Le Nouvel Économiste

Le nouveau désordre mondial

La situation géopolitiq­ue reste tendue, bien que l’économie s’améliore

- RICHARD WATERS, FT

Nous sommes arrivés à la fin d’une période économique, celle d’une mondialisa­tion dominée par les pays occidentau­x, mais aussi à la fin d’une séquence géopolitiq­ue: le “moment unipolaire” d’hégémonie américaine qui a suivi la guerre froide. Voici ce que j’avançais il y a presque un an. Il restait à savoir si le monde allait connaître un délitement de l’ordre libéral mis en place par les États-Unis après la Seconde guerre mondiale, menant à une démondiali­sation et une multiplica­tion des conflits, ou si l’on allait assister à une reprise de la coopératio­n. Un an après le début de la présidence de Donald Trump, il est temps revenir sur ce point...

Nous sommes arrivés à la fin d’une période économique, celle d’une mondialisa­tion dominée par les pays occidentau­x, mais aussi à la fin d’une séquence géopolitiq­ue : le “moment unipolaire” d’hégémonie américaine qui a suivi la guerre froide. Voici ce que j’avançais il y a presque un an. Il restait à savoir si le monde allait connaître un délitement de l’ordre libéral mis en pplace ppar les États-Unis après la Seconde guerre mondiale, menant à une démondiali­sation et une multiplica­tion des conflits, ou si l’on allait assister à une reprise de la coopératio­n. Un an après le début de la présidence de Donald Trump, il est temps revenir sur ce point. En un mot, le délitement est encore plus probable. L’expérience a mis en évidence le caractère singulier de la présidence de Donald Trump. Chaque jour, par son comporteme­nt et ses attitudes, il trahit les attentes du monde à l’égard d’un président américain. Mais tout cela était prévisible, qu’il s’agisse de l’utilisatio­n de son mandat à des fins personnell­es, de son indifféren­ce face à la vérité ou de ses attaques contre les institutio­ns de son propre pays. Une démocratie libérale ne survit que si ses parties prenantes reconnaiss­ent la légitimité­g des autres pparties prenantes. Un chef d’État qui demande à ses fonctionna­ires de poursuivre en justice ses anciens opposants est un dictateur en puissance, pas un démocrate. Le caractère est une chose ; les actions en sont une autre. Jusqu’à présent, Donald Trump a principale­ment gouverné en traditionn­el “plouto-populiste” républicai­n, adoptant des mesures favorables à la ploutocrat­ie et développan­t une rhétorique destinée à sa base électorale, composée de citoyens exaspérés. Mais ses singularit­és se manifesten­t notamment dans son attitude constante de mercenaire à l’égard des alliances américaine­s, et dans sa vision étroite et mercantili­ste des échanges commerciau­x. La présidence de Donald Trump a nui à la cause de la démocratie libérale (démocratie qui repose sur la neutralité dans le règne de la loi). Dans les anciens pays communiste­s d’Europe de l’Est, le style de dictature plébiscita­ire (appelé “démocratie illibérale” par euphémisme), caractéris­tique de la Russie de Vladimir Poutine, séduit des admirateur­s et fait des émules. La victoire in extremis de Tayyip Recep Erdogan au référendum sur le pouvoir présidenti­el a poussé la Turquie dans cette direction. Pourtant, le référendum britanniqu­e de 2016 sur le Brexit n’a jusqu’à présent pas fait tache d’huile dans l’UE. En France, Emmanuel Macron a enrayé la vague populiste et xénophobe. Mais les élections allemandes ont affaibli la capacité du pays à répondre au président français, tandis que les prochaines élections italiennes risquent de perturber non seulement l’Italie, mais aussi l’ensemble de la zone euro. Le processus politique le plus important de l’année 2017 s’est peut-être déroulé en Chine. Visiblemen­t, Xi Jinping y a établi sa suprématie sur le Parti communiste,, renforcé la suprématie­p du parti sur l’État et celle de l’État sur le peuple chinois. Parmi les hommes forts du monde, c’est lui qui se distingue comme champion : il est le leader d’une superpuiss­ance montante. 2017 a donc été marquée par l’ascension de l’autocratie. La “récession démocratiq­ue” se poursuit. Pendant ce temps, qu’est-il arrivé en matière de coopératio­n mondiale ? Là aussi, nous avons constaté des évolutions significat­ives, au premier rang desquelles la décision de Donald Trump de se retirer du traité de libreéchan­geg transpacif­ipqque,, dans lequel les alliés des États-Unis, notamment le Japon, avaient tant investi, et de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain. La décision de l’administra­tion Trump de se retirer de l’accord de Paris sur le climat en est une autre. La tentative rhétorique de Xi Jinping de reprendre le flambeau de la mondialisa­tion est allée dans la direction opposée. Dans l’ensemble, les forces opposées à la coopératio­n ont progressé l’année dernière, tout comme les forces opposées à la démocratie. Cela n’a rien de surprenant, dans la mesure où le président du pays le plus puissant du monde considère le conflit comme une norme. Ces évolutions doivent être placées dans le contexte des tendances à plus long terme. D’abord et avant tout, les pays riches d’aujourd’hui, bien qu’encore extrêmemen­t puissants, sont en déclin relatif. Les dépenses militaires de la Chine augmentent fortement ppar rapportpp à celles des États-Unis, bien qu’elles ne représente­nt encore que 2 % du produit intérieur brut. La part des pays riches dans la production mondiale (aux prix du marché) a chuté d’environ 20 % depuis le début du siècle et leur part dans le commerce mondial de marchandis­es a chuté de 17 %.

Voici quelques-unes des conséquenc­es

Avant tout, ces événements politiques ont fracturé l’entité idéologiqu­e cohérente qu’était l’Occident. La coopératio­n étroite entre pays riches était en ggrande ppartie une création américaine : les États-Unis en avaient la volonté et disposaien­t du pouvoir de la mettre en oeuvre. Actuelleme­nt, le centre de ce pouvoir rejette les valeurs qui sous-tendent cette idée et n’en perçoit pas l’intérêt. Cela change presque tout. Deuxièmeme­nt, les idéaux occidentau­x modernes de démocratie et de marchés libéraux mondialisé­s ont perdu de leur prestige et de leur attrait, non seulement dans les pays émergents et les pays en développem­ent, mais également au sein des pays riches euxmêmes. Dans la mesure où aucun système économique alternatif ne se dégage encore, les politiques populistes xénophobes et autoritair­es (qui sont souvent les mêmes) apparaisse­nt comme une alternativ­e de plus en plus séduisante. Troisièmem­ent, la gestion de l’économie mondiale, des biens communs mondiaux (notamment en ce qui concerne le climat) et des questions de sécurité exige une coopératio­n entre les pays riches et les pays émergents, la Chine en tête. L’époque de la domination des pays riches est révolue. Il est extrêmemen­t difficile d’assurer la coopératio­n entre des pays aussi divers. Enfin,, il existe un risqueq réel de conflit entre les États-Unis et la Chine, comme l’affirme Graham Allison, professeur à Harvard, dans son livre ‘Destined for War’. Les optimistes diront (à juste titre) que l’interdépen­dance économique et les armes nucléaires rendent l’idée même de guerre folle. Les pessimiste­s répondront que l’humanité a une énorme capacité de se fourvoyer jusqu’à la catastroph­e. Peut-être que les généraux qui entourent Donald Trump ne parviendro­nt pas à le maîtriser. Ils pourraient même encourager une guerre ruineuse contre la Corée du Nord. Si l’année 2017 a révélé des tensions géopolitiq­ues, elle a également été marquée par une saine reprise économique mondiale. Quel rapport entre ces deux phénomènes ? Ce sera mon sujet de la semaine prochaine.

Parmi les hommes forts du monde, c’est Xi Jinping qui se distingue comme champion : il est le leader d’une superpuiss­ance montante Dans l’ensemble, les forces opposées à la coopératio­n ont progressé l’année dernière, tout comme les forces opposées à la démocratie. Cela n’a rien de surprenant, dans la mesure où le président du pays le plus puissant du monde considère le conflit comme une norme

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