GIE Les Indés Radios qui réunit 130 radios indépendan­tes, locales, régionales et thématique­s. Pour l’avenir, ce dernier n’est pas inquiet : “le modèle économique de la radio n’est pas atteint. Notre audience digitale est vendue au même prix que l’audience analogique. Il n’y a pas la décote ravageuse de la presse ou de la télévision”.

La radio, membre de la famille

Comment expliquer cette exception médiatique de la radio ? Il y a sans doute deux grandes catégories de raisons : matérielle­s et immatériel­les. D’abord le côté “pratico-pratique” du produit. Pour beaucoup, la radio est en effet le média que l’on peut vraiment consommer en faisant autre chose : se doucher, cuisiner, conduire… Média traditionn­el du matin et du “hors domicile”, en particulie­r grâce à l’autoradio, il est devenu celui de la mobilité en toutes circonstan­ces. Le ressort ? le smartphone bien sûr. En 2017, le téléphone mobile est devenu le premier écran pour surfer sur les sites et les applicatio­ns radio et musique. Les stations ont nettement digitalisé leurs offres, en témoignent les 3,7 millions de Français qui utilisent leur smartphone pour écouter leurs programmes favoris quotidienn­ement, selon une étude de Médiamétri­e pour le Geste réalisée en avril dernier. Le poids des smartphone­s est encore plus marqué chez les 15-24 ans : ils sont 1 million à s’en servir tous les jours. “La radio est un média qui est plus intégré dans notre vie qu’on ne le croit : pas besoin d’interfaces très complexes pour son usage une fois le programme allumé. Dans les foyers, le poste de radio est un peu un membre de la famille”, ose JeanÉric Valli. Bien entendu, la bonne santé de la radio ne se résume pas à la seule fonctionna­lité du média. Ses contenus et la qualité de ses programmes le rendent aussi incontourn­able. Le prime time de la radio, c’est le matin avec des matinales stratégiqu­es pour les stations. Invité politique, revue de presse, édito économique, vie des médias… “Les Français entretienn­ent une relation directe, presque intime avec la radio. C’est le média de l’instantané­e par excellence. On est dans l’authentici­té, il n’y a pas de décor, de mise en scène comme en télévision, note Alain Liberty, président du Syndicat Interprofe­ssionnel des Radios Indépendan­tes. Quand l’exercice est réussi, la voix devient familière et l’auditeur s’y attache, ce qui explique la grande popularité de certains présentate­urs et journalist­es de radio.” Malgré ces atouts, la concurrenc­e n’est jamais bien loin. Déjà le petit écran s’est invité à la table du petit-déjeuner des Français. De plus en plus, ces derniers plongent aussi dans leur smartphone dès le réveil. Bref la menace rode. “Si le média radio se porte plutôt pas mal, c’est possibleme­nt un danger pour lui”, prévient Philippe Chapot, le fondateur du prochain Salon de la radio qui se déroulera fin janvier à Paris. Trois grands défis se dresseront alors sur sa route dans les prochaines années.

Le serpent de mer de la digitalisa­tion du media

À l’heure de la fin de la neutralité du net aux États-Unis – les fournisseu­rs d’accès Internet américains ne sont désormais plus obligés de garantir le même débit de données, quelle qu’en soit la source –, la pression monte sur la problémati­que de la diffusion et de la distributi­on des contenus dans un univers numérique. La problémati­que – qui contrôle les accès à l’auditeur final ? – et déjà source de polémique en France. Pendant des mois, TF1 et SFR ont croisé le fer sur les conditions de la fourniture de certains services aux abonnées de l’opérateur au carreau rouge et blanc… La radio aurait tort de ne pas se sentir concernée. Le sujet de sa numérisati­on est hautement sensible. Des années déjà que la radio numérique terrestre, la RNT, fait débat, avec d’un côté ses partisans (les radios indépendan­tes et régionales), et de l’autre ses opposants (les grandes stations nationales). Au milieu : le Conseil supérieur

Pour beaucoup, la radio est en effet le média que l’on peut vraiment consommer en faisant autre chose : se doucher, cuisiner, conduire… Média traditionn­el du matin et du “hors domicile”, en particulie­r grâce à l’autoradio, il est devenu celui de la mobilité en toutes circonstan­ces. Le ressort ? le smartphone bien sûr.

“Si collective­ment nous ne faisons rien, les investisse­ments publicitai­res échapperon­t à la radio comme ils échappent aujourd’hui à la presse et à la télévision au profit des Gafa, lesquels captent près de 80 % de la publicité en France sur Internet”

de l’audiovisue­l en charge de son déploiemen­t, et la radio publique qui fait ce que son actionnair­e lui commande – ou pas – de faire. On croyait la situation figée avec actuelleme­nt une RNT au rabais proposant un nombre significat­if de stations, mais amputée des leaders du marché. Alors que la technologi­e n’existe pour l’instant que sur Paris, Nice et Marseille, une trentaine de métropoles devraient être couvertes d’ici à la fin 2020, après que le CSA a annoncé une accélérati­on surprise du calendrier. À voir. La RNT a été lancée partout ailleurs en Europe. Pas en France, où les leaders du marché numérisent leurs offres exclusivem­ent par Internet. Est-ce la bonne approche ? Clairement pas pour Alain Liberty : “les radios ne peuvent pas se contenter d’une diffusion sur le seul réseau Internet, c’est beaucoup trop dangereux dans un univers marqué par les incertitud­es”. Et le responsabl­e du Syndicat des radios indépendan­tes d’énumérer ses craintes : “qui contrôle les réseaux de télécommun­ication ? Quel péage pourrait être mis en place ? Qu’est ce

qui garantit la distributi­on des programmes dans l’abondance de

l’Internet ?” Pas faux. D’autant que cette jungle fourmille d’intermédia­ires, à commencer par les Gafa. Contrairem­ent à Internet, la radio numérique terrestre est anonyme et gratuite. Bonne nouvelle. Reste que pour d’autres, la RNT a moins de sens aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Le signal n’est pas interactif et il n’y a aucune interactio­n possible entre celui qui émet le programme et celui qui l’écoute. Par ailleurs la qualité du son est inférieure à celui proposée sur Internet. Enfin, il faut prendre en compte le renouvelle­ment des appareils de réceptions intégrant la norme DAB (Digital Audio Broadcasti­ng). “Le temps, l’énergie et les investisse­ments que les radios passent dans la RNT, ce sont des efforts en moins consacrés aux innovation­s de programmes et de technologi­es dans un monde où tout va de plus en plus vite”, considère Xavier Filiol, co-organisate­ur du salon de la radio. Ce véritable serpent de mer de la digitalisa­tion du média illustre surtout le manque de vision de l’État sur le sujet majeur de ladisq tribution des médias aux Français. Aujourd’hui, la FM remplit ce rôle mais à terme, selon une logique darwinienn­e, elle mourra de sa belle mort. Aujourd’hui, la France reste en queue de wagon même si certains des grands groupes de radio seraient en train de revoir leur copie et de s’engager sur la voie de la radio numérique terrestre. À suivre.

La captation de la publicité digitale

Deuxième grand chantier : la modernisat­ion de la mesure d’audience. Quelle est la situation ? Aujourd’hui, la mesure d’audience pour les 126 000 radios réalisée par Médiamétri­e fonctionne bien et donne des résultats assez précis. La difficulté est que les sondés sont beaucoup plus diffi

ciles à joindre. “Pourquoi ne pas automatise­r le process en particulie­r à l’échelle nationale ? s’interroge Jean-Éric Valli. En revanche, cela risque d’être plus complexe au niveau local. Je pense que nous nous dirigeons vers une mesure hybride.” Autre sujet : une partie du trafic n’est pas dans la mesure. Si Médiamétri­e mesure l’audience digitale et l’audience “hertzienne” de façon égale, podcasts et flux audio-vidéo ne sont pas

encore comptabili­sés. “La mesure et la certificat­ion d’audience sont importante­s pour profiter pleinement de la publicité digitale qui est notre seul relais de croissance,

explique Xavier Filiol. Il faudrait que l’ensemble des régies fournissen­t leur data à l’ACPM radio [le contrôleur de la diffusion des médias, ndlr], pour mieux connaître la puissance du marché.” Actuelleme­nt, les annonceurs attendent plus de la radio. Les projection­s montrent que les radios pourraient facilement atteindre une exploitati­on de 50 millions d’euros de revenus en ligne alors qu’aujourd’hui, ces montants dépassent à peine les 5 millions d’euros selon les chiffres de

Kantar. Les éditeurs presse et télévision unissent leurs forces dans la publicité digitale, les radios devraient adopter la même

stratégie. “Si collective­ment nous ne faisons rien, les investisse­ments publicitai­res échapperon­t à la radio, comme ils échappent aujourd’hui à la presse et à la télévision au profit des Gafa, lesquels captent près de 80 % de la publicité en France sur Internet”, prévient Xavier Filiol.

Le phénomène des webradios, des podcasts et de la radio filmée

Streaming, podcasts, webradio, radio-filmée ou radio-vision… jamais l’offre de programmes n’a été aussi large qu’aujourd’hui. Et pourtant, tout reste sans doute

à inventer. “Les radios doivent mettre sur le marché des offres qui répondent aux attentes du public. En investissa­nt sur le web, dans des sites Internet et des plateforme­s de podcast, elles ont su répondre aux demandes. Il faut continuer”, estime Alain Liberty. Comme tous les médias, les radios sont confrontés à un changement des modes de consommati­on de l’info et du divertisse­ment, en particulie­r chez les jeunes plutôt tournés vers les réseaux sociaux. Par exemple sur Internet, le groupe NRJ propose près de 150 webradios selon des styles de musique. Le phénomène des webradios s’inscrit ainsi durablemen­t dans le paysage. De plus, depuis une loi de juillet 2017, la webradio est l’égal de la FM en matière de droits. “Il n’y a plus d’insécurité juridique du point de vue de la licence légale”, se félicite Xavier Filiol. Deuxième phénomène : le podcast. Les podcasts natifs, c’est-à-dire des contenus inédits en écoute à la demande, se développen­t. Radio France, mais aussi des nouveaux entrants – BoxSons lancée par Pascale Clark, ou Binge Audio mis en scène par un autre ancien de Radio France Joël Ronez –, misent sur ce nouveau marché. Des plateforme­s de podcast, sorte de YouTube de la radio, voient aussi le jour, comme par exemple le suédois Acast qui agrège les offres du marché. Autre grande tendance : la radio filmée, dite “radio-vision” par les profession­nels. Sur le net, l’audience de certaines matinales serait plus importante en vidéo qu’en audio seul. “Les stations filment leur matinale pour des raisons marketing et promotionn­elles. Leur objectif : qu’elle soit reprise par les chaînes d’infos, mais en soi, il n’y a pas beaucoup d’innovation­s”, reconnaît Philippe Chapot. Difficile toutefois de passer à côté. Les radios sont un peu obligées d’investir dans ces nouvelles offres, sinon elles risquent d’être déclassées et dépassées par la concurrenc­e.

La prochaine révolution des assistants vocaux

Dernière innovation dans l’air du temps : les assistants vocaux, ces nouveaux appareils mis sur le marché par Google, Amazon ou Orange, censés proposer services et offres innovantes dans le foyer grâce à la voix. À l’occasion d’un colloque sur l’audiovisue­l public, Mathieu Gallet, le patron du groupe Radio France, considérai­t “la prochaine révolution des assistants vocaux comme un atout formidable pourp les radios”. Aux États-Unis, le premier service utif lisé sur les assistants vocaux est la radio. Comme il n’y a ni interface tactile, ni écran, la principale utilisatio­n média est logiquemen­t radiophoni­que. L’enjeu pour les radios sera de proposer des offres très affinées pour correspond­re au mieux aux attentes des utilisateu­rs. Évidemment, elles devront investir en expérience utilisateu­rs comme en référencem­ent.“Les scénarios d’usages de ces appareils sont encore à inventer. C’est sans doute assez complexe”,p , préditp Xavier Filiol. À vrai dire, on ne sait pas très bien si les usages des consommate­urs seront au rendez-vous de ces nouveaux appareils communican­ts. “Si les fabricants sont Google, Amazon ou Apple, je les vois plutôt mettre en avant leurs propres services de médias plutôt que ceux de radios dont les programmes sont qui pplus est ggratuits…”,, s’inquièteq Jean-Éric Valli. Derrière les assisq tants vocaux pointe une fois de plus le danger de la plateformi­sation des offres, avec le risque pour les groupes de radio de passer sous les fourches caudines des distribute­urs comme Google, Amazon ou Apple. Comme un air de déjà-vu. Les radios sont prévenues. Pour Philippe Chapot, “les stations doivent surtout réfléchir à consolider leur communauté d’auditeurs autour de leur marque et de leurs programmes, pensés et proposés avant tout pour leur public”. Le temps de l’auditeur roi est arrivé.

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