Le Nouvel Économiste

SALESFORCE, JUSQU’OÙ?

Le quatrième vendeur de logiciels au monde satisfera-t-il les ambitions toujours plus grandes de son fondateur ?

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Elle domine San Francisco et elle est visible à cinquante kilomètres à la ronde. La nouvelle tour qui sera le siège du géant des logiciels Salesforce culmine à 326 mètres, ce qui en fait le building américain le plus élevé à l’ouest de Chicago. Le 8 janvier, après quatre ans de travaux, les employés ont commencé à y emménager. Ceux qui connaissen­t le fondateur de Salesforce, Marc Benioff, trouvent que les lieux lui ressemblen­t. Le créateur de l’entreprise qui répond aux besoins des commerciau­x est lui aussi un commercial, à l’ambition féroce. Salesforce

M. Benioff est lui aussi un composant clé du produit. C’est un mélange de show man, de gourou du digital, d’activiste politique et de philanthro­pe

devrait atteindre cette année pour la première fois les 10 milliards de dollars de revenus annuels. Il a l’intention de doubler ce chiffre durant les quatre années à venir. Mais ce n’est pas encore suffisant. Dans vingt ans, M. Benioff dit “rêver” de 100 milliards de dollars. Ses ambitions extrêmes peuventell­es se concrétise­r ? Fondé en 1999, Salesforce affiche pour son âge une taille que peu de groupes de tech ont atteint. Sa capitalisa­tion boursière est de 76 milliards de dollars. C’est le plus gros groupe tech de San Francisco (son siège) et le quatrième vendeur de logiciels dans le monde, après Microsoft, Oracle et l’allemand SAP, tous fondés dans les années 1970. M. Benioff était en avance quand il a repéré une opportunit­é dans la vente de logiciels en tant que services (Saas). Les utilisateu­rs peuvent accéder à un logiciel dans le cloud, il n’est pas nécessaire de l’installer sur leur ordinateur de bureau. Cette formule permet aux entreprise­s de ne pas investir dans des logiciels qui ne seront peut-être pas utilisés. Les abonnés payent un abonnement mensuel pour les employés qui les utilisent. Le logiciel de gestion de la relation client, qui aide les entreprise­s à suivre leurs clients et à gérer les prospects, est son produit phare. Mais il propose aussi des outils pour le service client, le marketing, les analyses et le commerce en ligne. M. Benioff est lui aussi un composant clé du produit. C’est un mélange de show man, de gourou du digital, d’activiste politique et de philanthro­pe. Ceux qui le côtoient l’appellent “marc-eting”. Voyant à quel point les sociétés rencontren­t des difficulté­s pour s’adapter aux tendances technologi­ques, il se présente comme une éminence

grise du digital qui voyage dans le monde entier pour conseiller les patrons. Chaque automne, Salesforce dépense 30 millions de dollars (estimation) pour organiser la conférence Dreamforce, qui attire environ 170 000 participan­ts à San Francisco sur des promesses de fêtes et d’intervenan­ts célèbres. Ses talents de vendeur ne séduisent pas tout le monde. Il a souvent pris position publiqueme­nt, sur Twitter notamment, pour les droits des gays et la parité des salaires. “Les dirigeants politiques sont affaiblis, les ppatrons doivent devenir pplus

forts” dit M. Benioff. À ce jour, sa société a fait don de 168 millions de dollars à des oeuvres philanthro­piques. Les clients aiment sentir qu’ils n’achètent pas seulement un logiciel, qu’ils font aussi quelque chose de bien pour le monde, affirme Keith Weiss de Morgan Stanley. Mais on voit à la lecture du formulaire “10-K” des rapports annuels américains que ses actionnair­es considèren­t ses prises de positions politiques comme un risque. Selon d’anciens dirigeants de la société, le goût de M. Benioff pour la politique par tweets mène parfois droit au chaos : c’est ce qui s’est ppassé lorsqu’ilq a annulé des événements prévus dans des États américains qui avaient ratifié des lois anti-gays. Ce n’est pas le seul problème. Gerhard Gschwandtn­er, directeur du magazine profession­nel ‘Selling Power’, le surnomme “marchand

d’espoir” mais met aussi en garde : “Vendre le futur peut détourner l’attention des faiblesses du moment présent”. Environ un quart seulement des ventes pprovient de l’extérieur des États-Unis. L’affaire génère beaucoup de liquidités – environ 2,2 milliards de dollars pour l’année fiscale 2017 – mais sa marge opérationn­elle reste obstinémen­t basse. Des dépenses somptuaire­s en marketing et publicité sont en cause – un total de dix milliards de dollars entre 2015 et 2017. Pour les investisse­urs, les activités de Salesforce continuero­nt à produire beaucoup de liquidités durant son expansion vers de nouveaux logiciels. Mais il existe un risque : les coûts de marketing restent élevés et Salesforce dépense trop dans des deals signés pour générer de la croissance. Ces dernières années, Salesforce s’est diversifié. Des acquisitio­ns comme celle de Demandware, un fournisseu­r de services dans le cloud pour le e-commerce qu’il a acheté cash 2,9 milliards de dollars en 2016, sont des achats raisonnabl­es. Mais d’autres, comme l’agence de médias sociaux Buddy Media, acquis pour environ 750 millions de dollars en 2012, sont considérés comme des erreurs coûteuses. M. Benioff a aussi flirté avec l’idée d’acheter Twitter en 2016 puis a reculé quand ses actionnair­es ont protesté. Ils se sont aussi inquiétés quand Salesforce a fait une offre pour le réseau profession­nel LinkedIn. C’est Microsoft qui l’a acheté, pour 26 milliards de dollars. Pour ce qui est de la croissance organique, Salesforce a investi réellement dans l’intelligen­ce artificiel­le (IA) après Microsoft et d’autres. On attend de l’IA qu’elle rende les logiciels plus intuitifs et utiles. En 2016, il a acheté une start-up spécialisé­e, MetaMind, pour 33 millions. Il utilise les talents dont il dispose grâce à cet achat pour construire une offre d’IA, sous le nom d’Einstein. Einstein doit permettre de personnali­ser les logiciels de Saleforce et de les rendre plus perspicace­s. Certains se demandent cependant comment il peut réduire l’écart avec ses concurrent­s en matière d’IA. Salesforce domine peut-être le secteur des logiciels de gestion des ventes, mais dans les activités plus récentes, comme le commerce en ligne et le marketing, il fait face à une rude concurrenc­e. Google et Amazon ont une longueur d’avance, et des ressources énormes. Les concurrent­s traditionn­els de Saleforce, Oracle, Microsoft et Adobe, ne montrent aucune intention de battre en retraite dans la bataille du logiciel de ventes. LinkedIn donne à Microsoft accès à des données précieuses pour les prospectio­ns commercial­es. Des start-up pourraient aussi battre Saleforce sur les prix ou l’innovation. De fait, tandis que M. Benioff pitche sur des futurs revenus “extra-larges”, certains se demandent s’il restera indépendan­t. Sa capitalisa­tion boursière montre qu’il n’est ni un géant comme Microsoft ou Oracle, ni une startup agile. Il n’est pas facile d’être une société de logiciels de taille moyenne et cotée en bourse face aux géants de la tech. En 2015, Microsoft aurait envisagé d’acheter Salesforce, mais les négociatio­ns ont buté sur le prix. Si une nouvelle offre se présentait, qui est mieux placé que le roi des vendeurs pour boucler l’affaire ?

Salesforce devrait atteindre cette année pour la première fois les 10 milliards de dollars de revenus annuels. Il a l’intention de doubler ce chiffre durant les quatre années à venir. Mais ce n’est pas encore suffisant. Dans vingt ans, M. Benioff dit “rêver” de 100 milliards de dollars.

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