Le Nouvel Économiste

L’esprit de la Ve remis en cause ?

La diminution du nombre de parlementa­ires avec une dose de proportion­nelle va accélérer la fin de la bipolarisa­tion, au détriment de l’alternance gauche-droite

- JEAN-MICHEL LAMY

En cherchant à moderniser l’Assemblée nationale, les députés de la majorité LRM (La République en marche) ont ouvert sans le savoir une boîte de Pandore. Au commenceme­nt il y a la volonté de François de Rugy, le président de l’Assemblée, de rendre le travail parlementa­ire plus efficace. Il en a besoin ! Mais à l’arrivée, on pourrait carrément déboucher sur une réorientat­ion de l’esprit de la Ve République...

En cherchant à moderniser l’Assemblée nationale, les députés de la majorité LRM (La République en marche) ont ouvert sans le savoir une boîte de Pandore. Au commenceme­nt il y a la volonté de François de Rugy, le président de l’Assemblée, de rendre le travail parlementa­ire plus efficace. Il en a besoin ! Mais à l’arrivée, on pourrait carrément déboucher sur une réorientat­ion de l’esprit de la Ve République. Car le vrai bouleverse­ment institutio­nnel arrive “d’en haut”. Il vient d’une promesse de campagne du candidat Macron que le président de la République entend tenir, en l’occurrence la diminution “d’environ un tiers du nombre de députés et de sénateurs”. Couplée avec l’injection d’une dose de proportion­nelle, le nouveau système électoral aura un impact immense sur les comporteme­nts de la classe politique. D’aucuns y verront une tentative d’enterrer définitive­ment la bipolarisa­tion qui a fait la gloire des institutio­ns de 1958. C’est le scrutin Le scrutin mixte va faire cohabiter deux catégories de députés dans l’Hémicycle. Pour les 90 députés “à la proportion­nelle”, la sanction par les urnes n’existera plus. C’est un boulevard pour les arrangemen­ts autour d’un noyau central. La tentation sera grande de faire fi des alternance­s pour perpétuer des majorités d’idées ou des majorités “constructi­ves” C’est assurément un moyen pour essayer d’éviter la reconstitu­tion de la bipolarisa­tion gauche-droite. majoritair­e à deux tours qui a coulé dans le marbre l’alternance gauchedroi­te que l’on connaît depuis 1981. Ou plutôt que l’on connaissai­t. La victoire du “en même temps” d’Emmanuel Macron est passée par là. Il y a les grandes proclamati­ons sur une meilleure fabrique de la loi – qui suppose une révision constituti­onnelle. Il y a en même temps le souci de consolider par le mode électoral le groupe central agrégé autour du macronisme. Reprenons chacune des étapes du processus en cours.

Secouer le ‘cocotier’législatif

La majorité LRM a de bonnes raisons de chercher à secouer le “cocotier” législatif. Entre autres, François de Rugy souligne qu’aux dernières législativ­es, pour la première fois de notre histoire, le camp des abstention­nistes était plus nombreux que celui des votants. À ce constat, le président de l’Assemblée nationale ajoute la percée du

vote populiste. “Nous devons apporter la réponse de la démocratie parlementa­ire à cette crise de défiance”, conclut-il. De fait, tout se déroule comme si la chambre des députés était devenue un lieu d’introspect­ion où chacun tourne en rond sans jamais trouver la sortie. Les élus de la nation se demandent à quoi ils servent tant le rituel de la mécanique parlementa­ire étouffe toute initiative. Certes, la machine avale comme avant les projets de loi du gouverneme­nt, mais le moteur législatif semble n’avoir prise sur rien ou presque. Et quand l’opinion publique fait un détour par le Palais-Bourbon, elle entend plutôt les échos de querelles byzantines que les arguments en faveur de tel ou tel projet de loi. La riposte anti-défiance se déploie dans plusieurs directions. Dans une première phase il y a eu la loi de moralisati­on de la vie publique – selon le vocabulair­e du carnet de campagne du candidat Macron. L’interdicti­on de toute embauche d’un membre de sa famille par un parlementa­ire ou un ministre a défrayé la chronique. Tout comme le montant et la vérificati­on des notes de frais. Une affaire de gros sous… La deuxième phase a commencé en septembre avec le lancement par le président de l’Assemblée nationale de sept groupes de travail pluraliste­s chargés de plancher sur la rénovation des procédures législativ­es.

95 propositio­ns de réforme

C’est le 13 décembre dernier que les “sept” ont mis sur la table leurs 95 propositio­ns de réforme. Certaines recueillen­t un assentimen­t général. D’autres suscitent une vraie fronde. Aussi François de Rugy n’a pas manqué de rappeler à tous les opposants que les propositio­ns retenues par les LRM seraient votées à… la majorité. Rompez. Quelques morceaux de bravoure justifient amplement le mouvement engagé. Lors de la séance de présentati­on Jean-Luc Warsmann, UDI, Agir et Indépendan­ts, a ainsi

expliqué : “un symptôme témoigne de la cruauté du diagnostic : celui du nombre d’amendement­s déposés, avec pour corollaire la durée continue des débats. Pour la seule législatur­e 2012-2017, plus de 169 000 amendement­s ont été déposés. Pour celle qui s’est ouverte en juin dernier, c’est bien parti pour dépasser les records”. Ce n’est pas tout. Les dysfonctio­nnements dans la fabrique de la loi se mesurent à la redondance des débats entre commission et Hémicycle ou aux dérives des séances de nuit pour rattraper le temps… perdu. La psychanaly­se de la parole au Palais-Bourbon reste à faire. Parmi les parades avancées, un groupe de travail suggère d’instaurer en parallèle au gouverneme­nt – qui mandate sa propre administra­tion pour légiférer sur un sujet – une mission d’évaluation préalable confiée aux députés. Histoire de gagner du temps. Il n’est pas sûr du tout que l’exécutif retienne ce genre de parallélis­me. Toutefois, un tel dispositif peut être mis en route par voie réglementa­ire.

Rééquilibr­age au bénéfice du législatif et au détriment de l’exécutif

À l’inverse, nombre de préconisat­ions supposent une inscriptio­n dans la Constituti­on. Comme par exemple une modificati­on de l’article 40 pour permettre l’examen d’amendement­s qui créent une dépense à condition qu’ils soient correcteme­nt gagés. Ou encore la fixation d’un délai maximum de six mois pour que le gouverneme­nt publie l’ensemble des textes d’applicatio­n d’une loi. Sinon, le Parlement le ferait à sa place. Un sujetj qqui sera forcément arbitré au sommet de l’État. Où les députés LRM s’aventurent le plus sur le territoire de l’exécutif, c’est en voulant accroître massivemen­t leurs moyens de contrôle et d’évaluation. Pour chaque outil proposé, la révision constituti­onnelle s’impose. Qu’il s’agisse d’étendre les pouvoirs de convocatio­n des rapporteur­s, de renforcer l’assistance de la Cour des comptes, d’ouvrir un droit de tirage sur les services de l’administra­tion, de doter le Parlement d’un droit de suite ou encore de rattacher France Stratégie au pouvoir législatif, et non plus à Matignon. Le nombre d’assistants alloués aux députés est également sur la sellette. Au PalaisBour­bon, c’est en moyenne un peu plus de trois assistants par député, au Capitole pour un sénateur américain c’est douze fois plus. De tels aménagemen­ts relèvent tous d’un rééquilibr­age des pouvoirs au bénéfice du législatif et au détriment de l’exécutif. Ce sera une affaire de longue haleine. Le déclin des assemblées parlementa­ires semble inexorable, et encore plus depuis le quinquenna­t et sa primauté présidenti­elle. Les manuels politiques parlent à ce propos de fait majoritair­e ou de parlementa­risme rationalis­é. Au final, il n’est pas évident du tout que les lignes bougent beaucoup en dépit de la fougue de la jeunesse des députés LRM.

22% de députés à la proportion­nelle

À vrai dire, le plus stratégiqu­e se niche au sein du groupe de travail numéro un consacré au “statut des députés”. Voici le message décisif : 30 % de parlementa­ires en moins et 22 % de députés élus à la proportion­nelle. Après cette opération “arithmétiq­ue”, les députés devraient être 403 au lieu de 577 actuelleme­nt, et les sénateurs 244 au lieu de 348. Par ailleurs, le pourcentag­e de 22 % signifie que 90 députés sur 403 émargeraie­nt sur la liste à la proportion­nelle. Une telle reconfigur­ation recueiller­a facilement une large approbatio­n dans les sondages. Quant aux députés LRM, ils entendent consacrer le budget dégagé à l’augmentati­on du nombre de collaborat­eurs et aux activités de contrôle de l’action publique. A priori tout le monde est content. Alors pourquoi cette affaire est-elle une bombe à retardemen­t pour l’esprit de la Ve République ? Le scrutin mixte va faire cohabiter deux catégories de députés dans l’Hémicycle. Les uns seront les représenta­nts d’un territoire, et les autres seront le reflet de listes concoctées par les partis politiques. Pour les 90 députés “à la proportion­nelle”, la sanction par les urnes n’existera plus. C’est un boulevard pour les arrangemen­ts

autour d’un noyau central. La tentation sera grande de faire fi des alternance­s pour perpétuer des majorités d’idées ou des majorités “constructi­ves”. C’est assurément un moyen pour essayer d’éviter la reconstitu­tion de la bipolarisa­tion gauche-droite. Or c’est l’actuel mode de scrutin qui a donné à Emmanuel Macron une large majorité pour gouverner – c’est ça l’esprit de la Ve. Le pouvoir en place doit accepter de perdre à la prochaine élection sans chercher à perpétuer une majorité par des voies détournées. En Allemagne, les vertus du scrutin mixte montrent leurs limites avec les difficulté­s actuelles pour bâtir une coalition de gouverneme­nt. De leur côté, tous les petits partis et le Front national ont toujours plaidé pour le scrutin proportion­nel au motif qu’ils n’étaient pas suffisamme­nt représenté­s à l’Assemblée nationale. Mais c’est à l’électeur de décider ! Marine Le Pen élue présidente de la République aurait sans aucun doute engrangé beaucoup d’élus. Quant à François Bayrou, personne ne l’a entendu se plaindre des 47 députés MoDem entrés au Palais-Bourbon grâce au scrutin actuel.

Moins de proximité

En revanche, le sens de l’histoire est tel qu’il y a une quasi-unanimité – LR (Les Républicai­ns) compris – pour supprimer d’un trait de plume 174 députés. Cela n’empêche pas Christian Jacob, président du groupe LR, de remarquer que l’augmentati­on mécanique de la taille des circonscri­ptions éloignera le député de ses administré­s. Notamment dans de vastes zones rurales peu peuplées, puisqu’il faudra maintenir un équilibre démographi­que entre les 313 nouvelles circonscri­ptions. Tout aussi mécaniquem­ent, le lien de proximité et de confiance entre le député et le citoyen sera distendu. Ce qui sera un facteur de plus distendant l’attachemen­t de l’électorat à des traditions politiques locales ancrées à gauche ou ancrées à droite. Ce qui sera encore accentué par l’interdicti­on faite au député d’être maire. La recomposit­ion permanente est en marche. Certes, un mode de scrutin ne fait pas une République. Pourtant, les LRM veulent constituti­onnaliser le dispositif à venir en l’intégrant au paquet global de la révision de la Constituti­on. Ce qui n’est pas nécessaire juridiquem­ent, mais qui fait partie des marchandag­es en cours avec le Sénat. Emmanuel Macron doit réunir une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès (réunion à Versailles des députés et des sénateurs) pour faire passer les modificati­ons constituti­onnelles. Il a besoin du Sénat ! Ce qui n’est pas gagné. En cas d’échec, le président de la République pourra toujours recourir à la loi simple pour diminuer le qquota de députés,p, voire au référendum. À l’Élysée on sait faire de la politique.

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