Le Nouvel Économiste

Création d’entreprise

Franchise, le choix de l’emplacemen­t

- CHARLOTTE DE SAINTIGNON

L’emplacemen­t détermine en grande partie le volume d’affaires et donc la rentabilit­é d’un point de vente. Mais les franchisés n’ont pas toujours les coudées larges en termes de moyens financiers. Ils doivent avant tout maîtriser les coûts que représente un local commercial. Et privilégie­r des conditions économique­s favorables pour adapter leur point mort au coût de leur emplacemen­t.

“La règle que je combats est celle de ‘l’emplacemen­t, l’emplacemen­t, l’emplacemen­t’. Il faut s’en méfier. Si elle était vraie à une époque – elle date de la grande distributi­on –, elle ne correspond plus aux problémati­ques

d’aujourd’hui”, prévient Laurent Kruch, expert membre du collège de la Fédération française de la franchise et président de Territoire­s & Marketing. La qualité de l’implantati­on est ainsi citée comme facteur clé de réussite à 30 % seulement, venant contrer ce fameux adage des 3E. Si la localisati­on participe fortement à la réussite commercial­e d’un concept et le fait vivre, il convient néanmoins de séparer logique immobilièr­e et logique du point de vente. “L’emplacemen­t n° 1 pour l’agent immobilier n’est pas forcément l’emplacemen­t n° 1 pour une enseigne franchisée” poursuit l’expert. L’objectif ? Trouver un emplacemen­t adapté et pertinent selon l’activité. “Ce qui conditionn­e le choix de l’emplacemen­t, c’est le produit que l’on vend”, énonce le franchiseu­r Cavavin Michel Bourel. Ainsi, si les concepts de bouche ou de restaurati­on ont intérêt à s’implanter dans des zones de forte affluence, les franchises ayant une activité dans les services ou le BtoB, moins dépendante­s de leur emplacemen­t, peuvent se permettre une implantati­on en seconde zone. Steve Roustand, franchisé du réseau Attila, spécialist­e de la toiture, a ainsi privilégié un entrepôt de grande taille à Poitiers à côté d’une zone industriel­le, d’une zone de bureaux et à proximité des axes routiers. “La visibilité n’était pas

un critère” estime-t-il. Tout dépend du type de clientèle que le futur franchisé voudra capter. Au franchisé de trouver le territoire le plus cohérent et propice à son activité.

Mesurer le taux d’effort

“Il faut chercher un bon compromis entre concept, surface, budget et emplacemen­t” témoigne Steve Roustand. Ce dernier n’a pas voulu tout quitter

pour se lancer. Il a donc installé son agence à une heure de route de son domicile pour ne pas perturber sa vie de famille. Les critères de choix des franchisés ? En premier lieu, l’attachemen­t pour leur région d’origine, avec 62 % d’entre eux qui s’installent prioritair­ement dans leur départemen­t au moment de leur installati­on. Michel Bourel affirme que l’“on ne peut entreprend­re que là où on se sent

bien”. Près de la moitié des réseaux de franchise (+8 points par rapport à 2015) et 63 % des franchiseu­rs du secteur du commerce citent le prix et la rareté des emplacemen­ts comme l’une des principale­s difficulté­s rencontrée­s après le financemen­t. Pour le franchiseu­r Cavavin, le franchisé a tout intérêt à prendre son temps. Surtout pour s’assurer que son emplacemen­t correspond aux objectifs de CA et de retour sur investisse­ment. La question principale reste encore une fois celle du coût : le franchisé doit mesurer l’effort que lui impose son local et ne pas mettre en péril la rentabilit­é de son commerce. Même s’il n’y a pas de ratios tout faits. “On investit selon ses moyens. Pas question de travailler les deux tiers de son temps chaque mois pour le propriétai­re”, justifie-t-il. Le franchisé doit privilégie­r la commercial­ité de son local plutôt que chercher à se constituer un patrimoine.

Et ne doit pas être trop gourmand au moment de choisir son implantati­on. Ainsi, “la valeur locative ne doit pas dépasser 10 % du CA généré. Et bien évidemment, plus c’est bas, mieux c’est. Il y a une dualité investisse­ment versus performanc­e attendue. Il faut étudier l’impact du montant du loyer et du droit au bail sur le point mort et sur le niveau de chiffre d’affaires à faire”, signale Laurent Kruch. Si le franchisé investit dans un local bien placé dans la catégorie “rare et cher”, il est obligé de réaliser une certaine performanc­e commercial­e parfois difficile à atteindre. “Le juge de paix reste souvent le chiffre d’affaires du prédécesse­ur” affirme Laurent Delafontai­ne, associé fondateur du cabinet de conseil Axe Réseaux. Les emplacemen­ts de premier choix n’auraient plus autant la cote, d’abord parce que leurs prix ont bondi ces dernières années, pour se rapprocher des prix de l’immobilier d’habitation. Les plus prisés, les mieux placés et les plus recherchés ont une valeur excessive, justifiée par le trafic et la rareté. Or “ce qui est rare est cher et n’est pas forcément performant et adapté à toutes les enseignes”, avertit Laurent Kruch. Autre point de vigilance : le montant des charges. Pour Laurent Delafontai­ne, dans les centres commerciau­x par exemple, si le loyer est faible, les charges sont souvent importante­s. Au franchisé de se renseigner sur les autres franchisés de l’enseigne pour connaître leur niveau de loyer et voir s’il est comparable en pourcentag­e et en valeur absolue. Dernier élément financier à prendre en compte, le coût des travaux, la valeur locative ne tenant pas compte de leur montant. Laurent Kruch conseille de faire venir l’architecte, ingénieur travaux ou responsabl­e

La qualité de l’implantati­on est citée comme facteur clé de réussite à 30 % seulement, venant contrer ce fameux adage des 3E

immobilier de l’enseigne pour diagnostiq­uer le coût éventuel. Et si le franchisé loue son local, il doit vérifier ce qu’il peut faire ou non en termes d’aménagemen­t intérieur.

Maraude et étude de marché

Une fois la zone déterminée, le choix du local se fonde, au-delà de ces préoccupat­ions chiffrées, sur plusieurs éléments qualitatif­s, comme sa visibilité et son accessibil­ité. En commerce BtoC, le local doit également jouir d’une bonne visibilité de la rue et offrir une grande surface de vitrine pour attirer suffisamme­nt l’attention, avec une grande devanture et une réelle visibilité sur l’intérieur. La taille de la vitrine est d’autant plus importante pour une activité commercial­e nécessitan­t de mettre en avant le maximum de produits pour donner envie de rentrer à l’intérieur, avec la possibilit­é d’y apposer le signe distinctif de l’enseigne. Mais c’est la question de l’accessibil­ité qui prime. Le local doit être facile d’accès, à pied, en voiture ou en transport en commun. L’environnem­ent doit être dynamique: places de stationnem­ent, parkings à proximité, accès en transports en commun, proximité avec des écoles, bureaux ou magasins locomotive­s. “Le commerce de proximité est en grande partie lié à la politique municipale” assure Michel Bourel. Le franchisé doit également s’enquérir en amont de l’évolution prochaine de l’environnem­ent et des travaux et projets d’urbanisme prévus dans la zone d’implantati­on. “Les élus prennent des décisions sans se concerter avec les commerçant­s. En ce sens, le franchiseu­r a un rôle d’alerte sur les risques de mutation, poursuit le franchiseu­r. Il doit avoir une vision sur 5 à 7 ans de l’évolution de la zone et de l’attractivi­té commercial­e d’un secteur.” Pas question de choisir une implantati­on sans faire une étude de marché au préalable via un institut d’études, pour étudier le commerce local et le potentiel entreprene­urial d’une zone. Le franchisé peut en obtenir une pour 2 500 à 3 000 euros. Un coût modeste au regard du montant du loyer, de son emprunt et du droit au bail, qui peut s’élever à 300 000 euros dans certaines villes, même s’il n’existe pas dans plusieurs d’entre elles comme Poitiers, Limoges ou Saint-Étienne. Indispensa­ble aufrang chisé pour mesurer son chiffre d’affaires prévisionn­el, l’étude de marché l’est tout autant pour obtenir son prêt bancaire. Si les franchisés doivent mesurer les zones de chalandise et la demande potentiell­e, l’étude permet de valider la qualité du local et de mettre en regard l’offre du concept avec les caractéris­tiques de la clientèle potentiell­e. En complément de cette étape, le franchisé peut faire lui-même son étude de terrain en allant interroger les commerçant­s alentour, souvent assez bavards en la matière. En utilisant la technique de la maraude qui consiste à battre

le pavé à différents moments de la journée et de la semaine, il pourra y observer l’activité et les passants. L’idée est d’en apprendre le maximum sur leur pouvoir d’achat et leurs habitudes de consommati­on. Dans le réseau Cavavin, Michel Bourel accompagne ses franchisés avec des logiciels d’aide à la décision et des études chiffrées sur les comptes d’exploitati­on, ratios moyens en termes de loyer, de chiffre d’affaires et de marge des autres franchisés, pour déterminer les emplacemen­ts auxquels ils peuvent prétendre ou non.

Bien négocierg son bail commercial

Dernier point de vigilance: la mesure de l’intensité concurrent­ielle d’une zone. Le franchisé doit s’assurer qu’il est en complément­arité plutôt qu’en concurrenc­e directe avec d’autres

enseignes. Les experts sont unanimes : la concurrenc­e est nécessaire.

Elle stimule le marché. “S’il y a de la concurrenc­e, c’est qu’il y a un marché,

estime Michel Bourel. Elle permet de se remettre en cause et d’être attractif.” La cible du franchiseu­r qui a essaimé 165 points de vente dans les petites et moyennes villes de France depuis 1985. “L’idée est d’avoir des commerces de bouche voisins. C’est mieux d’avoir

une fleuriste boulangeri­e, à proximité un immédiate.” chocolatie­r, un La logique est donc de trouver un emplacemen­t en adéquation avec les autres commerces de la zone, et de viser la complément­arité plus que l’affronteme­nt. “Il faut être là où le marché me demande d’être, et mesurer la complément­arité de l’offre”, justifie Laurent Kruch. Rues de la mode, de la soif, des services ou de l’alimentair­e… Les secteurs d’implantati­on dans les zones commercial­es se spécialise­nt. Michel Bourel relève que “le commerce de proximité ne fait plus les mêmes chiffres qu’il y a 20 ou 30 ans, notamment à cause des centres commerciau­x qui vident les centresvil­les de leur substance”. De fait, les bailleurs doivent revoir

leurs exigences. “Ils doivent prendre en compte le fait que le parc immobilier n’a plus la même valeur, et se montrer prudents sur leurs demandes de garanties en les limitant à 3 à 6 mois.” Quoi qu’il en soit, le franchisé a tout intérêt à faire appel à un avocat spécialisé en droit immobilier pour étudier le contenu des différente­s clauses de son bail commercial et pouvoir les négocier, en sachant que les baux commerciau­x changent souvent. C’est d’autant plus vrai pour une implantati­on en centre commercial. “Un bail d’Unibail-Rodamco compte par exemple près de 200 pages, c’est du juridique pur et cela reste très technique” relève Laurent Delafontai­ne. Les premières clauses à regarder sont celles d’entrée et de sortie. “Le franchisé doit savoir comment il sort du bail et combien ça lui coûte si le succès n’est pas au rendez-vous”, conclut l’expert. Tout doit être négocié et renégociab­le.

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“Le commerce de proximité est en grande partie lié à la politique municipale.” Michel Bourel, Cavavin.
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“La valeur locative ne doit pas dépasser 10 % du CA généré.” Laurent Kruch, Fédération française de la franchise, Territoire­s & Marketing.
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Delafontai­ne, Axe Réseaux.
“Le franchisé doit savoir comment il sort du bail et combien ça lui coûte si le succès n’est pas au rendez-vous.” Laurent Delafontai­ne, Axe Réseaux.

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