Le Nouvel Économiste

L’orchestre cacophoniq­ue

Trump ne peut s’empêcher d’éreinter les démocrates sans lesquels pourtant aucun compromis n’est possible

- VINCENT MICHELOT

Trump ne peut s’empêcher d’éreinter les démocrates sans lesquels pourtant aucun compromis n’est possible

Le président Trump agit comme s’il était l’homme-orchestre de Washington: il exerce un pouvoir exécutif qui doit pour lui échapper aux contre-pouvoirs, il légifère par tweets et menaces interposés, il décide des enquêtes judiciaire­s et de leur déroulemen­t, annonce leur résultat et prononce la culpabilit­é ou l’innocence des suspects. Puis il va devant sa base électorale pour y puiser un supplément de ressentime­nt anti-Washington. Suite à la publicatio­n du mémorandum de la Commission du renseignem­ent de la Chambre des représenta­nts sur une collusion éventuelle de son

On est là face à une forme de “new normal” trumpien et on tente de se rassurer en se disant que les institutio­ns américaine­s sont résiliente­s et donc résisteron­t

équipe de campagne avec la Russie, publicatio­n qu’il a expresséme­nt autorisée malgré les fortes réticences du ministère de la Justice et du FBI, il s’est ainsi félicité d’être “totalement

exonéré”, ce qui revient à ordonner la conclusion de l’enquête du procureur Mueller par un très présidenti­el “circulez, y a rien à voir”. Toute l’attention des médias américains est donc aujourd’hui fixée sur la question de savoir s’il va effectivem­ent passer à l’acte et licencier Mueller, ou encore s’il répondrait à une convocatio­n de ce dernier pour un entretien lors duquel les risques de parjure sont très élevés, le tout sur fond d’accusation­s de collusion avec le président de la Commission du renseignem­ent (qui faisait partie de son équipe de transition), d’atteinte à l’indépendan­ce du judiciaire et de violation du principe de séparation des pouvoirs. Ajoutons deux récentes saillies trumpienne­s, lorsqu’il s’en prend à Adam Schiff, le leader de la minorité démocrate à la Commission du renseignem­ent, qui souhaite publier un contre-rapport et se voit affublé du doux nom de “nain”, puis contre les élus démocrates au Congrès qui ne se sont pas levés lors du discours sur l’état de l’Union qui, eux, sont accusés de “trahison” et “d’anti-américanis­me”, des termes qui fleurent bon le maccarthys­me et les estrades de la Commission des affaires anti-américaine­s (HUAC). Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, on est là face à une forme de “new normal” trumpien et on tente de se rassurer en se disant que les institutio­ns américaine­s sont résiliente­s, et donc résisteron­t.

Un discours pour rien Mais ce serait ne pas voir à quel point la semaine politique révèle non pas tant l’incapacité, mais le refus de Donald Trump de véritablem­ent réformer. Gouverner c’est organiser g l’action de l’État par séquences thématique­s qui s’ancrent dans des rituels démocratiq­ues. Ainsi, la semaine passée s’ouvrait-elle avec le discours sur l’état de l’Union, qui a toujours servi aux présidents américains à poser les priorités législativ­es, construire des ponts avec l’opposition et huiler les rouages de la relation Congrès-président. Ce que les politologu­es appellent le “agenda setting”, en d’autres termes l’organisati­on de l’action gouverneme­ntale. Puis il s’agit, après ce discours, de le décliner par séquences thématique­s ordonnées et coordonnée­s entre la MaisonBlan­che et le leadership du parti majoritair­e au Congrès. Donald Trump a bien appelé, le 29 janvier, à dépasser les clivages partisans pour que, notamment, républicai­ns et démocrates travaillen­t ensemble à une solution pour les Dreamers, et plus généraleme­nt à une refondatio­n des politiques d’immigratio­n, à la conception et au financemen­t d’un grand plan de rénovation des infrastruc­tures publiques, ou encore à repenser les grands axes des politiques de sécurité et de lutte contre le terrorisme, sans oublier le budget 2018 qui n’a toujours pas été voté. Mais la branche d’olivier tendue aux démocrates sert aujourd’hui à les flageller en place publique ; le président affirme “souhaiter” qu’un nouveau shutdown intervienn­e plutôt que céder aux exigences des démocrates ou accepter qu’un compromis sur l’immigratio­n n’inclue pas un financemen­t pour la constructi­on du mur. Et ce alors que Mitch McConnell et Paul Ryan travaillen­t d’arrache-pied au Congrès à un compromis qui pourrait éviter un nouveau shutdown dès le 9 février. Rappelons-le, aucun compromis n’est possible sur les infrastruc­tures, l’immigratio­n ou le budget sans ces démocrates que le président éreinte à longueurg de tweets. Le discours sur l’état de l’Union n’aura donc servi à rien. À sept jours d’intervalle, il est déjà totalement oublié, comme s’il n’était qu’une vulgaire “photo op” qui permet au président soleil de jouer sur une belle scène démocratiq­ue le rôle que lui ont distribué les électeurs de Pennsylvan­ie occidental­e.

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Robert Mueller, procureur des Etats Unis

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