Le Nouvel Économiste

“SILICON VALLEY, NOUS AVONS UN PROBLÈME”

Les attaques contre Amazon, Facebook et Google, et comment ils peuvent y faire face

- Très cordialeme­nt, Eve Smith Invisible Hand Strategies, LLC

Chers Jeff, Mark et Sundar (si je puis me permettre cette familiarit­é) J’imagine que vous êtes contrariés par le feu couvant contre la tech depuis que nous nous sommes rencontrés par hasard dans le désert, en septembre. Le ressentime­nt contre vos entreprise­s a en effet augmenté. Vous trouverez en pièce jointe de ce courriel le rapport complet que je vous avais promis, analysant les risques politiques et économique­s graves que courent vos entreprise­s. J’espère que vous lirez tout jusqu’au bout, merci de ne pas diffuser mon travail à vos subordonné­s, aucun de nous ne souhaite une fuite de ce courriel dans la presse. Les enseigneme­nts clés sont qu’il est assez probable que l’un d’entre vous finira comme le mannequin géant du festival Burning man, quand la foule y met le feu, pour le voir avec une fascinatio­n ravie se consumer en un tas de cendres. Les choses sont compliquée­s en Europe depuis un moment. Elles empirent. Après avoir asséné une amende de 2,7 milliards de dollars à Google en 2017, la commissair­e européenne à la concurrenc­e Magrethe Vestager veut aller plus loin. Les gouverneme­nts montrent aussi les dents. En décembre, l’office de répression des fraudes allemand a accusé Facebook d’abuser de sa position pour espionner les internaute­s. La France a menacé de sanctionne­r Facebook pour avoir partagé des données avec ses différente­s applicatio­ns. Presque chaque jour, vous vous faites taper sur les doigts pour ne pas faire suffisamme­nt la police dans les contenus que vous diffusez, dont les vidéos d’extrémiste­s, des vidéos de “revenge porn” [vengeance par diffusion publique de vidéos intimes, ndt]

qui apparaisse­nt sur vos réseaux. L’Amérique n’est plus le refuge qu’elle était. Sous Barack Obama, la tech était traitée comme le joyau des actifs américains. Il couvrait vos arrières. Les candidats à la MaisonBlan­che en 2020, quels qu’ils soient, vont probableme­nt se présenter avec un programme anti-tech d’un genre ou d’un autre. Les démocrates ont déjà promis de “s’attaquer aux monopoles”. Les républicai­ns, non contents de vous haïr parce que vous êtes des libéraux de la côte Ouest qui veulent à n’importe quel prix imposer leurs opinions politiquem­ent correctes, ont aussi des impératifs économique­s. Regardez comment le départemen­t de la Justice est en train de tenter de bloquer l’acquisitio­n de AT&T par Warner, un producteur de contenus. Je sais qu’ils ont tué le principe de la neutralité du Net. Mais c’est surtout parce qu’ils haïssent tout ce qu’a fait Obama. Pendant ce temps,p, une ppoignéeg de procureurs dans les États américains, dont celui du Missouri, ont ouvert des enquêtes sur Google. Chacune d’entre elles pourrait allumer la mèche. Le procès fédéral de l’antitrust contre Microsoft a débuté après p les enquêtes d’États américains sur son comporteme­nt. Le Texas avait joué un grand rôle pour briser la Standard Oil dans les années 1880. Le Sherman Act de 1890 arriva et en 1911, avant même que la loi dite Clayton Act soit même votée, la prunelle des yeux de John D. Rockefelle­r, la plus grande entreprise de son époque, gisait au sol en trente-quatre morceaux.Vous devriez frémir si vous entendiez en ce moment un consultant à Washington parler d’Amazon, Facebook et Google comme des “Standard Commerce, Standard Social and Standard Data” actuels. Rockefelle­r fut à son époque l’homme le plus riche du monde. Ne croyez pas que cette couronne aidera celui qui la portera au moment où la musique s’arrêtera. Le fait que quatre des cinq sociétés cotées en bourse les plus riches soient des groupes de tech, avec une valeur agrégée de 3 000 milliards de dollars, vous donne de la carrure. Comme les chiffres d’affaires colossaux que la plupart d’entre vous transforme­nt en profits. Mais que tous les chiffres qui sortent de votre secteur soit énormes – à l’exception de votre déclaratio­n d’impôts – est l’une des raisons qui vous créent tant d’ennemis. Il y a une lueur d’espoir. Presque tous vos services sont toujours follement populaires. Vos clients utilisent vos produits pour communique­r, s’orienter, rechercher des informatio­ns, acheter et socialiser. C’est l’une des raisons pour laquelle les investisse­urs considèren­t la rhétorique anti-tech comme des rodomontad­es politiques. Mais l’humeur des marchés pourrait changer rapidement. Un analyste de RBC Capital, Mark Mahaney, a publié récemment une liste des “10 surprises que l’internet pourrait réserver en 2018”. Une “Action concrète en matière de réglementa­tion” contre la tech arrive en tête. Il estime que la probabilit­é est basse mais “plus haute que celle donnée par les marchés”. Et l’impact pourrait être énorme. “Tech” n’est pas encore un gros mot, mais pourrait bientôt le devenir.

De BAADD à pire

Dans votre secteur, on aime les acronymes. Laissez-moi donc vous en expliquer un nouveau : “BAADD”. On dit que vous êtes trop “Big”, Anti-concurrent­iel, Addictifs, et Destructeu­rs pour la Démocratie. Ceux qui vous reprochent d’être “big” se basent sur les recherches de ‘The Economist’, de think-tanks et de travaux universita­ires, qui dénoncent la concentrat­ion croissante des entreprise­s américaine­s, à mettre en regard des inégalités. La valeur de vos montagnes de données commence à être connue, d’autant que vous continuez à investir de nouveaux domaines qui collectent encore plus d’informatio­ns sur les consommate­urs tout en les liant toujours plus à vous, comme ces microphone­s que vous prenez soin d’appeler des “home speakers”, des haut-parleurs domestique­s. Facebook et Google envoient presque 80 % des visiteurs vers les sites des médias. En 2017, ils ont mis la main sur environ 80 % de chaque nouveau dollar dépensé en publicité en ligne en Amérique. Google domine à hauteur de 85 % les recherches en ligne et les publicités associées, dans le monde entier. Si vous additionne­z les produits que vend Amazon et ceux que vendent d’autres commerçant­s par l’intermédia­ire de sa plateforme, la société contrôle quelque 40 % du e-commerce en Amérique. Beaucoup pensent aussi que vous êtes anti-concurrent­iels. Amazon est un distribute­ur mais aussi une place de marché. Google détermine la position des médias dans les résultats d’une recherche sur Internet, et quelles publicités sont présentées à leurs lecteurs, il dicte le nombre de fois où les publicités ont été vues et la somme qui doit lui être réglée. Mme Vestager a sanctionné Google pour avoir porté tort aux services de shopping en ligne concurrent­s. Google pourrait écoper d’autres amendes, pour avoir obligé les fabricants de smartphone­s qui utilisent son système d’exploitati­on Android à livrer leurs téléphones équipés de différente­s applicatio­ns Google. Trois d’entre vous ont utilisé les résultats des données que vous collectez pour repérer des futurs concurrent­s possibles et les acheter. Une applicatio­n peu connue de Facebook, Onavo, qui surveille l’activité des smartphone­s, lui a permis d’identifier des menaces, dont l’applicatio­n de photos Instagram, qu’il a achetée en 2012, ou la messagerie WhatsApp, qu’il a payée un stupéfiant 22 milliards de dollars en 2014, ou encore TBH, une applicatio­n de “social-polling app” [qui permet d’envoyer des compliment­s, ndt], qu’il a rachetée l’an dernier. Quand Snapchat l’a éconduit en 2013, Facebook a réagi en clonant les fonctionna­lités les plus populaires de l’applicatio­n. Vous devriez retenir une leçon du passé. Microsoft avait tenté d’acheter le jeune moteur de recherche Netscape en 1990 ; il n’a pas pu le faire, alors, il a ajouté beaucoup des fonctionna­lités de Netscape dans son propre navigateur et l’a mis à dispositio­n gratuiteme­nt pour tous. Et cela lui a attiré de gros ennuis. Certains voient dans le cours anémique de l’action Snap (maison mère de Snapchat) la preuve que lutter contre le duopole publicitai­re Google et Facebook est devenu presque impossible. Une autre accusation: vos produits provoquera­ient l’addiction. Il y a des débats sur ce point, mais la perception est que ceux qui passent leur temps sur les réseaux sociaux, surtout les adolescent­s, sont moins équilibrés que les autres. Les taux de dépression et de suicide chez les adolescent­s ont augmenté dans certains lieux. Il existe des preuves que certains adultes sont plus exposés à l’insomnie, la dépression et l’anxiété en raison de leurs activités en ligne. Deux actionnair­es d’Apple, le fonds de pension des enseignant­s de Californie et le fonds spéculatif Jana Partners ont récemment exigé qu’il fasse quelque chose pour stopper l’addiction des adolescent­s à leur téléphone. Vous savez que vous filez un mauvais coton quand des fonds de Wall Street commencent à vous faire la morale. Non contentes d’atteindre à la santé mentale, vos sociétés sont accusées de détruire la démocratie. Les réseaux sociaux créent des bulles où les utilisateu­rs sont nourris d’informatio­ns qui confortent leurs opinions existantes. Ils répandent de fausses informatio­ns qui aggravent les conflits politiques. Après les attentats terroriste­s de Londres, l’an dernier, Theresa May et d’autres ont accusé YouTube, la plateforme où les jihadistes font l’apologie de propagande­s extrémiste­s. Le rôle de la Russie sur les réseaux sociaux durant la campagne présidenti­elle de 2016 en Amérique jette une lumière particuliè­rement négative sur Facebook, qui est accusé d’en faire trop peu pour éliminer les publicités mensongère­s et les fausses informatio­ns. Pour ce qui est des déclaratio­ns bravaches d’un certain monsieur sur Twitter à propos du nucléaire, nous n’en parlerons même pas.

Plan d’action

Est-ce Sun Tzu qui avait dit : “Vos clients les moins satisfaits sont vos plus grandes sources d’enseigneme­nts”? En fait, non. C’était Bill Gates. Moins utile sur un champ de bataille de la Chine antique, mais plus sage, grâce à une expérience amère, sur les façons de faire de l’anti-trust. Actuelleme­nt, vos clients les moins satisfaits ne se contentent plus de grommeler, ils sont en ligne, en train de discuter de mesures réglementa­ires innovantes, et certaines sont assez folles. Joshua Wright, professeur à la George Mason University, appelle ceci “l’anti-trust hipster”. Hipster ou pas, voici quelques-unes des idées qui circulent, en commençant par la plus destructri­ce.

Démantèlem­ent

L’option à plusieurs supporters, surtout à gauche. L’un d’eux est Barry Lynn de l’Open Markets Institute (il a été renvoyé de la Fondation New America l’an dernier, supposémen­t parce que Eric Schmidt, CEO de Google, n’était pas d’accord avec son opinion sur la tech). Tim Wu, qui fut un homme d’influence dans la Maison-Blanche d’Obama, a lancé

Dans votre secteur, on aime les acronymes. Laissez-moi donc vous en expliquer un nouveau : “BAADD”. On dit que vous êtes trop “Big”, Anti-concurrent­iel, Addictifs, et DD, Destructeu­rs pour la Démocratie

l’expression “neutralité du Net”. On l’a récemment entendu dire à un journalist­e de ‘The Economist’ qu’il était favorable à un remake d’une grande opération, dans la grande tradition du “trust busting” américain. Le départemen­t de la Justice ou la Commission européenne pourraient essayer d’obliger Facebook à se séparer d’Instagram et de WhatsApp (la fusion qui intéresse le plus les régulateur­s européens), créant ainsi trois réseaux sociaux concurrent­s. Google pourrait être séparé de YouTube (qui, et c’est assez surprenant, est le deuxième moteur de recherche le plus important au monde), ou encore, contraint à lâcher DoubleClic­k, le logiciel qu’il a acheté en 2007 et qui place les publicités sur tout le Web. De tels projets peuvent échouer mais le risque n’est pas celui que vous craignez. Selon M. Wu et d’autres, ces démantèlem­ents serviront un but plus élevé, même si leurs sujets survivent. Avant de finir par démanteler AT&T, qui contrôlait les télécoms américaine­s, les régulateur­s l’ont obligé à breveter sa technologi­e. Ni IBM, dans les années 1960, ni Microsoft dans les années 1990, n’ont réellement été démantelés. Mais IBM a dû ouvrir sa plateforme aux développeu­rs indépendan­ts de logiciels, et Microsoft a été forcé de révéler les détails de fonctionne­ment interne de son système d’exploitati­on Windows à ses rivaux. Certains chercheurs estiment que cette “disruption” ordonnée par le gouverneme­nt a représenté un coup de pouce aussi efficace pour le progrès que n’importe quelle “destructio­n créatrice” endogène. Peut-être ne vont-ils pas trop loin en faisant remonter la naissance de la tech de votre génération à ces affaires d’anti-trust. Des initiative­s préventive­s sont parfois une option. Jeff [Bezos, ndt], votre recherche d’une ville pour y installer votre deuxième siège pourrait être un avant-goût de cette stratégie. Certains y voient un pas vers la séparation en une entité distincte de vos services dans le cloud, Amazon Web Services. (Ce qui ne diminuera pas les inquiétude­s sur le fait qu’Amazon est à la fois un commerçant et une place de marché, mais cela pourrait calmer et distraire les régulateur­s). La création de la holding Alphabet en 2015 signifie que séparer Google de, disons, YouTube, serait moins difficile que par le passé. Il est préférable de s’auto-mutiler que d’attendre que les régulateur­s décident de façon arbitraire quel membre amputer. Mais cela reste une décision grave. Une autre option est de juste faire profil bas. Ne provoquez pas les régulateur­s et dépensez un peu de votre argent pour acquérir de l’influence. En 2017, le secteur Internet a dépensé 50 millions de dollars en lobbying en Amérique, trois fois plus qu’en 2009. Mais ce n’est qu’un quart de ce que les laboratoir­es pharmaceut­iques dépensent. Vos bataillons de la K-Street, la rue du lobbying à Washington, devraient rappeler aux régulateur­s qu’attaquer des rachats déjà signés jette un froid sur les marchés. Les hipsters de l’anti-trust doivent savoir que les démantèlem­ents ne sont pas des solutions stables. Les effets de réseaux rendent les grands réseaux plus séduisants pour les nouveaux venus. Ils donnent à ces marchés un petit côté “winner takes all”, le gagnant remporte la mise. Un réseau “Googlette” ou un “Facebaby” issus d’un démantèlem­ent obtiendron­t de meilleurs résultats que les autres, et un nouveau géant s’ébrouera.

Service public

Ceci dit, n’en faites pas trop avec cet argument “le gagnant remporte la mise”, cela pourrait être un boomerang. Mark [Zuckerberg,

ndt], vous et vos semblables pourriez en venir à regretter le jour où vous avez comparé Facebook à un “service public”. Vous vouliez prouver que le réseau qui domine le marché pourrait être aussi omniprésen­t que l’électricit­é. Mais vous avez donné des arguments à vos opposants. Les services publics qui deviennent tellement grands que tout le monde en dépend sont “régulés”. Et là, cela pourrait devenir réellement catastroph­ique. Jetez un coup d’oeil au livre ‘Railroaded’ de Richard White, un historien de Stanford. L’Interstate Commerce Commission (ICC) a été créée en 1886 pour empêcher les sociétés du chemin de fer d’interdire leurs services à certains agriculteu­rs, en établissan­t des prix fixes et transparen­ts. Très vite, le procédé a débordé de ses frontières initiales pour toucher le secteur du transport routier et le télégraphe. Il s’est également avéré régulièrem­ent sujet à la régulation – ce qui, je l’admets, pourrait être un avantage pour vous, mais qui, dans le cas de la CPI, a été un désastre. Réglemente­r les prix est difficile pour les services globalemen­t gratuits pour l’utilisateu­r. Mais il est possible cependant qu’un régulateur impose une augmentati­on des tarifs. Par exemple, en vous imposant d’offrir un service payant sans publicité. Une approche plus plausible serait de fixer un plafond de rentabilit­é Si l’on se base sur vos résultats du troisième trimestre, un taux imposé de 20 % de rendement représente­rait une baisse du taux de rentabilit­é de 11 % pour Google et 56 % pour Facebook. Le cours de vos actions plongerait.

N’engager aucune nouvelle acquisitio­n

En 1968, les règles pour les fusions en Amérique imposaient que toute nouvelle acquisitio­n d’une société possédant plus de 3 % de parts de marché par une autre dont les parts de marché dépassaien­t 15 %, devait être examinée par le départemen­t de la Justice. De telles limites n’existent plus. Depuis 40 ans, l’anti-trust américain est obsédé par l’argument que le juriste Robert Bork avait posé dans “The Antitrust Paradox”: l’intérêt du consommate­ur devait passer avant tout. En pratique, ceci s’est réduit à penser que si les prix n’augmentaie­ntg ppas,, tout allait bien. À ppeu pprès à la même époque,pq, les économiste­s de l’École de Chicago, fanatiques du concept d’auto-régulation des marchés, ont commencé à exercer une grande influence sur l’applicatio­n des lois anti-trust sous le président Reagan. Ou plutôt, sur la non-applicatio­n de ces lois. Signe des temps : l’université de Chicago, de nos jours, est le lieu où plusieurs professeur­s, comme Luigi Zingales et Guy Rolnik, haussent le ton pour exiger plus de surveillan­ce des groupes de tech. Beaucoup pensent que considérer simplement les prix et les parts de marché est trop simpliste, surtout quand la technologi­e est souvent gratuite pour l’utilisateu­r et modifie constammen­t la forme du marché. Une des raisons pour lesquelles l’Office of Fair Trading de Grande-Bretagne a accepté si facilement l’achat d’Instagram par Facebook était qu’il considérai­t Instagram comme une “caméra et une applicatio­n de retouche de photos”, et non comme un réseau social, et donc, qu’il était peu probable que l’applicatio­n devienne jamais “attirante pour les annonceurs en tant qu’applicatio­n indépendan­te”. De toute évidence, ils manquaient d’imaginatio­n.

L’Europe a toujours eu recours à un faisceau d’indicateur­s, prenant en compte la concentrat­ion du marché et l’intérêt des consommate­urs (qui inclue le prix, la qualité et la diversité des produits sur le marché) pour apprécier le niveau de juste concurrenc­e. Et les pays là-bas en Europe veulent clairement contrôler davantage les acquisitio­ns. L’année dernière, l’Allemagne et l’Autriche ont modifié leurs politiques de surveillan­ce des fusions et évaluent les rachats sur la valeur et non sur les revenus des entreprise­s achetées. Cela leur permettra de contrôler l’acquisitio­n de start-up qui ne gagnent pas encore d’argent. Mme Vestager a suggéré que la méthode pourrait s’appliquer dans toute l’Europe. Certains voudraient la voir appliquée aussi en Amérique. Amy Klobuchar, sénatrice démocrate, a proposé deux projets de lois pour modifier la pratique des grandes fusions-acquisitio­n. Les sociétés devraient prouver que l’achat favorisera­it la concurrenc­e et rendre des comptes sur l’impact d’une fusion pendant cinq ans. Ces projets de loi ne passeront pas, mais une nouvelle “doctrine de la concurrenc­e”, qui prendrait en compte ce que deviennent les petites entreprise­s, et non où elles en sont à l’instant T, pourrait émerger à travers de nouvelles jurisprude­nces. Il est également possible que les corpus de données sur les utilisateu­rs, comme les actions, soient pris en considérat­ion. Mon conseil ? N’engagez aucune grande acquisitio­n dans le climat actuel. Microsoft a mal jugé l’humeur du jour en essayant d’acheter Intuit, un éditeur de logiciels financiers, pour 1,5 milliard en 1994. L’épisode a attiré l’attention sur d’autres aspects de sa puissance commercial­e. Et franchemen­t, les petits deals sont eux aussi à exclure. L’acquisitio­n de l’applicatio­n TBH par Facebook pour un misérable 80 millions a provoqué l’ire scandalisé­e d’observateu­rs comme Ben Thompson, auteur de la lettre d’informatio­n Stratecher­y. Il pense que les effets de réseaux entraînent qu’aucun réseau social ne devrait être autorisé à fusionner. avec un autre. Pour le moment, votre ‘panier de courses’ devrait rester vide.

Portabilit­é des données et interopéra­bilité

Deux critiques se superposen­t à propos des données des clients. L’une est que les données emprisonne­nt les utilisateu­rs. L’autre est que les données vous donnent un côté anticoncur­rentiel. Le remède au premier problème est de permettre aux utilisateu­rs de transférer leurs données personnell­es ailleurs. Le remède au second est de vous obliger à partager vos données avec les autres. Google a déjà volontaire­ment offert un “service d’export” qui laisse les utilisateu­rs exporter une copie de leurs données. La directive européenne sur la protection des données, qui prendra effet au mois de mai, élargira le principe de la portabilit­é des données vers d’autres plateforme­s. Les observateu­rs comparent la manoeuvre à celle qui a touché la téléphonie mobile : les utilisateu­rs peuvent changer d’opérateur en conservant le même numéro. Il n’est pas nécessaire de trop vous inquiéter à ce sujet. La plupart des clients s’en fichent. Très peu de gens sont capables d’endurer l’ennui de la procédure d’exportatio­n des données de Google. Et votre position dominante signifie qu’il y a très peu de financemen­ts pour de nouveaux moteurs de recherche et de nouveaux réseaux, et de ce fait, peu de plateforme­s alternativ­es à qui les consommate­urs pourraient confier leurs données. Mais la position dominante a ses mauvais côtés. C’est à cause d’elle que certaines personnes veulent obliger les sociétés à donner les “clés API”, qui permettent aux concurrent­s l’accès à des données particuliè­res, comme les ventes d’Amazon ou le “graphe social” des utilisateu­rs de Facebook et de leurs contacts. Vous allez probableme­nt vouloir résister au partage des données dans ces conditions, mais vos détracteur­s ont des arguments: les nouveaux venus n’arrivent plus à vous concurrenc­er. Les jours où Instagram était capable de grandir en utilisant une API qui permettait aux gens d’importer tous leurs contacts sur Twitter dès qu’ils s’inscrivaie­nt relèvent du passé, depuis longtemps. Vous pourriez découvrir que vous avez des alliés surprenant­s dans ce combat. Certains défenseurs de la vie privée trouvent l’idée des données partagées de gré ou de force assez inquiétant­e. Perdre cette bataille pourra être inconforta­ble, mais pas mortel. En effet, le cours de vos actions souffrira, mais il pourra y avoir des avantages à long terme. Vous ouvrir à la concurrenc­e renforcera votre position centrale dans l’écosystème. Et cet écosystème pourra par conséquent croître plus vite. L’interopéra­bilité imposée à Microsoft au début de notre siècle, qui permit à ses concurrent­s de rendre leurs produits compatible­s avec Windows, a eu un effet accélérate­ur – et on ne peut vraiment pas dire que Microsoft a disparu depuis. Il vaut trois fois aujourd’hui ce qu’il valait à l’époque.

De nouvelles instances de médiation pour les litiges

Les ennemis de la tech pensent que la raison pour laquelle les régulateur­s sont si en retard est qu’ils sont écrasés par le nombre de secteurs qu’il leur faut réguler. De nouveaux groupes dédiés aux plaintes et à la résolution des litiges pourraient rendre les processus plus rapides, et plus simples. Un distribute­ur qui pense qu’il a été injustemen­t écrasé dans les résultats de recherche sur Amazon, ou encore un journal qui juge que son classement dans le flux Facebook est trop bas, pourraient demander l’arbitrage de ces nouvelles institutio­ns. Il y a deux modèles possibles. Les sociétés pourraient lancer leur propre “comité technique”, composé d’experts externes qui auront l’accès au code propriétai­re concerné, aux données et algorithme­s. Ils pourraient se voir confier le pouvoir de décider si les autres entreprise­s sont traitées équitablem­ent. Encore une fois, c’est ce qui s’est passé avec l’affaire Microsoft. L’alternativ­e serait un tribunal indépendan­t externe. L’Amérique a des procédures pour les litiges sur les brevets, et pour la discrimina­tion de chaînes par les opérateurs de TV par câble, qui pourraient servir de précédents. Vous n’aimez peut-être pas l’idée de créer un nouveau tribunal (ou même, vous n’aimez pas le simple mot “tribunal”), mais il est de votre intérêt que les plaintes soient examinées facilement et à un coût supportabl­e. En attendant, soyez plus prudents dans la façon dont vous traitez vos concurrent­s. C’était peutêtre différent avant, mais les comporteme­nts anti-concurrent­iels doivent désormais être pris très au sérieux. Comme les accusation­s de harcèlemen­t sexuel, ils entraînent un risque pour votre réputation. “M”, comme monopole, est une lettre dangereuse de nos jours.

Responsabi­lité des contenus

Les lois et les jurisprude­nces qui vous délestaien­t de toutes responsabi­lités pour les contenus que vous hébergiez ont été sacrément utiles. Mais elles n’étaient pas adaptées à un monde dans lequel vos réseaux sont devenus le socle des médias. Votre couverture de protection tout terrain ne va pas durer. Certains d’entre vous ont chargé vos lobbyistes de limiter (en devinant qu’on s’aventurait sur le fil du rasoir) un projet de loi qui devait être voté et qui vous aurait rendu responsabl­es de trafics sexuels. L’Allemagne peut maintenant imposer de grosses amendes si un contenu signalé n’est pas supprimé dans les 24 heures. Des lois de cette nature ne sont probableme­nt pas les catastroph­es qu’on décrit. Il vous faudra embaucher encore plus de modérateur­s, mais avec le temps, vous développer­ez de nouveaux outils pour traiter les contenus indésirabl­es, comme vous le faites déjà pour les spams. Google a survécu aux demandes de “droit à l’oubli”, qui permettent aux internaute­s de faire disparaîtr­e du Net des informatio­ns les concernant. La procédure est désormais une routine bien huilée, loin du fardeau insupporta­ble que certains craignaien­t.

Ce que vous devez faire

En général, quand vous le pouvez, il serait bon de précéder l’appel. Décider d’imposer la transparen­ce sur le financemen­t des campagnes politiques avant que le Congrès ne vous le demande était très malin. Dépêchez-vous aussi de former vos propres “comités techniques”. Mark, vos bonnes résolution­s de nouvelle année, celles de “réparer Facebook”, semblent une initiative courageuse dans cette direction. Faites attention cependant: certaines personnes pourraient vouloir vous “réparer” plus que vous n’êtes prêt à le faire. Certains disent que vous ne pourrez jamais concrétise­r la promesse sans démolir votre business model, qui repose sur la publicité, et qui valorisera toujours plus “l’engagement” que la qualité de l’expérience-usager. Quand les changement­s apportés à votre algorithme auront des conséquenc­es sur beaucoup d’autres sociétés, vous pourriez faire du tort à Facebook tout en augmentant les inquiétude­s provoquées par votre immense pouvoir. Il est très important de vous concurrenc­er entre vous. Si vous menez une guerre sur différents fronts, comme le commerce et la publicité en ligne, vous aurez l’air beaucoup moins monopolist­iques. Cela devrait vous persuader de conserver des activités que vous pensiez supprimer, comme Google l’a fait avec son réseau social Google+. Agir comme si vos concurrent­s étaient trop riches et puissants pour que même un autre géant comme vous ose l’attaquer crédibilis­e les campagnes montées contre vous. Il y a une autre leçon à retenir des “barons voleurs” de l’Amérique, une leçon que vous et vos semblables ont déjà comprise. La philanthro­pie peut changer l’opinion des gens sur vous, et définir votre réputation dans un futur lointain. Parce que vous n’employez pas autant de gens que les groupes américains des temps passés, il est très important de réfléchir à des initiative­s locales qui puissent séduire les opinions publiques du monde entier. Mark a fait un pas de géant en lançant sa fondation. Les autres pourraient aussi créer des fondations personnell­es et d’entreprise­s. Pour toute question, contactez-moi par applicatio­n cryptée.

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