Les thèses discutables de Piketty
C’est l’alourdissement de l’endettement qui explique l’appauvrissement net des administrations, et non pas les privatisations et un supposé investissement public insuffisant
Dans leur dernière publication sur les inégalités dans le monde, Thomas Piketty et ses coauteurs mettent en avant la réduction de la valeur du patrimoine des administrations publiques, nette de leur endettement, en pourcentage du revenu national (le PIB corrigé des flux de revenus avec les autres pays). Cet appauvrissement des administrations, qui résulterait surtout des privatisations et d’un investissement public insuffisant, contraste avec l’augmentation du patrimoine privé et aggraverait les inégalités en limitant la capacité d’action des pouvoirs publics...
Dans leur dernière publication sur les inégalités dans le monde, Thomas Piketty et ses coauteurs mettent en avant la réduction de la valeur du patrimoine des administrations publiques, nette de leur endettement, en pourcentage du revenu national (le PIB corrigé des flux de revenus avec les autres pays). Cet appauvrissement des administrations, qui résulterait surtout des privatisations et d’un investissement public insuffisant, contraste avec l’augmentation du patrimoine privé et aggraverait les inégalités en limitant la capacité d’action des pouvoirs publics. La valeur nette du patrimoine des administrations a baissé parce que leur dette a augmenté de 60 points de PIB sur cette période S’agissant du patrimoine public en France, les comptes nationaux de l’Insee constituent la meilleure source, mais ils ne donnent sa valeur que depuis 1995. Les valeurs retenues par Thomas Piketty depuis 1995 ne sont pas exactement les mêmes – et je ne comprends pas pourquoi – mais leur évolution est semblable. Thomas Piketty divise cette valeur nette du patrimoine public par le revenu national net de la dépréciation annuelle du patrimoine (public et privé), mais la mesure de cette dépréciation est très incertaine. Je préfère diviser la valeur du patrimoine par le PIB, très proche du revenu national brut en France, mais je trouve une évolution de la valeur nette du patrimoine public en pourcentage du PIB proche de celle qui apparaît dans les graphiques de M. Piketty sur 1995-2016.
Une diminution de 20 points depuis 2007
Cette valeur nette a augmenté de 1995 à 2007 puis a fortement baissé de 2007 à 2016, et sur l’ensemble de la période, elle a diminué d’environ 20 points de PIB. M. Piketty ne décompose pas cette diminution, ce qui est ppourtant instructif. La valeur des actifs publics, financiers (participations de l’État dans des entreprises…) et non financiers (ouvrages de génie civil…), a augmenté de 40 points de PIB de 1995 à 2016, malgré les privatisations et le niveau supposé faible de l’investissement public. Le patrimoine des administrations a vu sa valeur augmenter surtout en raison de la hausse des prix de l’immobilier, comme celui des agents privés. La valeur nette du patrimoine des administrations a baissé parce que leur dette a augmenté de 60 points de PIB sur cette période. Si la baisse de la valeur nette du patrimoine public aggrave les inégalités et si on veut les diminuer, il faut surtout très vite réduire la dette publique. Il faut toutefois relativiser le lien entre patrimoine public et inégalités. La très forte hausse des inégalités en Russie au début des années 1990 est une des évolutions les plus frappantes dans les graphiques de Thomas Piketty, et elle est mise en relation avec les privatisations réalisées au cours de ces années. Cependant, la faiblesse des inégalités en Russie avant 1990 est artificielle : les plus riches ne possédaient pas grand-chose puisque la propriété privée était limitée, mais la nomenklatura s’appropriait en réalité de manière très privative une bonne partie du capital public, ce qui ne se voit pas dans ces graphiques. Le site www.fipeco.fr développe les analyses de François Ecalle