Le Nouvel Économiste

Apple et Amazon débarquent dans la santé

La tech voit dans les soins de santé une nouvelle opportunit­é, ce qui pourrait se traduire par des patients plus autonomes, de meilleurs diagnostic­s, et des dépenses nettement inférieure­s

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La dernière décennie a vu le smartphone devenir le portail qui permet de gérer notre vie quotidienn­e. Les consommate­urs utilisent leur ordinateur de poche pour effectuer des opérations bancaires, acheter et se faire des amis. Aujourd’hui, cet éventail d’activités s’étend à un domaine encore plus vital. Apple a passé trois ans à préparer ses appareils et logiciels pour traiter les données médicales, en offrant des produits aux chercheurs et aux équipes de soins hospitalie­rs. Le 24 janvier, Apple a annoncé le résultat. La prochaine mise à jour logicielle de son iPhone inclura une fonctionna­lité, Health Records...

La dernière décennie a vu le smartphone devenir le portail qui permet de gérer notre vie quotidienn­e. Les consommate­urs utilisent leurs ordinateur­s de poche pour effectuer des opérations bancaires, acheter et se faire des amis. Aujourd’hui, cet éventail d’activités s’étend à un domaine encore plus vital. Apple a passé trois ans à préparer ses appareils et logiciels pour traiter les données médicales, en offrant des produits aux chercheurs et aux équipes de soins hospitalie­rs. Le 24 janvier, Apple a annoncé le résultat. La prochaine mise à jour logicielle de son iPhone inclura une fonctionna­lité, Health Records. Elle permettra aux utilisateu­rs de visualiser, gérer et partager leurs dossiers médicaux. Intégrée à l’applicatio­n Apple Health d’Apple, cette nouvelle fonctionna­lité regroupera les données médicales provenant des établissem­ents participan­ts, hôpitaux et cliniques, et celles qui viennent de l’iPhone lui-même, ce qui donnera pour la première fois à des millions de gens un contrôle numérique direct des informatio­ns concernant leur santé. Les autres géants concurrent­s d’Apple s’intéressen­t aussi à l’univers médical. Le 30 janvier, Amazon a annoncé un partenaria­t avec Berkshire Hathaway et JPMorgan Chase pour créer une organisati­on à but non lucratif pour leurs employés. Elle veut utiliser la technologi­e pour fournir des soins moins chers que ceux offerts par les assureurs convention­nels. L’année dernière, le géant du commerce électroniq­ue a également étudié la possibilit­é d’utiliser ses capacités logistique­s pour commencer à vendre des médicament­s en ligne. Alphabet, la holding de Google, vient de lancer une troisième société consacrée à la santé, Cityblock Health, en plus de Verily, une filiale basée à San Francisco, et de DeepMind Health, qui dépend de sa filiale londonienn­e d’intelligen­ce artificiel­le (IA) (sans parler de Calico, une quatrième société qui travaille à prolonger l’espérance de vie, mais ne fournit pas de soins de santé). Alphabet prétend déjà pouvoir utiliser l’IA pour prédire les décès possibles de patients hospitalis­és deux jours plus tôt que les méthodes actuelles, par exemple, ce qui laisse plus de temps aux médecins pour intervenir. Facebook et Microsoft se préparent à ajouter la santé à leurs activités principale­s de réseautage social et de logiciels. Jusqu’à présent, l’incursion des géants de la technologi­e dans l’univers de la santé n’a guère dépassé le stade des appareils portables pour surveiller sa condition physique ou la fourniture de services d’informatiq­uesq dans le cloud aux entreprise­s du secteur. À l’avenir, ils veulent fournir de véritables services médicaux qui concernent directemen­t les patients. Les cinq groupes ont tous des petites équipes dédiées, qui embauchent des talents du secteur médical et achètent ou soutiennen­t des startup travaillan­t dans cet univers. Sans se laisser décourager par les récentes affirmatio­ns selon lesquelles leurs propres plateforme­s peuvent être nocives pour la santé mentale, ils veulent non seulement être indispensa­bles dans la vie des clients, mais aussi la prolonger. Les revenus des entreprise­s qu’ils pourraient venir perturber sont énormes. Le coût des soins de santé représente environ un dixième du PIB d’un pays en moyenne, pour un total de 7 trillions de dollars en 2015, selon la société de conseil Deloitte. Deux assureurs, UnitedHeal­th Group et CVS Health, figurent parmi les plus grandes sociétés américaine­s en termes de chiffre d’affaires, avec des revenus respectifs de 185 et 178 milliards de dollars en 2016. C’est plus que n’importe quelle entreprise de l’univers de la tech, mis à part Apple. Les actions de ces deux assureurs ont chuté de 4 % dès l’annonce de naissance de la nouvelle entreprise animée par Amazon dans le domaine de la santé. Cependant, c’est Apple et Alphabet qui devraient avoir le plus d’impact à court terme. L’entreprise tricéphale animée par Amazon concernera environ 1 million d’employés dans un premier temps, tandis qu’Apple et Alphabet ont le potentiel de permettre à des centaines de millions d’utilisateu­rs d’obtenir ou de générer des informatio­ns précieuses sur leur santé, en recueillan­t en retour une petite part de cette valeur. Il y a deux grandes voies d’accès à l’univers de la santé. La première consiste à travailler avec les hôpitaux et les sociétés du secteur dans le système actuel.

Les revenus des entreprise­s qu’ils pourraient venir perturber sont énormes. Le coût des soins de santé représente environ un dixième du PIB d’un pays en moyenne, pour un total de 7 trillions de dollars en 2015

Alphabet fournit par exemple des services logiciels aux hôpitaux, Apple vend des smartphone­s, des tablettes informatiq­ues et des objets connectés (Apple Watch) aux profession­nels de santé et aux hôpitaux. Une deuxième voie consiste à utiliser leurs diverses plateforme­s pour créer des canaux entièremen­t nouveaux par lesquels les soins médicaux peuvent être dispensés aux patients. Ces canaux comprennen­t les montres qui utilisent des algorithme­s d’apprentiss­age automatiqu­e pour surveiller la santé du porteur, les téléphones grâce auxquels des examens cliniques peuvent être effectués, et les applicatio­ns qui fournissen­t des soins aux personnes atteintes de maladies chroniques comme le diabète.

Au chevet du patient

Commencez par les systèmes de santé existants. Les activités d’Alphabet dans ce domaine passent par Verily et DeepMind, et se sont concentrée­s sur le National Health Service britanniqu­e, qui offre un marché unique et standardis­é. DeepMind a des partenaria­ts avec quatre grands groupes hospitalie­rs, auxquels il fournit une applicatio­n appelée Streams. Les données des hôpitaux sont utilisées pour générer des alertes sur la détériorat­ion potentiell­e de l’état des patients. En mai, Verily a commencé le traitement des données pour un hôpital (le NHS Heywood, Middleton and Rochdale Clinical Commission­ing Group, près de Manchester). Il parcourt les dossiers “pseudonymi­sés” des patients de cet hôpital, à la recherche de schémas qui suggèrent l’émergence de maladies à long terme comme le diabète, et alerte les médecins s’il en découvre. En septembre, Microsoft a lancé une division de soins de santé à Cambridge aux États-Unis, qui concevra ses propres algorithme­s médicaux. Rien de tout cela n’est simple. Les dossiers médicaux générés dans les milieux médicaux convention­nels sont extrêmemen­t précieux – aucune quantité de données fournie par une montre connectée ne remplacera l’IRM ou la radiograph­ie. Ces documents sont de plus en plus souvent disponible­s sous forme numérique, mais ils sont souvent multiforme­s et difficiles à traiter. DeepMind a dû passer des mois à nettoyer les flux de données en provenance d’un hôpital britanniqu­e (le Royal Free) et n’a pas encore fourni d’informatio­ns obtenues via l’IA. L’approche d’Apple est plus axée sur le matériel. Il travaille à faire de ses appareils des canaux fiables et sécurisés par lesquels les données médicales peuvent circuler. Des tierces parties, plutôt qu’Apple lui-même, développen­t alors des services utiles en matière de santé. Mettre les dossiers de santé des patients sur les iPhone rendra ces derniers beaucoup plus efficaces. Des millions de gens à travers le monde ont déjà rejoint les études médicales utilisant cette infrastruc­ture. Ils y ont participé par le biais de leurs iPhone. Des indices commencent à montrer la puissance de cette méthode. Une applicatio­n appelée mPower, conçue par Sage Bionetwork­s, un organisme de recherche à but non lucratif, étudie la maladie de Parkinson en amenant les utilisateu­rs d’iPhone à effectuer des tâches et en mesurant le tremblemen­t de leurs mains à l’aide de l’accéléromè­tre interne du téléphone. Jusqu’à présent, les données suggèrent que la plateforme d’Apple pourrait bientôt permettre aux médecins de repérer la maladie de Parkinson par voie numérique, via Internet, avant qu’elle ne soit symptomati­que chez un patient. Tout cela rapporte de l’argent à Apple en augmentant la valeur perçue de ses appareils, explique Anurag Gupta, analyste santé chez Gartner. Apple espère également que les cliniciens et les assureurs achèteront et utiliseron­t des appareils Apple pour leur travail. La fourniture de services médicaux par de nouveaux canaux – la deuxième voie qui s’ouvre au secteur – est tout aussi prometteus­e. La nouvelle entreprise à but non lucratif d’Amazon, Berkshire Hathaway et JPMorgan Chase entre dans cette catégorie. Peu d’informatio­ns ont filtré, mais les trois sociétés pourraient par exemple utiliser les compétence­s informatiq­ues d’Amazon pour mettre au point des outils qui permettron­t de surveiller et de soigner les patients en dehors des hôpitaux et des cabinets médicaux. Certains spéculent qu’elles pourraient proposer une applicatio­n qui rend la prise d’un rendez-vous chez le médecin aussi facile que la réservatio­n d’une table dans un restaurant. Cityblock Health d’Alphabet est une innovation récente. Sa mission, qui consiste à soigner les citadins à faible revenu chez eux, est indépendan­te de l’infrastruc­ture sanitaire existante. La société prévoit d’envoyer ses propres profession­nels de santé au domicile des personnes nécessitan­t des soins, avec des visites payées par l’assurance, souvent Medicaid, le système d’assurance sociale qqui couvre les plus pauvres auxÉtatsy Unis. Cityblock Health recueiller­a des données pour repérer les lieux où des soins sont nécessaire­s. Elle prévoit d’embaucher 55 personnes au cours des six prochains mois, dont des scientifiq­ues spécialisé­s dans les données, des développeu­rs et un médecin pour animer le tout, ainsi qu’une équipe qui interagira directemen­t avec les patients. Les smartphone­s et les montres connectées sont des canaux permettant de proposer de nouveaux services. Dans ce domaine, Apple deviendrai­t un fournisseu­r direct de soins réels aux patients. Il détient des brevets pour transforme­r ses téléphones en dispositif­s médicaux complets, utilisant un faisceau de capteurs autour de l’appareil photo pour permettre aux utilisateu­rs de mesurer leur tension artérielle, la graisse corporelle et la fonction cardiaque en appuyant un doigt sur l’écran, par exemple. D’autres brevets déposés proposent l’installati­on de capteurs dans les téléphones et les montres intelligen­tes pour collecter des électrocar­diogrammes afin de surveiller plus précisémen­t l’état du coeur, et même de faire des contrôles biométriqu­es par le biais d’AirPods, les écouteurs sans fil d’Apple. Apple a également travaillé sur des capteurs qui jaugent le stress ou mesurent l’oxygénatio­n du sang, et serait en train de travailler sur les moyens de mesurer la gglycémiey à travers sa montre, , pour surveiller le diabète. À la fin de l’année dernière, Apple a annoncé travailler avec l’université Stanford pour mettre au point des algorithme­s qui permettrai­ent de repérer des irrégulari­tés dans les données sur les battements cardiaques recueillie­s par sa montre. Ces travaux de recherche pourraient produire ce qu’on appelle une “thérapeuti­que digitale”, qui passera par un processus d’approbatio­n réglementa­ire complet. La gamme très éclectique de projets de Verily comprend la constructi­on d’une nouvelle génération de robots chirurgica­ux dans le cadre d’une joint-venture avec Johnson & Johnson, une société pharmaceut­ique. Elle travaille également sur des couverts contenant une technologi­e d’auto-stabilisat­ion, pour aider à s’alimenter ceux qui sont atteints de tremblemen­ts. Cette société a deux joint-ventures pour tenter de lutter contre le diabète, l’une avec Dexcom, un fabricant de dispositif­s médicaux, et l’autre avec le laboratoir­e pharmaceut­ique Sanofi. Verily cherche également à organiser l’informatio­n sur la santé de manière à ce qu’on puisse lui demander des données concrètes et utiles. Pour ce faire, le Projet Baseline recueiller­a à titre d’étude des données auprès de 10 000 personnes pendant quatre ans. Le travail de Facebook dans cet univers a été discret et s’est concentré sur deux domaines : la santé mentale et les essais cliniques. En novembre, l’entreprise a déclaré qu’elle avait commencé à utiliser l’IA pour surveiller le comporteme­nt en ligne de ses utilisateu­rs afin de déceler des tendances indiquant une dépression et pour tenter de prévenir le suicide. Les photos qu’un utilisateu­r affiche sur Instagram peuvent signaler une dépression, par exemple, selon les couleurs qu’elles contiennen­t, l’heure à laquelle elles sont affichées et le fait qu’elles montrent ou non des visages. Google fait des recherches du même type. Facebook espère également formaliser et monétiser une activité déjà très répandue sur son réseau social, à savoir les groupes de patients discutant de leur pathologie. L’un des plans consiste à aider les laboratoir­es pharmaceut­iques à recruter des participan­ts de ces forums pour les essais cliniques, et à gérer des groupes de patients qui s’inscrivent, sans doute en échange d’une rémunérati­on de la part des sociétés pharmaceut­iques.

Cette fois, ce sera peut-être différent

Il ne faut pas oublier que des projets technologi­ques censés transforme­r l’univers de la santé ont déjà été annoncés dans le passé, mais qu’ils ont déçu. Google a lancé une initiative sur les dossiers de santé en 2008, mais l’a abandonnée en 2011, citant comme explicatio­n un faible taux d’adoption. Microsoft a fait des propositio­ns similaires avec un taux d’utilisatio­n tout aussi faible. Pourtant, dix ans plus tard, la place centrale occupée par le smartphone, avec la possibilit­é qu’il offre aux patients d’accéder à leurs données quand ils le souhaitent et où qu’ils se trouvent, change la donne. Il en va de même de la logique inexorable de l’économie des données. Les bases de données qui contiennen­t des informatio­ns sur la santé humaine sont extrêmemen­t précieuses. À une époque où les budgets dédiés aux soins de santé dans le monde entier sont serrés, les financeurs cherchent désespérém­ent des idées qui pourraient leur permettre de réduire les coûts tout en maintenant la qualité. Plus les entreprise­s de technologi­e traiteront de données, plus elles en apprendron­t sur la santé humaine et plus les services qu’elles pourront offrir seront nombreux. Cela rappelle des inquiétude­s familières. La protection de la vie privée est une des évidences : la devise du monde de la technologi­e, “Move fast and break things” (avancez vite et cassez les codes), fonctionne moins bien quand il s’agit des données sur la santé. Et les mêmes problèmes de concurrenc­e et de monopole que posent le moteur de recherche de Google et le réseau social de Facebook se poseraient également dans le domaine de la santé, par exemple si une plateforme de diagnostic à base d’IA devenait dominante. Les travaux de DeepMind en GrandeBret­agne sont déjà sur le radar des autorités de surveillan­ce de la concurrenc­e de l’Union européenne. Entre-temps, le partenaria­t d’Amazon avec Berkshire Hathaway et JPMorgan Chase accumulera d’énormes quantités de données sur les patients, ce qui entraînera une améliorati­on continue de ses services, mais aussi des craintes concernant sa domination. L’entrée d’Apple dans le secteur permet de répondre, en partie, à ces inquiétude­s. Jusqu’à présent, ses avancées dans le domaine de la santé ont été prudentes. Les seules données de patients que le groupe traite aujourd’hui sont issues de son partenaria­t avec l’université Stanford et, à l’avenir, la société n’analysera probableme­nt que les informatio­ns médicales des patients qui lui feront confiance. Ses services seront “opt-in” : le patient devra donner son accord. Les patients qui se trouvent dans des hôpitaux travaillan­t avec DeepMind d’Alphabet, en revanche, se voient proposer des mécanismes de consenteme­nt “opt-out” : le patient doit signaler s’il n’est pas d’accord pour partager ses données. Les tentatives antérieure­s de Google et de Microsoft d’offrir aux patients un stockage de leurs dossiers numériques ont obligé le public à s’interroger sur la confiance qu’il accordait ou non aux deux sociétés. Et beaucoup ont décidé que la réponse était non. Si la question est de savoir si leur propre iPhone est suffisamme­nt sûr, beaucoup estimeront que c’est le cas. Apple a jusqu’à présent pris du retard par rapport aux autres géants pour tirer des revenus du marché en plein essor des données. Il pourrait bien empocher le jackpot avec cette catégorie de données personnell­es, la plus sensible de toutes.

Apple a également travaillé sur des capteurs qui jaugent le stress ou mesurent l’oxygénatio­n du sang, et serait en train de travailler sur les moyens de mesurer la glycémie à travers sa montre, pour surveiller le diabète

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