Le Nouvel Économiste

L’homo politicus selon Macron

Remplacer des parlementa­ires à durée indétermin­ée par des élus intermitte­nts revient à renforcer encore davantage le pouvoir exécutif au détriment de la représenta­tion nationale. Est-ce bien l’objectif ?

- JEAN-MICHEL LAMY

La transforma­tion selon Emmanuel Macron vise aussi à changer l’ADN de “l’homo politicus” national. Fini le métier à vie, incarné par un Jacques Chirac, place à l’élu qui se consacre entre deux activités profession­nelles à la fonction de pparlement­aire en mission ppour le “bien commun”. À l’image du président de la République qui entend faire le job en deux mandats de cinq ans. Ensuite, on passe à autre chose. C’est cela la démocratie rénovée selon En Marche...

La transforma­tion selon Emmanuel Macron vise aussi à changer l’ADN de “l’homo politicus” national. Fini le métier à vie, incarné par un Jacques Chirac, place à l’élu qui se consacre entre deux activités profession­nelles à la fonction de parlementa­ire en mission pour

Dans un pays marqué par le déséquilib­re des pouvoirs au détriment des Assemblées, l’affaibliss­ement objectif des parlementa­ires n’est pas souhaitabl­e. C’est ce qui se joue derrière la façade ultra-populaire de la révision constituti­onnelle à venir.

le “bien commun”. À l’image du président de la République qui entend faire le job en deux mandats de cinq ans. Ensuite, on passe à autre chose. C’est cela la démocratie rénovée selon En Marche. Mais pas question de s’arrêter là. La majorité présidenti­elle entend graver ce changement de paradigme dans le marbre constituti­onnel sous la formulatio­n anodine : “interdicti­on du cumul de plus de trois mandats identiques successifs”. L’opinion publique applaudit à tout rompre. Selon Harris Interactiv­e, les Français sont à 93 % favorables à ce précepte. Il était d’ailleurs inscrit en toutes lettres dans le programme électoral du candidat Macron. Comment expliquer alors la bronca des partis politiques représenté­s à l’Assemblée nationale et au Sénat, exceptés La République en Marche et le MoDem de François Bayrou ? Parce que c’est aller contre une symbolique forte. La volonté de sanctuaris­er le CDD (contrat à durée déterminée) pour les élus de la nation heurte de front la liberté de fonctionne­ment du pouvoir législatif. D’une part, les citoyens doivent garder le droit de désigner qui bon leur semble autant de fois qu’ils le souhaitent. D’autre part, la profession­nalisation du personnel politique, qui s’acquiert au fil des mandats, est une garantie de compétence face à un exécutif tout puissant. Dans un pays marqué par le déséquilib­re des pouvoirs au détriment des Assemblées, l’affaibliss­ement objectif des parlementa­ires n’est pas souhaitabl­e. C’est ce qui se joue derrière la façade ultra-populaire de la révision constituti­onnelle à venir.

Les arguments de la majorité

La majorité présidenti­elle a il est vrai de bons arguments à opposer à cette inquiétude. Le changement de monde s’appuie sur le triptyque non-cumul des mandats (déjà en vigueur), diminution du nombre de parlementa­ires, limitation des mandats dans le temps à trois au maximum. L’objectif est de casser la spirale de la défiance des électeurs. À en croirel’enp quête Harris Interactiv­e du 31 janvier pour LCP, c’est en bonne voie. Quasiment trois Français sur quatre (74 %) approuvent ces réformes institutio­nnelles – qui comprennen­t également l’introducti­on d’une dose de proportion­nelle aux législativ­es, la fin du statut de membre de droit du Conseil constituti­onnel pour les anciens présidents de la République, la suppressio­n de la Cour de justice de la République. “Ce sera un renouvelle­ment en profondeur de la vie politique” approuvepp Françoisç Bayrou,y, soutien actif de l’Élysée. La mesure phare de la limitation du mandat dans la durée présente pour ses partisans plusieurs avantages. Le tourniquet peut éviter la corruption en évitant l’incrustati­on clientélis­te dans un périmètre donné. Il peut ouvrir davantage le jeu en direction des candidatur­es féminines. En facilitant le dégagisme, c’est un mode de régulation qui contribue à casser en circonscri­ption les ancrages ancestraux droite-gauche. Pour la vox populi, c’est encore plus clair. Selon Harris Interactiv­e, les Français souhaitera­ient même que les visages de leurs élus soient renouvelés à une fréquence q encore plus élevée. À quatre sur dix, ils se prononcent pour un seul mandat de cinq ans en tout pour les députés !

La ligne rouge de Gérard Larcher

Pour autant, la réforme est loin d’être sur les rails. Parce qu’il y a atteinte à l’égalité de présentati­on à une élection et atteinte à la qualité de citoyen plein et entier, une révision de la Constituti­on est bel et bien nécessaire. Pour ce faire, il faut réunir sur cette dispositio­n une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès de Versailles (réunion conjointe des députés et des sénateurs). Or la majorité du Sénat en fait une ligne rouge. Le message

D’une part, les citoyens doivent garder le droit de désigner qui bon leur semble autant de fois qu’ils le souhaitent. D’autre part, la profession­nalisation du personnel politique, qui s’acquiert au fil des mandats, est une garantie de compétence face à un exécutif tout puissant.

du président Gérard Larcher (LR) à Emmanuel Macron est sans détour : “la limitation dans le temps n’est pas acceptable”. Comment comprendre une telle crispation ontologiqu­e ? Michel Offerlé,, pprofesseu­r à l’ENS (École normale supérieure) de Paris, qui a dirigé l’ouvrage ‘La profession politique XIXe-XXIe siècles, Belin 2017’, confie au ‘nouvel Economiste’ sa vision d’historien : “Il n’est pas dit qu’une loi suffise pour rendre réversible le double processus de profession­nalisation du personnel politique. Double, car un profession­nel peut être quelqu’un qui vit pour et de la politique, qui en a fait son métier et qui a rompu les amarres avec sa profession d’origine. Il renvoie aussi à ces figures nombreuses mais pas majoritair­es d’hommes politiques qui n’ont jamais exercé d’autre métier, tels François Fillon ou Manuel Valls. Ce métier qui ne s’affiche pas comme tel a été, depuis que la démocratie existe, la cible de multiples dénonciati­ons et accusation­s. Le terme péjoratif de ‘politicien’ résume le mépris, voire le dégoût, qu’inspirent à une partie de la population ces entreprene­urs profession­nels en représenta­tion, qui vivraient en vase clos et n’auraient d’autres intérêts que leur réélection et leur propre perpétuati­on. Pour ne rien dire des accusation­s de corruption ou à tout le moins d’un mode de vie en total décalage avec celui de leurs électeurs. La crise actuelle de la représenta­tion politique n’est pas la première du genre, mais elle est très bruyante et spécifique. Elle a donné lieu à de multiples prises de position et mobilisati­ons visant à redonner sens au lien électif et à imaginer d’autres modalités moins pérennes et plus horizontal­es de représenta­tion. Du non-cumul à la limitation dans le temps des mandats, en passant par la démocratie participat­ive ou le tirage au sort.” Michel Offerlé remarque en outre que la future loi pourra certes limiter la durée de la profession­nalisation sur certains postes, mais

ne saurait l’interdire. “Qu’est-ce qui empêchera un maire de grande ville de devenir ensuite député ou sénateur ou ministre ? Pourra-t-on envisager que les collaborat­eurs politiques nationaux ou locaux puissent devenir des élus seulement s’ils ont exercé une autre profession de manière durable ?”, interroget­Et de conclure : “finalement, ce seront les électeurs qui seront les seuls juges. Ils ont entériné pendant de nombreuses décennies le cumul des mandats et la sur-longévité de leur durée”. Alors beaucoup de bruit pour rien ? Salle des Quatre Colonnes, à l’Assemblée nationale, Philippe Vigier, député d’Eure-et-Loir, UDI “constructi­f”, abonde dans ce

sens : “député, c’est une mission ; mais quand on fait le travail de manière très profession­nelle, cela devient un métier. Je ne suis pas sûr qu’il faille arrêter au bout de trois mandats. Regardez l’hypocrisie. Vous êtes trois fois maire, vous allez devenir conseiller départemen­tal, puis régional, puis sénateur… Au bout, il y a toujours l’onction du suffrage universel, n’importe qui est capable de se présenter, pas de se faire élire”. Puis l’ancien porteparol­e du groupe UDI s’emporte. “C’est non à la constituti­onnalisati­on. Ce qu’il faut, c’est renforcer les pouvoirs du Parlement et arrêter de stigmatise­r les députés comme on l’a vu récemment à l’émission Capital sur M6. On ne gagne pas 24 000 euros par mois, c’est un mensonge éhonté”, s’insurge cet élu, médecin biologiste de formation.

La fin du cursus honorum

De son côté, Philippe Gosselin, député LR de la Manche, maître de conférence­s à Sciences Po, met en perspectiv­e pour ‘Le nouvel Economiste’ le paradigme

Macron : “jusqu’à présent, on avait ce qu’on appelle un ‘cursus honorum’, on était maire, conseiller départemen­tal, et puis avec un peu d’expérience on arrivait à convaincre ses concitoyen­s, par ses réalisatio­ns, ses discours, qu’on était à même de devenir député ou sénateur. On s’inscrivait dans une continuité, en tout cas dans de la durée. Le système obligeait de connaître son territoire, de maîtriser ses dossiers, d’avoir une reconnaiss­ance des électeurs”. Même en politique, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Qui osera prétendre qu’un tel parcours, déjà pratiqué sous la IIIe République, n’avait pas ses bons côtés ? Il s’accompagna­it d’une forme d’humanité et de relation à l’électorat que les allers-retours entre vie politique et vie civile des élus du nouveau monde ne permettron­t pas d’expériment­er. “Certains députés LRM (La République en Marche) n’ont pas de permanence en circonscri­ption”, s’indigne André Chassaigne,g, députép PC du Puy-de-Dôme. À quoi bon en effet si l’on s’en tient à une seule législatur­e. C’est à de tels signes que l’on mesure comment une classe politique en chasse une autre.

L’avenir des novices LRM

Tant que l’électeur y consent, bien sûr. La revanche par l’élection taraude tous les “remplacés”. Sans trop tirer de plans sur la comète, les parlementa­ires de tous bords ont relevé qu’aux deux législativ­es partielles du 4 février, les deux LRM ont été éliminés par deux LR localement très présents. La “victoire” d’une société civile dénonçant le vieux monde peut vite tourner court. Ça ne mobilise pas beaucoup. L’universita­ire Michel Offerlé se demande d’ailleurs quel sera le destin des novices macroniens de l’Assemblée. Il recense trois catégories. Les moins dotés en ressources politiques, territoria­les notamment, disparaîtr­ont. Ceux issus du privé et en engagement temporaire, essaieront de retrouver une entreprise. La troisième catégorie, ce sont les néo-députés ayant pris goût à la chose publique et désirant y rester un peu plus longtemps. “Pourquoi pas, si cela marche, deux ou trois mandats et au-delà, en recherchan­t d’autres types de mandats. Rendez-vous en 2032 pour pouvoir appréhende­r ce que les quelque 50 députés qui font actuelleme­nt parler d’eux à l’Assemblée et dans les médias, auront pu et voulu faire de leur(s) carrière(s)”,

analyse Michel Offerlé.

Dans toutes les enceintes parlementa­ires, y compris au Sénat américain, ceux qui comptent sont là depuis dix, quinze, vingt ans ou plus. C’est le genre de profil indispensa­ble à un hémicycle digne de ce nom pour parler d’égal à égal avec des administra­tions qui sont le bras armé du gouverneme­nt. Sinon en France c’est Bercy qui fabrique la loi. En face il faut des pointures “historique­s”.

Le poids de l’expérience face à Bercy

Dans toutes les enceintes parlementa­ires, y compris au Sénat américain, ceux qui comptent sont là depuis dix, quinze, vingt ans ou plus. C’est le genre de profil indispensa­ble à un hémicycle digne de ce nom pour parler d’égal à égal avec des administra­tions qui sont le bras armé du gouverneme­nt. Sinon en France, c’est Bercy qui fabrique la loi. En face, il faut des pointures “historique­s”. Au Palais-Bourbon, le groupe Les Républicai­ns présidé par Christian Jacob, député de Seine-et-Marne, en compte quelques-unes. Tel Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, président puis rapporteur de la Commission des finances lors des deux précédente­s législatur­es. C’est un expert incontourn­able pour la science des amendement­s conformes à la législatio­n. Gilles Carrez a été réélu cinq fois. C’est une grande différence avec la posture de François de Rugy, l’actuel président LRM de l’Assemblée nationale. Réélu deux fois, le député de Loire-Atlantique proclame à tout va qu’il ne se représente­ra pas. Fort bien. Pour être cohérent, encore faudrait-il aménager le retour à la vie profession­nelle des intermitte­nts moins connus de l’Assemblée. Or rien n’est prévu pour ces éventuels mendiants de la République. C’est là où le bât blesse. Elsa Faucillon, députée communiste des Hautsde-Seine, est favorable à la limitation des mandats dans la durée à la condition expresse qu’il y ait un vrai statut de l’élu. Rien ne se dessine pourtant. Salle des Quatre Colonnes, Elsa Faucillon avertit : “Bien entendu qu’il faut redonner du souffle à la démocratie. Mais si c’est pour favoriser les grands partis, seuls en capacité de faire tourner les gens, cela aboutira à réduire la pluralité et à affaiblir le pouvoir législatif”. Pour le moment les “missionnés” selon Macron sont plutôt des CSP plus. La démocratis­ation de la fonction élective reste une idée neuve. Derrière les apparences consensuel­les de la future révision constituti­onnelle, les contradict­ions sont multiples. Les Français voient d’abord dans la réduction du nombre de parlementa­ires (actuelleme­nt 577 députés et 348 sénateurs) une source d’économies, alors que la logique serait plutôt d’utiliser l’argent disponible pour étoffer les moyens d’études et d’investigat­ion des élus. De même, les Français sont largement satisfaits de la disparitio­n du paysage politique de la figure du député-maire, alors que cette double fonction permettait au représenta­nt de la nation de garder un pied sur terre.

Un artifice politique

Dans cette affaire, l’artifice politique prend trop d’espace. Nul besoin par exemple de toucher à la Constituti­on pour diminuer le nombre de députés.p QQuant aux “trois mandats”, l’Élysée pourrait finalement reculer en n’appliquant le principe qu’à ses propres troupes. Tout ça pour ça ? En réalité, la guerre de tranchée avec les opposition­s sert de paravent à une entreprise d’une tout autre ampleur. Emmanuel Macron en a levé un coin du voile devant la Cour des comptes : “la révision constituti­onnelle que j’ai voulu lancer vise à donner au Parlement un rôle accru en matière de contrôle et d’évaluation de l’action gouverneme­ntale”. C’est un fait que les parlementa­ires français sont peu performant­s sur ce registre. Une réorientat­ion en ce sens est parfaiteme­nt louable. Mais attention, elle n’aura sa pleine légitimité que dans le cadre d’un renforceme­nt du pouvoir législatif sur tous les plans – à commencer dans sa mission première qui est le vote de la loi. Ce n’est pas ce que l’on pressent, loin de là. La trilogie moins de députés / moins de députés “implantés” longtemps en territoire / moins de députés technicien­s de la loi, désarme le législatif plutôt qu’il ne le conforte.

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