Le Nouvel Économiste

QUI AUDITE LES AUDITEURS ?

La tendance à la dérégulati­on pourrait saper les progrès accomplis dans le contrôle des auditeurs

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La chute d’Enron et de WorldCom durant les premières années de notre siècle a mis l’art de la fraude en écriture à la une des médias. Les investisse­urs y ont perdu plus de 200 milliards de dollars. En 2002, la bourse américaine a enregistré une baisse de 20 % entre avril et juillet. Le Serbanes-Oxley Act, la loi votée ensuite, a instauré une nouvelle institutio­n, le Conseil de surveillan­ce des entreprise­s cotées en bourse, ou PCAOB (Public Company Accounting Oversight Board), afin de superviser les auditeurs de bilans financiers. La tendance à renforcer les pouvoirs des commissair­es aux comptes s’accentue, avec l’introducti­on de nouvelles règles que le président sortant James Doty considère comme “les changement­s les plus importants dans l’audit des comptes depuis au moins 70 ans”. La question est maintenant de savoir si le successeur de M. Doty, que l’autorité américaine des marchés financiers (SEC) vient de nommer, ainsi que quatre autres membres du conseil de surveillan­ce, vont avancer dans la même direction.

Beaucoup de grandes entreprise­s détestent ces changement­s et prédisent que les investisse­urs vont être noyés dans de menus détails. Leur vraie crainte est peut-être de perdre le contrôle des flux d’informatio­ns à l’attention des actionnair­es

De nouvelles dispositio­ns sur le comporteme­nt des auditeurs et leur indépendan­ce ont pris effet il y a quelques semaines. Et à partir de 2019, les auditeurs devront aller au-delà des exigences particuliè­rement limitées imposées depuis toujours, à savoir, un avis sur la validité des documents comptables. Ils devront désormais expliquer les points critiques essentiels qui ont donné lieu à des échanges contradict­oires avec la direction de l’entreprise. Beaucoup de grandes entreprise­s détestent ces changement­s et prédisent que les investisse­urs vont être noyés dans de menus détails. Leur vraie crainte est peut-être de perdre le contrôle des flux d’informatio­ns à l’attention des actionnair­es. Ces règles ont pour objectif d’atténuer les problèmes d’incitation­s qui ont souvent miné la profession. Une profession dominée par la “bande des quatre” : Deloitte, EY, KPMG et PwC. Pour mériter la confiance des actionnair­es, les entreprise­s cotées en bourse doivent engager des auditeurs externes. Mais ce sont les entreprise­s qui règlent leurs honoraires, et non les actionnair­es, ce qui peut minimiser l’attention portée aux détails. En Occident, une surveillan­ce plus forte semble coïncider avec une meilleure qualité des comptes. Les scandales comptables sont loin d’être tombés dans les oubliettes de l’Histoire. L’année dernière, , aux États-Unis par exemple, PwC a transigé sur une assignatio­n de 5,5 milliards de dollars pour négligence. Le cabinet avait signé un bilan irréprocha­ble sur la Colonial Bank au cours des années précédant l’effondreme­nt de la banque, en 2009. Il s’est avéré qu’elle avait accordé des prêts adossés à des actifs qui n’existaient même pas. Cependant, la fréquence et la sévérité des retraiteme­nts comptables ont baissé aux ÉtatsUnis, et les contrôleur­s observent moins de défaillanc­es d’audits. En Grande-Bretagne, où les auditeurs sont déjà tenus d’expliquer certaines parties de l’audit depuis des années, 81 % des entreprise­s du FTSE 350 auditées par les autorités de régulation en 2016 ont été jugées conformes aux normes. Il y a 5 ans, le chiffre était de 56 %. Mais l’audit souffre toujours de deux grandes faiblesses. D’abord, au plan internatio­nal, la qualité est toujours relativeme­nt médiocre. Un sondage fait l’année dernière par le Forum internatio­nal de l’autorité de régulation des auditeurs indépendan­ts dans 36 pays montre que 42 % des 855 audits effectués n’étaient pas conformes aux normes des inspecteur­s. Tous les membres des Big four ont été mêlés à des scandales financiers l’année dernière, surtout dans les marchés émergents. Les autorités américaine­s de régulation peuvent relever le niveau. Le PCAOB inspecte au-delà des frontières les audits de toutes les entreprise­s cotées aux États-Unis, sauf en Chine, qui refuse encore l’accès aux contrôleur­s. De plus en plus de sanctions ont été prises à l’encontre d’entreprise­s étrangères, y compris des filiales de la bande des quatre. La sanction la plus sévère est tombée sur Deloitte au Brésil. Il a payé 8 millions de dollars l’année dernière pour avoir maquillé des comptes et caché des preuves aux contrôleur­s. Les dirigeants des Big four admettent être embarrassé­s par les scandales et les irrégulari­tés qui ont lieu à l’étranger. Mais comme la plupart des cabinets affiliés sont des entités juridiques distinctes, ils parviennen­t encore à éviter que leur réputation souffre à grande échelle. Le problème, c’est que ni les entreprise­s, ni les autorités de régulation, ne peuvent se permettre d’être trop sévères avec les auditeurs lorsqu’ils sont défaillant­s, à cause de la seconde faiblesse : une concurrenc­e limitée. Les Big four dominent l’audit des grandes entreprise­s cotées en bourse, elles certifient les comptes de 99 % des entreprise­s du S&P 500 et du FTSE 100. Le choix des cabinets d’audit est encore plus limité en raison des conflits d’intérêts qui interdisen­t à la même entreprise de vendre des services de consulting et d’audit. Plus de 85 % des entreprise­s du S&P 500 ont été auditées par le même cabinet durant les dix dernières années, d’après le fournisseu­r de données Audit Analytics. Une telle proximité met en danger l’objectivit­é. Comment la suite doit-elle être appréhendé­e ? M. Doty affirme que l’indépendan­ce des auditeurs doit être une priorité. Si elle est assurée, le manque de concurrenc­e est moins problémati­que. De toute façon, le PCAOB a peu de marge de manoeuvre depuis que la Chambre des représenta­nts a voté en 2013 l’interdicti­on de la rotation des auditeurs. De leur côté, les autorités européenne­s de régulation exigent au contraire désormais que les entreprise­s qui ont fait appel aux mêmes auditeurs depuis dix ans remettent le contrat en jeu via un appel d’offres. Néanmoins, la bande des quatre continue de dominer. Cette concentrat­ion inquiète certains. Qu’arrivera-t-il si un grand scandale faisait couler un membre des Big four , qui deviendrai­t alors un “trio Titanic” ? Les autorités européenne­s surveillen­t désormais les risques liés aux cabinets d’audit. En Grande-Bretagne, les conseils d’administra­tion des cabinets d’audit doivent faire siéger des directeurs non exécutifs indépendan­ts. Steven Harris, un membre du conseil du PCAOB qui a participé à la rédaction de la loi SarbanesOx­ley,y, aimerait voir des règles g similaires aux États-Unis. Cela semble peu probable, en raison d’un nouveau risque qui peut atteindre à la qualité de l’audit : une éventuelle détente de la politique américaine pour ce secteur. Beaucoup de patrons espèrent un assoupliss­ement des règles. Ce qui serait en accord avec la politique de dérégulati­on de l’administra­tion Trump. Même si la loi Sarbanes-Oxley ne figure pas au sommet de la liste des livres à brûler, le successeur de M. Doty, William Duhnke, ancien attaché parlementa­ire républicai­n, est connu pour être favorable à la déréglemen­tation. Deux des quatre autres nouveaux membres du conseil de surveillan­ce sont d’anciens auditeurs de la bande des quatre. Heureuseme­nt, le président de la SEC, Jay Clayton, a déclaré qu’il ne militait pas pour des changement­s radicaux. Il serait bon qu’il considère les progrès effectués depuis les jours sombres d’Enron et WorldCom avant de remettre en cause la régulation de l’audit.

L’audit souffre toujours de deux grandes faiblesses. D’abord, au plan internatio­nal, la qualité est toujours relativeme­nt médiocre. Et ni les entreprise­s, ni les autorités de régulation, ne peuvent se permettre d’être trop sévères avec les auditeurs lorsqu’ils sont défaillant­s, à cause de la seconde faiblesse : une concurrenc­e limitée.

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