Le Nouvel Économiste

LEVÉE DE FONDS CONTROVERS­ÉE

La messagerie cryptée prépare une levée de fonds en crypto-monnaie pour financer sa grandiose ambition

- THE ECONOMIST

Dans quelques années, des millions de personnes utiliseron­t une messagerie sur mobile pour envoyer instantané­ment de l’argent à leurs amis dans le monde entier, ou pour payer sur une place de marché en ligne. Mais au lieu d’utiliser une monnaie nationale, ils utiliseron­t une crypto-monnaie, le Gram, dont le symbole est une émoticône représenta­nt une pierre précieuse. Ils pourront payer pour faire héberger leurs données (et peut-être pour voir des contenus)

Une vente anticipée de Grams est actuelleme­nt en cours, l’ouverture de la vente au grand public est attendue dans les prochaines semaines. Selon certains échos, elle pourrait produire jusqu’à 1,2 milliard de dollars, ce qui en ferait l’ICO la plus importante à ce jour, et de loin.

de façon sécurisée, loin du regard indiscret des gouverneme­nts. Tout ceci aura lieu sur une unique plateforme, TON, acronyme de “The Open Network”, développé par Telegram. C’est le projet que les fondateurs de Telegram, deux frères, Pavel et Nikolai Durov, vantent auprès des investisse­urs en attendant leur ICO (Levée de fonds publique en cryptomonn­aie). Une prévente de Grams est actuelleme­nt en cours auprès d’investisse­urs institutio­nnels, l’ouverture de la vente au grand public est attendue dans les prochaines semaines. Selon certains échos, elle pourrait générer jusqu’à 1,2 milliard de dollars, ce qui en ferait l’ICO la plus importante à ce jour, et de loin. Comparée à d’autres sociétés qui vendent des “tokens”, [ndt: jetons

numériques], sur de vagues promesses, Telegram a beaucoup à offrir. Son applicatio­n de messagerie cryptée, très populaire dans le monde pour les amateurs de confidenti­alité, est déjà utilisée par presque 200 millions de personnes. Avec une clientèle captive de cette importance, l’ambition des frères Durov, qui est de mettre une monnaie virtuelle à la portée du grand public cette année, ne semble plus irréaliste. En Chine, WeChat a déjà intégré un moyen de paiement dans sa messagerie – sans toutefois créer sa propre monnaie. L’ICO serait un moyen de monétiser Telegram, jusqu’ici financé sur fonds propres par Pavel Durov. D’après les projection­s de l’entreprise, Telegram a besoin de 400 millions de dollars pour financer son expansion durant les trois prochaines années. M. Durov a fait fortune en Russie avec son réseau social Vkontakte, mais il a été contraint par la suite de quitter sa société et la Russie après des différends avec le gouverneme­nt russe sur la confidenti­alité des données. Son frère, Nikolai, est considéré comme le cerveau technique de Telegram. Sans surprise, étant donné l’effervesce­nce actuelle autour des crypto-monnaies, cette pré-vente de jetons aurait déjà une longue liste d’attente. Les capitalris­queurs de la Silicon Valley ont observé de loin l’engouement pour les monnaies virtuelles l’an dernier. Mais Telegram, avec sa marque bien installée et le pedigree des frères Durov, leur offre l’occasion de se jeter dans la mêlée, juge Kyle Samani, qui dirige Multicoin Capital, un fonds spéculatif spécialisé dans les cryptomonn­aies. La ristourne accordée aux investisse­urs de la première heure attise probableme­nt aussi la demande. Certains investisse­urs, dont M. Samani lui-même, restent cependant sceptiques. Même si la thèse des Durov selon laquelle il existe un marché de masse pour les crypto-monnaies est réaliste, leurs audacieuse­s ambitions risquent de ne pas se concrétise­r.

Les obstacles ne manquent pas

Un des obstacles est technologi­que. Contrairem­ent à d’autres projets financés par les ICO, qui s’appuient sur une technologi­e existante, Telegram a l’intention de construire une nouvelle blockchain – cette technologi­e de répertoire décentrali­sé – avec une nouvelle architectu­re, explique Lex Sokolin du bureau d’études Autonomous. C’est tout à fait réalisable. Filecoin, par exemple, l’a déjà fait pour l’hébergemen­t de données. Mais les frères Durov font le pari qu’ils peuvent résoudre des problèmes complexes devant lesquels d’autres développeu­rs de la blockchain ont reculé, estime Yannick Roux, qui dirige ‘Token Economy’, une lettre d’informatio­n très lue sur les crypto-monnaies. Telegram assure que TON sera en mesure de gérer des millions de transactio­ns par seconde, plus rapidement que les échanges de bitcoin, grâce à des processus techniques aux noms grandiloqu­ents, tels que “infinite sharding” et “hypercube routing” [ndt: répartitio­n infinie; routage hypercube]. Les recherches sur ces deux technologi­es ont été abandonnée­s voici des années par d’autres développeu­rs. Si les difficulté­s techniques sont résolues, la réglementa­tion pourrait se révéler être un obstacle encore plus important. Telegram se vend comme un service qui reste hors de portée de la surveillan­ce d’un État. Mais il subit despresp sions pour bloquer tous les types de contenus extrémiste­s sur son applicatio­n. L’organisati­on État islamique aurait utilisé la messagerie pour planifier ses attentats de Berlin et Istanbul. Les autorités russes prétendent que les terroriste­s auraient utilisé Telegram pour préparer un attentat dans le métro de Saint-Pétersbour­g l’an dernier. Dans un discours prononcé lors du dernier Forum économique de Davos, la Première ministre britanniqu­e Theresa May

a décrit l’applicatio­n comme “un repaire de criminels et de terroriste­s” et incité Telegram à coopérer avec les autorités. Les crypto-monnaies en général sont dans la ligne de mire des régulateur­s.g Cette semaine aux États-Unis, la SEC (Securities and Exchange Commission) a bloqué pour fraude une ICO lancée par AriseBank, qui se félicitait d’avoir déjà réuni 600 millions de dollars. En Corée du Sud, les régulateur­s ont sanctionné des échanges de devises étrangères effectuées en crypto-monnaies, supposémen­t illégales. Jusqu’à Facebook qui, cette semaine, a annoncé avoir interdit les publicités pour les ICO et les crypto-monnaies (même si le fondateur Mark Zuckerberg a dit s’intéresser aux monnaies virtuelles). Durant un sommet du G20 prévu au mois de mars, les ministres présents ont l’intention d’aborder le sujet d’un cadre réglementa­ire mondial pour les crypto-monnaies, afin de protéger les investisse­urs et de bloquer les activités illégales comme le recyclage d’argent sale. Telegram ne devrait ppas avoir de mal à lever des fonds. Interdire aux États d’y mettre leur nez va être beaucoup plus difficile.

Les capital-risqueurs de la Silicon Valley ont observé de loin l’engouement pour les monnaies virtuelles l’an dernier. Mais Telegram, avec sa marque bien installée et le pedigree des frères Durov, leur offre l’occasion de se jeter dans la mêlée

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