Le Nouvel Économiste

Les avocats et les sociétés interprofe­ssionnelle­s

La loi Macron a bouleversé une profession soumise à une déontologi­e contraigna­nte et attachée à son indépendan­ce. Premiers retours d’expérience sur le vaste et ultradynam­ique marché du droit

- SANDRINE LANA

Ces dernières années, le marché du droit a évolué pour offrir de nouvelles opportunit­és de développem­ent aux “avocats entreprene­urs” souhaitant créer leur activité en phase avec la réalité du marché actuel, soumis à une rude concurrenc­e des autres profession­nels du droit et des legal-techs. S’ils étaient jusqu’ici pris dans l’étau de règles très strictes et tenus à l’écart du marché digital, certains se méfient encore mais tous se félicitent du changement en cours.

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économique­s, dite loi Macron, et ses décrets d’applicatio­n ont changé la donne pour les avocats entreprene­urs. Elles leur ouvrent les portes de l’“interprofe­ssion”, à savoir une alliance possible entre profession­nels – avocats, notaires, huissiers de justice, commissair­epriseur judiciaire, expert-comptable, mandataire, judiciaire, etc. – dans une même structure sur le marché du droit.

“Nous avons la possibilit­é de ne plus avoir une structure profession­nelle unique. Nous allons pouvoir filialiser et travailler à plusieurs”,

commente et créatrice Samya d’Innovo Badouraly, Avocats, avocate spécialisé dans le droit bancaire qui s’est récemment associé à une agence de communicat­ion digitale afin de créer une activité commercial­e en ligne. “Nous avons besoin de nous réinventer alors que la profession tend à se replier sur elle-même et à combattre les évolutions, comme l’émergence des legal techs”, constate de son côté Barbara Bertholet, avocate et associée d’Adamas Avocats, cabinet spécialisé en droit des affaires et droit public à Lyon. “Chez Adamas, nous pratiquons la pluridisci­plinarité depuis longtemps. Nous avons conclu des partenaria­ts avec une étude de notaires notamment.” Le cabinet n’a pas attendu les nouvelles dispositio­ns sur l’interprofe­ssion, et ces partenaria­ts lui permettent d’offrir à un client toujours plus pressé une offre globale dans des domaines spécifique­s grâce à des experts de différents

champs. “Nous nous interrogeo­ns sur un rapprochem­ent avec des expertscom­ptables. Cependant, la question de l’indépendan­ce se pose. Nous sommes la seule profession à garantir la confidenti­alité des échanges. Cela compte pour nos clients.” À l’heure actuelle, seules les profession­s réglementé­es et les confrères peuvent entrer au capital

d’une société d’avocats. L’ouverture du capital des cabinets aux autres profession­nels juridiques ou judiciaire­s, dans la mesure où au moins un avocat est associé, est déjà une autre petite révolution dans le milieu du droit depuis l’ordonnance de 2016 sur les sociétés pluri-profession­nelles. La volonté du gouverneme­nt précédent étant d’encourager “l’investisse­ment pour rendre l’activité plus efficace et rapprocher les profession­s”. La mesure adoptée s’avère à double tranchant pour les avocats. Il s’agit de jongler entre le maintien de son indépendan­ce et la nécessité de se développer pour rester concurrent­iel et/ou à la pointe sur un marché ultra-dynamique. Pour Sophie Amar, fondatrice de Amar Legal, cabinet d’avocates dédié au droit social et aux enjeux RH : “L’ouverture du capital des cabinets est une bonne chose pour ceux qui souhaitent se moderniser, mais la profession doit rester vigilante”.

Assoupliss­ements et zones de flou

La loi de 2016 donne la possibilit­é aux cabinets de choisir une structure commercial­e de droit commun et dès lors d’investir un marché où de nombreux consultant­s non avocats étaient déjà présents depuis le développem­ent du numérique : les legal techs. Samya Badouraly s’en réjouit. Elle a créé deux sites spécialisé­s dans les crédits bancaires et les baux commerciau­x, dont Innovo Avocats, et est présidente de sa SAS. Malgré cela, l’avocate admet qu’un flou existe quant à ce qu’elle peut faire ou non dans le respect des règles de la profession.

“J’ai posé des questions à l’Ordre du barreau de Paris auxquelles j’attends encore les réponses. Par exemple, est-ce que mon cabinet peut être actionnair­e de la SAS ? L’Ordre est de bonne volonté mais les réponses tardent à venir. Il faudrait créer une commission dédiée aux avocats start-uppers.” La communicat­ion très encadrée des avocats pose également problème aux entreprene­urs. En mars 2016, le Conseil national des barreaux (CNB) a tenté de rectifier le tir en publiant un ‘Vade-mecum de la communicat­ion des avocats’ avec la volonté que les cabinets “se [positionne­nt] en leader de la prestation de services juridiques”. Le document est une véritable mine d’or, selon Samya Badouraly, dont le cabinet était le premier à faire de la publicité dans le métro parisien:

“Il répond à 90 % des questions que l’on se pose. J’ai pu m’y rapporter pour savoir comment rédiger mes publicatio­ns sur Facebook ou Linkedin”. Ces deux évolutions représente­nt sans nul doute une plus-value de taille sur le marché numérique du droit, pris d’assaut depuis cinq années par les legal techs organisées en société pluri-profession­nelle (juriste, comptables, développeu­rs

L’ouverture du capital des cabinets aux autres profession­nels juridiques ou judiciaire­s dans la mesure où au moins un avocat est associé est déjà une autre petite révolution dans le milieu du droit depuis 2016

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“L’ouverture du capital des cabinets est une bonne chose pour ceux qui souhaitent se moderniser, mais la profession­doit rester vigilante.” Sophie Amar, Amar Legal.

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